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L'avocat général devant la CJCE et le droit à un procès équitable selon l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (eu)/Les condamnations pour le rôle des avocats généraux et du commissaire du gouvernement par la CEDH

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L'avocat général devant la CJCE et le droit à un procès équitable selon l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme >
L'émergence du problème

Le droit à une procédure contradictoire au sens de l’article 6 de la Convention implique, selon les termes de l’arrêt Borgers[1], “le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant en vue d’influencer sa décision”. L’importance de cette règle est telle qu’elle doit s’appliquer à toutes les juridictions, quelles qu’elles soient, et aussi bien en matière civile qu’en matière pénale[2].

L’avocat général en matière pénale et civile

À travers les affaires précitées[3], avait été mis en cause le rôle du Parquet de cassation en Belgique, dont l’avocat général conseille les juges quant à la solution à adopter. Or, “avec l’autorité que lui confèrent ses fonctions”, l’avocat général “peut influencer leur décision dans un sens soit favorable, soit contraire à la thèse des demandeurs”[4] . Un déséquilibre est ainsi créé, non plus entre les parties, mais entre le parquet et les parties au procès. La Cour EDH affirme ici que le principe de l’égalité des armes s’applique non seulement dans les relations entre les parties, mais également entre les parties et le ministère public.

À la même époque, la France va également se voir condamnée pour le rôle de l’avocat général devant la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’affaire Reinhardt et Slimane Kaïd[5] : le rapport du conseiller rapporteur, qui contenait entre autres un projet d’arrêt, n’était transmis qu’à l’avocat général, dont les conclusions n’étaient pas communiquées aux accusés avant l’audience, et de plus, l’avocat général participait avec voix consultative à la délibération. Dans cette dernière affaire, la France sera condamnée sur la violation du principe du contradictoire, mais au jour de l’audience, la Cour prendra acte de pratiques nouvelles mises en place à la Cour de cassation, dont la possibilité pour les avocats des parties, à leur demande, d’être informés avant le jour de l’audience du sens général des conclusions de l’avocat général, ainsi que la possibilité d’y répliquer oralement ou par une note en délibéré, également la modification du rapport du conseiller rapporteur qui comprend désormais deux volets, l’un qui rassemble tous les éléments de droit sur l’affaire et est communiqué à tous, et l’autre qui comprend le projet d’arrêt et n’est communiqué qu’aux seuls juges. Toutefois, la France sera de nouveau condamnée deux ans plus tard dans une deuxième affaire Slimane Kaïd[6] pour avoir tardé à mettre en place les mesures annoncées.

Désormais, il est établi dans les pays parties à la Convention EDH, et où existe l’institution de l’avocat général, que celui-ci ne participe plus au délibéré, qu’il communique aux parties avant l’audience orale, les grandes lignes de ses conclusions. De plus, une réplique est organisée.

Le commissaire du gouvernement devant le Conseil d’Etat français

Devant les juridictions administratives française intervient un autre type d’amicus curiae, le commissaire du gouvernement. Son rôle - Il rédige des conclusions qu’il expose en dernier à l’audience - allait faire l’objet d’un contentieux important entre le Conseil d’Etat français et la Cour EDH.

L’institution a été mise en place en 1831. On parlait alors de “maître des requêtes exerçant les fonctions de commissaire du roi”, ou parfois plus simplement de “commissaires du roi”. Les conclusions prononcées le 29 août 1932 par l’un des trois premiers maîtres des requêtes nommés lors de la mise en place de l’institution, M.Germain, n’ont pas laissé le souvenir d’un discours indépendant, loin s’en faut. Cet épisode rappelé par Frédéric Rolin[7] , bien que relaté dans les revues juridiques de l’époque, n’est jamais évoqué dans les travaux juridiques relatifs au commissaire du gouvernement. Frédéric Rolin note même que, curieusement, lors de cette séance, les conclusions du commissaire du gouvernement avaient été soumises à la contradiction, puisque l’avocat du conseil du requérant avait pu y répondre. Il semble bien que ce cas ait été unique. Il faut dire que le M. Germain conseillait non seulement le rejet du recours, mais aussi la “suspension de l’avocat aux conseils qui (avait) eu l’impudence de le soutenir”. Le recours initial sera rejeté; quant à l’avocat du requérant, il s’entendra dire: “le Conseil d’Etat vous enjoint, par mon ministère, d’être plus circonspect à l’avenir”.

