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Jurisprudence du Conseil d'État sur l'utilisation du courrier électronique par un fonctionnaire (fr)

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Version du 3 août 2010 à 14:14 par Remus (discuter | contributions)

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L’évolution des technologies notamment internet a permis l'essor d’un nouveau moyen de correspondance : le courrier électronique. Assimilable au premier service en ligne interpersonnel, ce système permet à deux personnes (internautes) possédant une adresse électronique d’échanger personnellement un message. Il est également possible d'y ajouter des contenus textuels, audiovisuels et autres.

Le grand développement de cet outil numérique vient de sa grande efficacité par rapport aux autres moyens de communication existants. En effet, le courrier électronique est infiniment plus rapide que le réseau postal classique, l’envoi/réception du message se faisant de façon quasi-instantanée, tout en permettant une lecture différée de son contenu. De plus, contrairement au téléphone, le coût de l’envoi d’un message électronique, quelque soit la position géographique du récepteur du message, est identique pour tous.

L’explosion de ce moyen de communication a vite posé la question de son régime juridique : la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) a permis de donner une définition technique du courrier électronique; le Code des postes et communications électroniques (CPCE) dont le livre II traite des communications électroniques consacre quant à lui l’appartenance, sous certaines réserves, du courrier électronique au régime de la correspondance privée. La jurisprudence est venue par la suite préciser le champ d’application et les limites de ce principe, notamment grâce à des arrêts rendus par la Cour de cassation et le Conseil d'Etat.


La notion de courrier électronique

Définition

La définition du courrier électronique se trouve à l’article 1-IV al 5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique[1] (LCEN) :

« On entend par courrier électronique tout message, sous forme de texte, de voix, de son ou d’image, envoyé par un réseau public de communication, stocké sur un serveur de réseau ou dans un équipement terminal du destinataire, jusqu’à que ce dernier le récupère »


En outre, le Code des postes et communications électroniques (CPCE) propose une définition des communications électroniques à son article L32 1°, qui intègre entièrement le cas du courrier électronique :

« On entend par communications électroniques les émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d'écrits, d'images ou de sons, par voie électromagnétique ».


Dès lors, les dispositions relatives aux communications électroniques présentes dans le CPCE ont vocation à s'appliquer au courrier électronique.

Champ d'application

La définition proposée par la LCEN ne vise pas exclusivement l’e-mail. Ces dispositions ont vocation à s’appliquer également aux SMS, aux MMS et aux éventuels futurs véhicules d’informations qui répondront à cette définition. Les termes utilisés demeurent cependant très techniques et se suffisent pas à poser, seuls, un cadre général pour le régime juridique du courrier électronique.


L'importance d'un cadre juridique

Les risques liés au courrier électronique

Les fonctions du courrier électronique exposent ses utilisateurs à de nombreux risques liés à ce contexte de communication, notamment des atteintes aux droits des personnes ainsi que des risques pour la collectivité et autres formes d'atteintes d’ordre public.


Les atteintes aux droits des personnes

La diffusion d’informations par le biais du courriel ou autre forme de courrier électronique peut générer des atteintes aux droits des personnes. Suivant le contenu du message et l’usage qui peut en être fait, le courrier électronique peut devenir préjudiciable à ses utilisateurs touchant des atteintes à la vie privée [2] et à la réputation [3]. Mais il est également envisageable que l’utilisation de ce mode de communication puisse servir pour un usage non autorisé de l’image [4], harcèlement [5] ou des menaces[6].


Les risques pour la collectivité

Les utilisateurs peuvent également utiliser le courrier électronique pour porter atteinte à l’intégrité de ressources informatiques [7] via l’utilisation de virus informatiques ou pour surveiller le courrier électronique de tiers [8].


Régime juridique général

Le courrier électronique ne possède pas un régime juridique propre. Il a vocation à être régie soit par les dispositions de la LCEN soit par les règles du CPCE selon que l’on est en présence de correspondance publique ou correspondance privée. La jurisprudence est venue préciser cette distinction : il y a correspondance privée lorsque ces messages sont exclusivement destinés à une ou plusieurs personnes déterminées ou individualisées liées par une communauté d’intérêt et il y a correspondance publique lorsque ces critères ne sont pas remplis. Ces règles sont d’ordre général et s’appliquent de façon indifférenciée à toute personne, morale ou physique, publique ou privée (par extension, salariée ou fonctionnaire).

