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L'avocat général devant la CJCE et le droit à un procès équitable selon l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (eu)/Aspects incompatibles avec le droit à un procès équitable

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L'avocat général devant la CJCE et le droit à un procès équitable selon l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme >
La compatibilité avec l’article 6 § 1 CEDH, du rôle de l’avocat général devant la CJCE

L’inexistence d’un droit de réponse

S’il est vrai que la fonction d’avocat général devant les juridictions nationales, tel que décrit dans les arrêts Delcourt et Borgers, ne pouvait être transposé tel quel à la fonction d’avocat général devant la CJCE, toutefois, l’évolution de la jurisprudence de la Cour EDH y conduit progressivement mais sûrement. Entre l’arrêt Borgers de 1991 et l’arrêt Voisine de 2000[1], se dégage progressivement l’idée que tout document susceptible d’influencer une juridiction, doit pouvoir être discuté par les parties. En ce sens, la Cour affirme dans l’arrêt Niderhöst-Hüber[2], qu’ “il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice: elle se fonde, entre autres, sur l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce du dossier”(§ 29).

Le fait qu’un tel document non communiqué à toutes les parties émanerait, comme le dit la Cour de justice dans l’arrêt Emesa Sugar, “d’un membre de l’institution elle-même” n’enlève rien à la frustration de la partie qui aurait souhaité répliquer. Et nous avons vu qu’on ne peut à la fois soutenir que les conclusions de l’avocat général sont importantes, et qu’il n’y a pas de violation du contradictoire lorsqu’on ne peut y répliquer.

Le fait que, devant la Cour de justice, les particuliers ne sont concernés que par des questions préjudicielles ne change rien à l’affaire. Bien que la procédure préjudicielle soit en elle même “une procédure non contentieuse, sans parties, exprimant une coopération de juge à juge”[3], la Cour EDH a néanmoins jugé que l’article 6 § 1 est également applicable aux questions préjudicielles posées devant une cour constitutionnelle nationale, si la réponse à la question est déterminante pour l’issue du litige. Ainsi a-t-elle affirmé dans les arrêts du 26 juin 1993 Ruiz Mateos c/ Espagne, 16 septembre 1996 Süßmann c/Allemagne, 1er juillet 1997 Pammel c/Allemagne, et 3 mars 2000 Krcmàr c/ République tchèque, que les garanties de l’article 6 § 1 s’appliquent également lorsqu’une juridiction nationale statue dans le cadre d’une question préjudicielle. Pourquoi en irait-il autrement lorsqu’il s’agit de la Cour de justice, alors que précisément, le juge national ne doit poser de questions préjudicielles que lorsque la réponse à ces questions est déterminante pour l’issue du litige[4] ?

La possibilité existe puisque l’article 61 du règlement de procédure de la Cour permet la réouverture de la procédure orale, comme le soulignait la CJCE dans l’arrêt Alvarez[5], mais cette réouverture demeure à la discrétion de la Cour: Précisément, dans cette même affaire, la réouverture de la procédure orale avait été refusée par la Cour au Parlement qui la demandait, au motif qu’ “admettre cette demande, reviendrait à donner aux parties la possibilité de discuter les conclusions de l’avocat général alors que celles-ci constituent le terme de la procédure orale aux termes de l’article 59 § 2 du règlement de procédure. Au surplus, le Parlement a eu l’occasion, lors de la procédure orale, de répondre à une question de l’avocat général sur le point litigieux”[6]. Et dans l’affaire Locamion[7], où la requérante, avait présenté des observation écrites après le prononcé de ses conclusions par l’avocat général, la Cour avait conclu à l’inutilité d’une réouverture de la procédure orale, que par ailleurs la requérante n’avait pas demandé.

On voit là nettement le caractère discrétionnaire de la décision de réouverture des débats. “Ne serait-il pas dans l’intérêt d’un procès équitable que de prévoir de manière générale, le droit à la réplique?” demande Dean Spielman[8]. Il est vrai, poursuit-il, que “l’avocat général pose souvent à l’audience des plaidoiries des questions aux parties avant de prendre ultérieurement ses conclusions en s’étant entouré de tous les renseignements nécessaires”. Mais cela ne règle pas la question de l’impossibilité pour les parties de répliquer.

Les difficultés pour la mise en pratique ne sont pas insurmontables, mais une telle modification nécessiterait l’approbation unanime du Conseil, en vertu de l’article 245 du traité CE et augmenterait les problèmes de traduction et de délai.