“Depuis lors, poursuit Frédéric Rolin, le Conseil d’Etat a au contraire nettement affirmé que les conclusions du commissaire du gouvernement se trouvaient placées en dehors de la contradiction”. Ainsi dans l’arrêt Dame veuve James du 9 décembre 1970[8] le Conseil d’Etat précise-t-il que “les conclusions présentées oralement par le commissaire du gouvernement devant le tribunal administratif n’ont pas à être communiquées aux parties” du fait de son statut particulier , précisé dans l’arrêt Gervaise du 10 juillet 1950 : “Il a pour mission d’exposer les questions que présente à juger chaque recours contentieux et de faire connaître, en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables, ainsi que son opinion sur les solutions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à sa juridiction”[9].

Selon l’article R.222-23 du Code de justice administrative d’une part, et le Conseil d’Etat lui-même d’autre part, le Commissaire du gouvernement devant les juridictions administratives bénéficie d’une indépendance complète dans l’orientation de ses conclusions[10]. Lorsqu’il estime avoir arrêté sa conviction, l’affaire est inscrite au rôle et ainsi une date d’audience est fixée.

Mais les attaques dont faisait l’objet la fonction d’avocat général et les arrêts de condamnation rendus par la Cour EDH ont inquiété les juridictions administratives, car l’indépendance des avocats généraux n’était pas en cause. Ce qui compromettait le caractère équitable du procès, c’était l’autorité particulière de leurs conclusions, qui avait pour conséquence d’influencer potentiellement des juges, même non liés par ces conclusions, alors qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’un débat contradictoire. Or la situation du commissaire du gouvernement dans la procédure administrative française est très voisine: alors que ses conclusions bénéficient d’une force de persuasion particulière sur le juge, elles ne sont pas connues des parties avant l’audience et ne seront pas discutées.

Le Conseil d’Etat a donc pris les devants, et, d’une manière aussi artificielle que préventive, dans une affaire où le requérant n’avait nullement critiqué le rôle du commissaire du gouvernement, le Conseil d’Etat rend un arrêt dans lequel il affirme que le commissaire du gouvernement participe à la fonction de juger dévolue à la juridiction dont il est membre, que l’exercice de cette fonction n’est pas soumis au principe du contradictoire applicable à l’instruction, et que, le commissaire du gouvernement étant un juge, on ne peut lui appliquer le principe du contradictoire et de l’égalité des armes qui s’appliquent aux parties[11]. Il est à noter que cet arrêt a été rendu en juillet 1998, alors qu’en mars, la Cour EDH avait rendu l’arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd, dans lequel la France était condamnée tant pour pour la présence de l’avocat général au délibéré et la non communication de ses conclusions, que pour la non communication à l’identique du rapport du conseiller rapporteur, dans la procédure pénale.

Dans l’affaire Kress[12], la question était posée à la Cour EDH, de savoir si l’intervention du commissaire du gouvernement garantissait le respect de l’égalité des armes et du contradictoire, alors qu’il participait activement à l’instruction, et recevait communication du rapport du conseiller rapporteur comprenant le projet d’arrêt, et qui n’était pas communiqué aux parties. La requérante faisait valoir que le déséquilibre était le même que celui relevé dans l’arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd.

Les conclusions de l’arrêt Kress donnent en partie raison au requérant, mais exonèrent sur certains points la France pour des motifs très critiquables, probablement plus diplomatiques que juridiques.

Le gouvernement français se défendait en affirmant que le commissaire du gouvernement n’est pas un avocat général mais un juge, qui participe au délibéré mais sans y prendre part, ce que la doctrine relèvera ironiquement en évoquant “le juge qui se tait”.