Concernant les règles spécifiques du salarié et fonctionnaire, la jurisprudence judiciaire semble beaucoup plus protectrice du secret des correspondances électroniques et de son utilisation générale pour le salarié que la jurisprudence administrative ne l’est pour le fonctionnaire. Le Conseil d'Etat a ainsi rendu plusieurs décisions précisant le régime juridique applicable au courrier électronique utilisé par un fonctionnaire.


L'apport du Conseil d'Etat

L’utilisation du courrier électronique par un fonctionnaire a fait l’objet de règles spécifiques rendues par les juridictions civiles (ex : caractère professionnel de la messagerie d’un fonctionnaire, CA Rennes, 14 janvier 2010) et par le Conseil d'État. S’intéressant plus particulièrement au Conseil d'État, peu de décisions ont à ce jour été rendues en la matière. La principale est une décision rendue le 15 octobre 2003 qui a posé un cadre à l’utilisation du courrier électronique par un fonctionnaire.


Décision du 15 octobre 2003 sur le principe de laïcité des fonctionnaires appliqué au courrier électronique

Les faits

Jean-Philippe O., adjoint technique de recherche et de formation de l’Ecole nationale supérieure des Arts et métiers (ENSAM), est membre depuis 1973 du l’Association de l’Esprit saint pour l’unification du christianisme mondial. Plus connu sous le nom de "Secte Moon", du nom du Sud-Coréen Sun Myung Moon, ce mouvement religieux, très influent aux Etats-Unis où il possède le quotidien Washington Times, est connu pour son anti-communisme viscéral.

Sur sa page personnelle hébergée sur le site du mouvement, ce fonctionnaire indique, en guise de contact, son adresse e-mail professionnelle à l’ENSAM. Par ailleurs, Jean-Philippe O. utilise ce même compte pour participer aux activités de la secte et entrer en communication avec des correspondants en tant qu’adhérent de « l’Eglise de l’unification du christianisme mondial » aux fins notamment d’institutionnaliser un serveur français pour celle-ci. Après la découverte de ces faits par la direction de l’école, cette adresse e-mail est supprimée. Jean-Philippe O. tente alors de récupérer des messages le concernant en utilisant le compte mail (créé mais non activé) d’un directeur de département.

Cette affaire lui vaut d’être traduit en décembre 1996 devant le Conseil de discipline de l’ENSAM qui prononce à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de six mois (sans salaire), assortie d’un sursis partiel de trois mois. Une sanction par la suite officialisée par un arrêté ministériel daté du 23 décembre 1996.

Mécontent de cette suspension, l’agent déposa un recours devant le juge administratif visant à l’annulation de cette décision.


Les décisions des juges du fond

Par un arrêt du 3 juin 1999 du Tribunal administratif de Paris[9], confirmé par la Cour administrative d'appel de Paris dans un arrêt du 24 janvier 2002[10], les juridictions du fond ont rejeté la demande de Jean-Philippe O.


  • Validité de la sanction disciplinaire

Sur le sujet du courrier électronique, la cour confirme la validité des motifs de la suspension se fondant « d’une part, de l’utilisation abusive par le requérant de l’adresse de l’ENSAM sur internet à des fins personnelles d’échanges entrepris en sa qualité de membre de l’Association pour l’unification du christianisme mondial, et, d’autre part, de l’utilisation d’une boîte aux lettres électronique d’un directeur de laboratoire de l’ENSAM à l’insu de ce dernier ».


  • Manquement au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité des fonctionnaires

Selon la cour, l’usage fait par l’intéressé de l’adresse électronique de l’ENSAM sur internet pour les besoins de l’Association pour l’unification du christianisme mondial constitue un manquement au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité auxquels les fonctionnaires sont soumis : « La simple apparition du terme ENSAM figurant dans le corps de l’adresse de courrier électronique porte atteinte à la totale neutralité que doit revêtir chaque service de l'État. En l’espèce, des internautes pouvaient estimer que l’École nationale des arts et métiers apportait son soutien quasi-officiel aux actions ou aux buts fixés dans les statuts de l’association ».


Reprenant les arguments de M.O, la cour considère que l’objet de la suspension « a été motivée non par ses opinions philosophiques et religieuses mais exclusivement par l’usage fait par l’intéressé de l’adresse électronique de l’ENSAM sur internet pour les besoins de l’Association pour l’unification du christianisme mondial ; que ce manquement au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité auxquels les fonctionnaires sont soumis était de nature à justifier légalement l’application d’une sanction disciplinaire ».