La théorie des apparences

La théorie des apparences pourrait être un argument pour contester la compatibilité du rôle de l’avocat général devant la CJCE avec l’article 6 § 1 CEDH.

Cette théorie, directement inspirée de la jurisprudence anglaise, se voit souvent résumée par l’adage de Lord Hewart: “la justice ne doit pas seulement être rendue, mais on doit voir qu’elle a été rendue”.

Une première mention est faite de cette théorie des apparences par la Cour EDH dans l’arrêt Delcourt de 1970 (§§ 30 et 31), où, tout en notant que la fonction d’avocat général devant la Cour de justice garantissait mieux l’indépendance de celui-ci que la fonction d’avocat général devant la cour de cassation belge, la Cour avait relevé que le système belge n’était certes pas “très heureux”, mais qu’ “en regardant au-delà des apparences, la Cour n’aperçoit aucune réalité contraire à ce droit”.

“Le rôle de l’apparence a néanmoins évolué dans la manière dont la Cour contrôle l’impartialité des tribunaux”[9]. Par la suite, la Cour va prendre acte de l’évolution de la sensibilité des justiciables, vis-à-vis de ce qui leur est donné à voir de la justice.

Ainsi, l’arrêt Borgers de 1991 prend en compte “l’importance attribuée aux apparences et à la sensibilité accrue du public aux garanties d’une bonne justice (pt.24).

Cette évolution de la jurisprudence de la Cour EDH va inciter les requérants devant la CJCE, à invoquer de plus en plus le droit à un procès contradictoire, et donc à critiquer le rôle de l’avocat général. Toutefois, la diversité découlant de facteurs historiques des systèmes juridiques des pays adhérents de la Convention EDH, ne rend pas leur uniformisation forcément souhaitable. Concernant la CJCE, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, dans ses conclusions du 26 juin 2001 (affaire C-480/99 P[10] ), écrit à propos de la jurisprudence de la Cour EDH en la matière, et afin d’en souligner le caractère excessif, que “cette jurisprudence a été confirmée à de nombreuses reprises sans que l’entière impartialité et l’indépendance des différents acteurs judiciaires présents à la cause, l’impartialité et l’indépendance qui imprègnent les actes dont ils sont les auteurs, aient pu infléchir ce raisonnement, fût-ce de façon mineure. Il semble que l’on voudrait imposer une vision unique de l’organisation de la procédure sans en expliquer la nécessité au-delà de la “théorie des apparences” ”.

Mais enfin, même si d’aucuns considèrent que la Cour EDH fait un usage “tyrannique” de la théorie des apparences, et bien plus, qu’elle l’utilise “en fonction des objectifs stratégiques qu’elle entend poursuivre[11]”, il n’en demeure pas moins que, le fait que l’avocat général devant la CJCE ait le dernier mot, paraît difficilement compatible avec le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 CEDH, surtout lorsque la Cour n’est pas suffisamment explicite sur ses raison de refuser la réouverture de la procédure orale.

Notes et références

  1. CEDH 8 février 2000 Voisine c/France.
  2. CEDH 18 février 1997 Nideröst-Huber c/ Suisse
  3. Denys Simon, Le système juridique communautaire, PUF, 3e édition, 2001, p.662.
  4. C- 18/93, 17 mai 1994, Corsica Ferries
  5. 206/81, 6 octobre 1982, Alvarez c/ Parlement européen
  6. arrêt Alvarez pt.9.
  7. C- 8/96, 11 décembre 1997, Locamion S.A. Directeur des services fiscaux d’Indre-et-Loire
  8. Dean Spielmann, “L’indépendance de l’avocat général de la Cour de justice des Communautés européennes face à l’égalité des armes et au principe du contradictoire”, RTD de l’Homme, Bruxelles, n°43, juillet 2000, 511.
  9. Stéphanie Gandreau, La théorie de l’apparence en droit administratif: vertus et risques de l’importation d’une tradition de Common Law, Revue du droit public, n° 2-2005, 321.
  10. C- 480/99 P, 10 janvier 2002, Plant e.a. c/ Commission et South Wales Small Mines.
  11. Stéphanie Gandreau, La théorie de l’apparence en droit administratif: vertus et risques de l’importation d’une tradition de Common Law, Revue du droit public, n° 2-2005, 341.