En réponse, la Cour EDH conteste que le commissaire du gouvernement français puisse être considéré comme un juge, qui simplement ne voterait pas au cours du délibéré, “car un juge ne saurait, sauf à se déporter, s’abstenir de voter” (§ 79). La Cour EDH met en évidence le caractère commun des ministères publics devant une cour suprême, reconnaissant à la fois leur indépendance et le caractère particulier de leur mission, qui est de veiller à l’unité de la jurisprudence et à la qualité de la justice rendue. Comme le remarque Frédéric Rolin, “cette communauté de nature entre les différents ministères publics indépendants fonde une communauté de régime”[13]. Le commissaire du gouvernement ne doit donc pas assister au délibéré.

Quant à ses conclusions, leur importance justifie que le contradictoire soit respecté. Mais paradoxalement, la Cour considère que le contradictoire est malgré tout respecté du fait que les avocats qui le demandent peuvent avoir connaissance avant l’audience du sens général des conclusions du commissaire du gouvernement, et qu’ils peuvent y répondre par une note en délibéré.

Cette dernière affirmation appelle plusieurs critiques.

Tout d’abord, à l’époque où a été rendu l’arrêt Kress, en 2001, la note en délibéré, qui, selon le manuel de contentieux administratif de René Chapus[14], ne serait qu’une simple tolérance, n’était pratiquement jamais utilisée. De plus, “elle ne repose sur aucun fondement textuel ou même seulement jurisprudentiel”, elle est “un véritable fantôme juridique” et “n’est dotée d’aucun statut organisé”[15]. Ce n’est que postérieurement à l’arrêt Kress, dans l’arrêt Leniau[16], que le Conseil d’Etat va construire de manière purement prétorienne le régime de la note en délibéré. En décidant que la note en délibéré suffit à assurer le respect du contradictoire, la Cour EDH use d’un artifice qui lui évite de sanctionner le commissaire du gouvernement.

De plus, l’égalité des armes n’est en réalité pas respectée, du fait que le commissaire du gouvernement ne se voit imposer aucun délai alors que le requérant ne dispose que d’un délai très bref que ne peut compenser la haute technicité des avocats aux Conseils, et ceci d’autant moins que le ministère d’avocat n’est pas toujours obligatoire devant le Conseil d’Etat.

Enfin, la Cour n’évoque pas le fait que le rapport du conseiller rapporteur n’est pas communiqué aux parties, ce qui, semble-t-il d’après l’exposé des prétentions de la requérante au § 56 de l’arrêt, n’avait pas été invoqué par la requérante.

Par ailleurs, la Cour EDH décide, dans cet arrêt, que le commissaire du gouvernement ne doit plus participer au délibéré, au motif que, lorsque le commissaire du gouvernement a rendu des conclusions défavorables au requérant, et que ce dernier voit le commissaire du gouvernement se retirer avec les juges qui vont délibérer, il éprouvera “un sentiment d’inégalité”, et qu’au nom de cette apparence d’inégalité, le commissaire du gouvernement ne devra plus assister au délibéré.

C’est avec le rôle du commissaire du gouvernement devant les juridictions administratives françaises, que celui de l’avocat général présente le plus d’affinités.

Notes et références

  1. 30 octobre 1991, Borgers c/ Belgique.
  2. 20 février 1996, Vermeulen c/ Belgique
  3. 1 et 2.
  4. 27 mars 1998, J.J. c/ Pays-Bas, § 43.
  5. 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane Kaïd c/ France
  6. 25 janvier 2000 Slimane Kaïd c/ France
  7. Frédéric Rolin, Note sous l’arrêt CEDH du 7 juin 2001, Kress c/ France, AJDA, 20 juillet- 20 août 2001, 677.
  8. CE 9 décembre 1970, Dame veuve James.
  9. CE 10 juillet 1957 Gervaise
  10. CE 10 juillet 1957 Gervaise.
  11. CE 29 juillet 1998 Esclatine.
  12. 7 juin 2001, Kress contre France.
  13. Frédéric Rolin, Note sous l’arrêt CEDH du 7 juin 2001, Kress c/ France, AJDA, 20 juillet- 20 août 2001, 681.
  14. René Chapus, Droit du contentieux administratif, Montchrétien, 9e édition, 2001.
  15. Frédéric Rolin, Note sous l’arrêt CEDH du 7 juin 2001, Kress c/ France, AJDA, 20 juillet- 20 août 2001, 682.
  16. CE 12 juillet 2002 Leniau.