M.O. a fait valoir que le courrier électronique présente le caractère d’une correspondance privée protégée par le secret des correspondances émises par voie de télécommunications. Mais la cour a refusé cet argument constatant qu’ « il est constant que le serveur de l’Eglise de l’unification sur lequel il a fait figurer son adresse électronique à l’ENSAM était destiné à la consultation du public ».

Rejet du Conseil d’Etat

Par un arrêt du 15 octobre 2003[11], le Conseil d'État termine cette longue procédure tranchant en faveur du Ministère de l’éducation nationale et de la recherche et contre Jean-Philippe O. La cour valide l’application des dispositions réglementaires concernant les conditions de saisine et de sanction de la commission.

Elle suit le raisonnement des juridictions des juges du fond en rappelant dans un premier temps que « le fait d’utiliser des moyens de communication du service au profit de l’Association pour l’unification du christianisme mondial […] ainsi que d’apparaître sur le site de cette organisation en qualité de membre de celle-ci constituaient un manquement au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité qui s’impose à tout agent public ».

Le Conseil d'État refuse clairement dans cet arrêt de fonder sa décision sur les actes de prosélytisme ou la teneur des messages envoyés. La Cour administrative considère que « la mesure dont M. O. a été l’objet a été motivée non par ses opinions philosophiques et religieuses mais exclusivement par l’usage fait par l’intéressé de l’adresse électronique de l’ENSAM sur internet pour les besoins de l’Association pour l’unification du christianisme mondial ». Cela constituait donc un « manquement au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité auxquels les fonctionnaires sont soumis ».

Surtout, les magistrats ont rejeté l’argument de Jean-Philippe O. selon lequel l’utilisation de son adresse professionnelle pour ses activités religieuses était couverte par le secret de la correspondance. Notamment parce « qu’il est constant que le serveur de l’Eglise de l’Unification sur lequel il a fait figurer son adresse électronique à l’ENSAM était destiné à la consultation du public ».

Portée de l'arrêt

Précisément, le Conseil d'État confirme que la sanction contre le fonctionnaire n’est pas liée au contenu des messages échangés ou reçus par celui-ci : "La Cour administrative d'appel, contrairement aux allégations de l’intéressé, ne s’est fondée ni sur ce que celui-ci se serait livré à des actes de prosélytisme, ni sur la teneur des messages envoyés par lui."

Ce dernier point pourrait avoir de sérieuses conséquences pour tous les fonctionnaires impliqués dans une activité politique ou religieuse. En effet, dès lors que les propos ou le support peuvent porter atteinte à l’obligation de neutralité, la participation des agents publics à des listes de discussion, à des forums, à des sites Internet sera proscrite avec leur adresse de service public. Une sanction pourrait être appliquée même si le message en lui-même ne porte pas atteinte à la neutralité du service public, mais est intégré dans un ensemble beaucoup plus large et beaucoup moins neutre.

De son côté, J.-P. O. juge toujours la sanction « démesurée » et estime que « sa carrière a été enterrée lorsque l’on a découvert qu’il était un dangereux mooniste ». Il avait évoqué une possible action devant la Cour européenne des droits de l'homme, mais aucun recours n’a encore été déposé.

Décision du 28 décembre 2001 sur la recevabilité de réclamation par courrier électronique

Historique

Monsieur G. avait envoyé un courrier électronique à la préfecture du Jura pour contester les opérations électorales qui s’étaient déroulées dans la commune d’Entre-Deux-Monts le 11 mars 2001. Saisi d’une requête par Monsieur B., son ’élection au poste de conseiller municipal a été annulée par le Tribunal administratif de Besançon.

Cassation du Conseil d'Etat

Le Conseil d’Etat a considéré que la réclamation envoyée par courrier électronique était bien recevable[12]. La haute juridiction a motivé sa décision en se fondant d’une part sur le fait que « le courrier électronique avait été envoyé dans les cinq jours qui ont suivi le jour d’élection, c’est-à-dire dans le cadre du délai imposé par l’article R. 119 du Code électoral », et d’autre part par l’existence d’une lettre écrite envoyée au Tribunal administratif de Besançon au sein de laquelle Monsieur G. confirmait être l’auteur du e-mail.

