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Utilisation croisée de bases de clientèle au regard de l'avis n° 10-A-13 du 14 juin 2010 de l'Autorité de la concurrence (fr)

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La notion d’utilisation croisée des bases de clientèle

L’utilisation croisée des bases de clientèle connue aussi sous l’appellation de « cross-selling » est une pratique répandue, par laquelle une entreprise utilise des informations relatives à ses propres clients, recueillies sur un marché donné, pour commercialiser auprès de ces mêmes clients un autre produit sur un marché distinct. Sous le cross selling, se distinguent deux types de pratiques appréhendées différemment par les règles de la concurrence : l’utilisation croisée de bases de clientèle, d’une part, et les ventes couplées, d’autre part. Ces pratiques commerciales sont surveillées de très près par l’Autorité de la concurrence car lorsqu’elles sont associées, elles peuvent porter atteinte à la concurrence entre opérateurs de télécommunications. Dans l’avis du 14 juin 2010, l’Autorité de la concurrence retient trois (3) critères cumulatifs pour le "cross-selling" :

- les clients auprès desquels l’entreprise tente de commercialiser un produit additionnel sont ou ont été clients du produit initial ;

- le produit initial et le produit additionnel sont des produits appartenant à des marchés distincts ;

- les informations utilisées pour démarcher la clientèle sur le marché du produit additionnel sont liées directement ou indirectement à la connaissance de la clientèle consommatrice du produit initial détenue par l’entreprise.

L'association de l’utilisation croisée des bases de clientèle aux ventes couplées

Le couplage correspond à la pratique consistant à lier la fourniture de deux produits distincts relevant de deux marchés. L’Autorité de la concurrence, comme la Commission européenne ou leurs juridictions de contrôle, distingue plusieurs types de ventes couplées selon la nature du lien existant entre les produits : contractuel, technique, ou résultant d’une incitation, comme par exemple d’un avantage tarifaire octroyé en cas d’achat conjoint des deux produits :

- les « ventes groupées pures », c’est-à-dire les ventes liées du fait de l’imposition exclusivement commerciale d’une obligation d’acheter deux ou plusieurs produits ensemble ;

- les « ventes groupées techniques », c’est-à-dire les ventes liées du fait de l’intégration technique des produits ;

- les « ventes groupées mixtes », c’est-à-dire le fait de vendre plusieurs produits ensemble à de meilleures conditions que celles proposées si les produits sont achetés séparément (les deux produits pouvant toutefois être achetés séparément, contrairement aux ventes groupées pures.)

Les restrictions à la concurrence

Elles peuvent provenir de l’utilisation croisée des bases de clientèle ou de son association à d’autres pratiques commerciales comme la vente couplée.

Restrictions liées à l’utilisation croisée des bases de clientèle

L’Autorité de la concurrence vérifie si l’utilisation croisée de bases de clientèle effectuée par les opérateurs n’est pas abusive au sens des dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce et de l’article 102 TFUE. Elle tiendra compte de la position dominante de l’entreprise sur l’un des marchés concernés.

L’utilisation croisée des bases de clientèle par une entreprise qui dispose d’une position dominante sur le marché initial aux fins de prospecter un marché cible est susceptible de constituer un comportement abusif, même si le marché cible est concurrentiel. En effet, la jurisprudence admet l’application des dispositions interne et communautaire prohibant les abus de domination à un acte commis par une entreprise en position dominante sur un marché distinct du marché dominé lorsque des « circonstances particulières » démontrent l’existence d’un lien entre la position dominante et le comportement abusif (voir les arrêts de la Cour de cassation du 17 mars 2009, Glaxosmithkline, Bull. 2009, IV, n° 39, pourvoi n° 08-14.503, et de la CJCE, 3 juillet 1991, Akzo Chemie, C-62/86.).

La conformité de la pratique au droit de la concurrence dépend notamment des conditions dans lesquelles l’entreprise a constitué sa base de clientèle, ainsi que de la possibilité pour ses concurrents de reproduire ces informations. L’utilisation croisée de bases de clientèle n’est pas susceptible de constituer un abus au sens des dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce si les données ont été acquises par l’entreprise dominante dans le cadre d’une compétition par les mérites et peuvent être reproduites par des concurrents aussi efficaces sur le marché. Par exemple, France Télécom peut utiliser sa base de clientèle mobile orange pour développer son offre "triple play" puisqu’elle a été constituée sur un marché concurrentiel.

Par contre, les informations détenues par une entreprise dominante qui ne sont ni accessibles à ses concurrents, ni reproductibles par eux, constituent des informations privilégiées, dont l’exploitation est susceptible de produire des effets restrictifs de concurrence. Ainsi, France Télécom ne saurait utiliser sa base de clientèle recueillie pour le fixe dans sa mission de service public sans contrevenir au droit de la concurrence.

L’utilisation croisée de telles informations peut en effet avoir pour objet ou effet d’ériger des barrières à l’entrée sur l’un ou l’autre des marchés concernés. Ces informations constituent des « informations privilégiées » au sens de l’avis.

Restrictions liées aux ventes couplées

Les ventes liées et les ventes groupées pures pratiquées par une entreprise en position dominante peuvent être considérées comme anticoncurrentielles. Selon une jurisprudence constante, lorsqu’un opérateur économique, en position dominante sur le marché d’un produit dit « liant », lie, de façon obligatoire, la vente de ce produit, considéré comme indispensable, à la vente d’un autre produit, dit « lié », cette pratique de couplage est, sauf circonstances particulières, constitutive d’un abus de cette position dominante[1]

La Commission européenne est aussi compétente au titre de l’article 82 du traité CE – devenu l’article 102 TFUE -, lorsqu’une entreprise occupe une position dominante sur le marché liant, s’agissant des ventes liées, ou sur l’un des marchés groupés, s’agissant de ventes groupées, et lorsque les conditions suivantes sont réunies : « a) les produits liants et liés sont des produits distincts et b) la vente liée est susceptible de déboucher sur une éviction anticoncurrentielle ».

Les données prises en compte pour l’appréciation de l’effet d’éviction sont :
1) la position de l’entreprise dominante
2) les conditions régnant sur le marché en cause
3) la position des concurrents de l’entreprise dominante
4) la position des clients ou des fournisseurs
5) la portée du comportement abusif présumé
6) les preuves éventuelles d’une éviction réelle sont notamment retenues aux fins.

Rappelons que ces critères sont purement nominatifs et non exhaustifs.

La justification du cross selling par l'entreprise dominante

Les pratiques mises en œuvre par une entreprise dominante susceptibles d’être considérées comme abusives ne tombent pas toujours sous le coup de l’interdiction des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce. L’entreprise concernée devra présenter une justification objective à sa politique commerciale.

En vue de déterminer la licéité d’une pratique susceptible d’être considérée comme abusive, l’Autorité examine les justifications avancées par une entreprise en position dominante. Cette dernière peut justifier démontrer son comportement en démontrant qu’elle est source d’efficience et qu’elle ne relève dès lors pas d’une stratégie d’exclusion des concurrents mais de maximisation du profit. La preuve de la conformité de la pratique au droit de concurrence est à la charge de l’entreprise.

Dans la décision n° 06-D-18 du 28 juin 2006 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité cinématographique, il est précisé que l’entreprise doit «  notamment apporter la preuve que le résultat invoqué dépend précisément de la pratique concernée et qu’il n’existe pas de moyen aussi efficace mais moins restrictif de concurrence d’y parvenir ». Parmi les justifications objectives possibles figurent les gains d’efficacité et le droit d’alignement.

Les gains d’efficacité

L’article L. 420-4 du Code de commerce prévoit que ne sont pas prohibées par l’article L. 420-2 les pratiques « dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ». Cet article pose les exceptions aux pratiques pouvant être considérées comme contraires au droit de la concurrence, que la Commission européenne dans sa communication du 24 février 2009, énonce les critères. L'entreprise devra démontrer sur la base de preuves vérifiables que les conditions cumulatives suivantes sont remplies:"

- les gains d’efficacité ont été ou sont susceptibles d’être réalisés grâce au comportement considéré. Il peut s’agir notamment d’améliorations techniques de la qualité des biens ou d’une réduction du coût de production ou de distribution;

- le comportement est indispensable à la réalisation de ces gains d’efficacité: il ne doit pas y avoir d’autres pratiques moins anticoncurrentielles que le comportement considéré capables de produire les mêmes gains d’efficacité;

- les gains d’efficacité susceptibles d’être produits par le comportement considéré l’emportent sur les effets préjudiciables probables sur la concurrence et le bien-être des consommateurs sur les marchés affectés;

- le comportement n’élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle."