Cette décision transpose au courrier électronique la jurisprudence relative aux télécopies [13] selon laquelle « le juge administratif peut être valablement saisi par une télécopie envoyée dans le délai du recours contentieux, sous réserve que la requête puisse être authentifiée ultérieurement soit par la production d’un exemplaire dûment signé du mémoire adressé par télécopie, soit par l’apposition des signatures des parties au bas du document enregistré au Conseil d’Etat ».

Portée de l'arrêt

Certains auteurs voient dans cette décision l’ébauche d’un futur régime de recours en ligne en matière administrative. Restent alors les interrogations concernant les modalités pratiques des « recours électroniques », puisque les juridictions ne disposent pas systématiquement d’adresses électroniques, ou encore sur l’application du régime de la signature électronique.


Décision du 7 avril 2006 sur la prise en compte d’un courriel pour sanctionner un fonctionnaire

L'affaire ci-dessus rapportée montre qu'un simple courriel de contestation de la hiérarchie peut être pris en compte par l'autorité disciplinaire pour sanctionner disciplinairement un juge.


Faits

En l'espèce, un juge, agissant à titre personnel est sanctionné pour avoir transmis un courrier électronique du 3 mars 2003 transmis au président du Tribunal de première instance, mais aussi à d'autres magistrats, critiquant une mesure d'organisation du service et comportant le refus d'accomplir une obligation professionnelle personnelle. Ce dernier forme un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État en vue d’obtenir l’annulation de la décision de sanction


Rejet du Conseil d’Etat

Le Conseil d'État dans un arrêt du 7 avril 2006[14] a rejeté le pourvoi au motif que « le ton et le contenu de ces courriers, qui mettaient en cause les magistrats de la cour d'appel et le président du tribunal de première instance, contrevenaient à la dignité et à la délicatesse dont doit faire preuve un magistrat ».

Portée de l'arrêt

Le juge administratif va très loin pour tout ce qui touche à la déontologie dans l'utilisation des courriers électroniques par les agents publics. C’est le cas lorsque cette utilisation a lieu en relation directe avec le travail, comme par exemple l'utilisation de l'ordinateur du service pour des actes « de nature à compromettre l'honorabilité attendue d'un agent de police municipale »[15] mais aussi quand l'utilisation d'Internet en dehors du service donne lieu à des faits qui sont « susceptibles de porter atteinte à l'image et à la dignité de la fonction publique » et en l'espèce « du corps enseignant »[16].

Il y a donc globalement, dans le droit de la fonction publique et des agents publics, une grande possibilité d'ingérence de l'employeur dans la vie des travailleurs. Certains auteurs considèrent face à cette jurisprudence que le juge pénal sera celui qui freinera les pratiques les plus attentatoires au respect de l'intimité de la vie privée et au secret des correspondances dans l'administration (personnelle ou syndicale).

Voir aussi

Sources

AJFP 2007 p.28 ; Manquement à l’obligation de discrétion professionnelle par courriel. Joël Mekhantar.

Dalloz Actualité 26 janvier 2010 ; le courrier d’un fonctionnaire sur sa messagerie n’a pas a priori un caractère privé. J-M Pastor


Liens externes

Notes et références

  1. Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, JORF n°143 du 22 juin 2004 page 11168 texte n° 2
  2. Code Pénal, article 226-1
  3. Code Pénal, article 226-22
  4. Code Pénal, article 226-1 al 3
  5. Code Pénal, article 222-17
  6. Code des postes et des communications électroniques, article 34-5
  7. Code Pénal, article 323-2
  8. Code Pénal, article 226-15
  9. Tribunal administratif de Paris, 3 juin 1999, n° 9703336/5, M. Jean-Philippe O.
  10. Cour administrative d’appel de Paris, 24 janvier 2002, n° 99PA03034, M. O.
  11. Conseil d’Etat, 15 octobre 2003, n° 244428, M. Jean-Philippe O.
  12. Conseil d’Etat, 28 décembre 2001, n° 235784, Elections municipales d’Entre-Deux-Monts
  13. Conseil d’Etat, 13 mars 1996, n° 112949, M. Diraison
  14. Conseil d'État, 7 avril 2006, n° 257624
  15. Cour administrative d'appel de Marseille, 14 Octobre 2003 n° 02MA01705
  16. Cour administrative d’appel de Versailles, 8 mars 2006, n° 04VE00424, Mme C.