On considère que l’utilisation croisée de bases de clientèle peut être source de gains d’efficacité si elle permet aux entreprises de réduire les coûts de commercialisation de leurs produits. En effet, La prospection auprès d’acheteurs présents dans une base de clientèle déjà constituée au sein de l’entreprise peut être moins onéreuse que le recrutement de nouveaux clients pour promouvoir les ventes d’un produit sur un marché distinct. Les opérateurs Orange, SFR, et Bouygues Télécom exploitent déjà leurs bases de clientèle mobile pour promouvoir le haut débit.

Les pratiques de couplage sont également susceptibles d’engendrer des gains d’efficacité. La combinaison de l’utilisation croisée de bases de clientèle et de la technique de la vente couplée permet généralement d’accroître les gains d’efficacité retirés de la pratique de couplage en réduisant les coûts d’acquisition de nouveaux clients pour le produit lié.

L’alignement sur les concurrents

L’exception d’alignement est soumise à une double condition de nécessité et de proportionnalité. L’entreprise dominante doit démontrer que le comportement du concurrent constitue une menace suffisamment sérieuse sur ses intérêts pour appeler une riposte. Cette preuve suffit pour établir la poursuite d’un objectif légitime, et non l’éviction du concurrent. L’exception d’alignement est aussi limitée dans l’espace et dans le temps.

L’entreprise doit prouver que la riposte n’excède pas, dans sa durée et dans son champ d’application matériel et géographique, ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, et notamment, qu’il n’existe pas d’alternative moins restrictive de la concurrence. En dernier lieu, elle doit démontrer la proportionnalité de la riposte par rapport à la puissance économique des entreprises en présence (voir sur ce point l’arrêt United Brands précité, et l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 5 novembre 2008). La Commission européenne estime ainsi qu’un opérateur dominant ne peut s’aligner sur les prix de ses concurrents lorsque ceux-ci ne lui permettent pas de couvrir ses coûts.

Les offres de convergence

Dans le secteur des communications électroniques, on assiste à une orientation du marché vers un modèle dit d’ « opérateur universel », capable de répondre à l’ensemble des besoins télécoms des consommateurs. C’est le cas des ventes couplées pratiquées à l’aide de l’utilisation croisée des bases de clientèle telles que l’offre « quadruple play », combinant une offre multiservices à haut débit « triple play » (Internet, télévision et téléphonie fixe) et une offre de téléphonie mobile, sans oublier le « femtocell» qui est une convergence technique. Vu l’intensification de la pratique du « cross selling » à la suite de l’intégration de Neuf Cegetel au sein de SFR et de l’entrée de Bouygues Télécom sur le marché du haut débit, France Télécom, en tant qu’opérateur historique, s’interroge sur sa capacité d’adopter ce modèle économique sans entraver le droit de la concurrence.

L’Autorité de la concurrence pense que France Télécom peut faire une utilisation licite de ses bases de clientèle entre les marchés du mobile et du haut débit vu la maturité du marché et les parts détenus par les différents opérateurs. Elle présume « que France Télécom a acquis ses clients, et donc les données y afférentes, par les mérites sur des marchés concurrentiels ». Elle se penche également sur le cas de Free Mobile, et indique que le 4ème opérateur mobile devrait bénéficier d'un contrat d'itinérance 3G lui permettant de commercialiser également des offres de convergence.

Bien que l’avis de l’autorité de la concurrence sur le cross selling soit favorable aux opérateurs, y compris France Télécom, il existe quand même des risques pour la concurrence sur les offres de convergence. Certains pratiques seront analysées au cas par cas, et il appartiendra à l’entreprise dominante de justifier l’objectivité de son comportement.

Voir aussi

Liens externes

Bibliographie

  • Bensoussan, Alain, Informatique Télécoms Internet - Réglementation, contrats, fiscalité, communications électroniques, Paris: 2008, 4e édition, éd. Francis Lefebvre, ISBN 978-2-85115-752-2
  • Popovic D., Droit communautaire de la concurrence et les communications électroniques, in Droit des médias, 2eme édition Dalloz, 2002

Notes et références

  1. voir par exemple les arrêts de la CJCE du 13 février 1979, Hoffmann - La Roche & Co Ag/Commission, Affaire 85/76, Recueil de jurisprudence 1979 page 00461, et Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 3 octobre 1985, SA Centre belge d'études de marché - télémarketing (CBEM) contre SA Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT) et SA Information publicité Benelux (IPB) Affaire 311/84, Recueil de jurisprudence 1985 page 03261