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Liberté d'expression et les bandes dessinées (fr)

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La Bande dessinée est un art.

« Un art reconnu ». Il est reconnu par les acteurs de la culture, par les institutions de la République et par les médias. Différentes institutions[1] et manifestations[2] sont consacrées à la Bande dessinée. Elle reçoit le titre prestigieux de neuvième art[3] . La Bande dessinée présente des « caractéristiques techniques spécifiques »[4]. C’est un procédé narratif qui mêle texte et image, sa stricte définition étant la suivante : récit fait d'images dessinées, parmi lesquelles s’insèrent des réserves blanches appelées « bulles », « ballons » ou « phylactères » destinés à accueillir un texte (dialogues, discours, commentaires, onomatopées, etc)

La Bande dessinée est aussi un média.

C’est un moyen de communication, et en tant que tel, la bande dessinée(BD) peut servir à véhiculer un message. Dans un Etat démocratique, tout média et, en ce qui nous concerne, les bandes dessinées doivent pouvoir se développer en s’appuyant sur des libertés fondamentales telle que la liberté d’expression. La liberté d’expression correspond à la liberté d’exprimer ses opinions. Ce "bijou" doit partager la devanture avec bien d’autres libertés, dans un esprit de complémentarité plutôt que d’opposition : cette conciliation entre les libertés constitue l’équilibre dont la recherche perpétuel ne saurait lasser tout Etat arguant d’avoir des fondements démocratiques. Néanmoins, la fougue que fait naître la liberté d’expression chez celui qui s’en empare doit parfois être canalisée, tempérée, en vu de faire respecter les libertés d’autrui, la dignité de la personne humaine, l’ordre public et bien d’autres valeurs démocratiques. Toutefois, il ne faudrait pas que, sous couvert du masque de la vertu ou pour cause de puritanisme, brider notre chère liberté d’expression.

Quelles sont les limites que le « législateur » ne devrait pas franchir ? Tenter de répondre à cette question c’est vouloir partir dans une quête interminable ou explorer les profondeurs abyssales, car la réponse, loin d’être d'ordre légal et surtout d’ordre moral. Pour l’instant, il s’agit de constater soit l’éventrement soit la gloire de la Liberté d’expression à travers sa descendance, dite les bandes dessinées, née d’un entrelacement avec des esprits créatifs.

Sommaire

La bande dessinée

Les origines de l’expression « bande dessinée »

Si l’on remonte à 1959, seul le terme « phylactère » apparaît ; il n’est point fait référence à la bande dessinée.

En 1968, l’existence de la BD est brièvement reconnu par l’expression : « histoire racontée en dessins ».

Ce n’est qu’en 1971 que le terme sera officialisé : “ Dans une bande dessinée, élément graphique qui sort de la bouche d’un personnage et qui indique ses paroles.”

Jusqu’en 1980, le dictionnaire de français ignore cette notion. Un an plus tard, au moment de l’arrivée du terme anglais comics, autrement dit “ journal de bandes dessinées, le Petit Larousse illustré va consacrer la notion BD par la présentation suivante : “ bd, séquence d’images accompagnées d’un texte relatant une action dont le déroulement temporel s’effectue par bonds successifs d’une image à une autre sans que s’interrompent ni la continuité du récit ni la présence des personnages ”.

Puis, la BD est définie de manière plus précise comme une « succession de dessins organisé en séquences, qui suggère le déroulement d’une histoire ».

En 2005, elle est affirmée comme « un formidable moyen d’expression universel et en phase avec son époque ».

Un article de Francis Lacassin publié dans le Grande Encyclopédie annonce une différence entre la bande dessinée et les bandes dessinées. La première renvoie au Concept alors que les secondes sont le Produit.

Toutefois, la BD ne comporte pas uniquement des images, elle a également une dimension littérale. Rodolphe Töpffer, « considéré comme le créateur et le premier théoricien»[5] de la BD, l’avait qualifiée de “ littérature en estampes ”. En 1967, Burne Hogarth écrit : “ Certains diront qu’il ne s’agit pas purement d’un art puisqu’il dépend en partie de son contenu verbal, et pourrait bien être ainsi une sorte de littérature. ” En 1970, dans La Bande dessinée peut être éducative, Antoine Roux attribue six critères à la BD en disant que c’est une « chose imprimée et diffusée, à fin essentiellement distractive, enchaînement d’images, récit [généralement] rythmé [et qui] inclut un texte dans ses images, historiquement un phénomène américain destiné en priorité aux adultes ». Elle est aussi décrite comme une « mise en forme, au moyen d’un ensemble de relations images/textes caractérisées par l’utilisation originale de ballons, d’une histoire dont on a retenu les éléments les plus spectaculaires »[6] ou comme « expression icono-linguistique »[7] .

La BD peut faire appel à deux types de message qui relèvent de la littérature et de l’art graphique. Mais, il existe des BD muettes , c’est dire combien la « mise en texte n’est pas toujours nécessaire à la compréhension de l’histoire ».

Les régimes juridiques spécifiques aux bandes dessinées en fonction de leurs supports de communication

Les bandes dessinées peuvent épouser différents supports (presse, livre, blog ou site internet, etc) mais leur existence est indépendante de tout support. Le régime juridique varie en fonction du support par lequel la bande dessinée est rendue publique.

Une difficulté pourrait surgir dans l'hypothèse des bandes dessinées numériques, qu’elles soient numérisées après avoir été créées initialement sur papier ou qu’elles soient de nature « hybride» telles la vidéo BD. On peut citer à titre d’illustration la vidéo BD de Megalex[8] , œuvre réalisée par Alexandro Jodorowsky et Fred Beltran chez les Humanoïdes Associés. Une « vidéo BD » est conçue pour un tome de la série. Dans chaque "video BD", les bulles comportant le texte sont remplacées par une « voix-hors-champ »[9] et la succession d'images fixes est transformée en une séquence animée d’images fixes, dont le déroulement est en phase avec la narration de la "voix-hors-champ".

Lorsque le support du message est un blog ou un site Internet, l’effectivité des normes encadrant la liberté d'expression peut être remise en cause en raison des difficultés que génère "le réseau des réseaux", à savoir le caractère transnational de l’Internet, l’anonymat derrière lequel peut facilement s’abriter l’internaute.

Les bandes dessinées : presse écrite périodique, livre

Les frontières entre le livre et la publication de presse sont assez minces.

Le régime juridique de la publication de presse

L’histoire entre la presse et les bandes dessinées

A la naissance, les bandes dessinées furent hébergées par la presse écrite, avant que celle-ci ne cède son rôle, seulement qu’en partie, aux revues spécialisées.

Le grand rôle joué par la presse dans l’épanouissement de la bande dessinée, de sa naissance à sa diffusion, est purement factuel. Divers exemples le démontrent la parution en 1847, du premier feuilleton en image de Gustave Doré dans Le journal pour rire, celle de la première « BD » française, La Famille Fenouillard par Christophe, en 1889, dans l’hebdomadaire pour enfants Le petit français illustré, celle de Little Nemo in Slumberland de Windsor McKay dans le New York Herald en 1905 et l’apparition du strip : récit en une bande (généralement en 3 ou 4 cases) idéal pour les quotidiens en 1907. C’est dans le supplément jeunesse du Petit Vingtième, que paraît en 1929 Tintin, avant d’être décliné en album. De 1946 à 1975, la quasi-totalité des quotidiens français offraient entre une et douze séries de bandes dessinées par jour.

La bande dessinée continue d’occuper une place de choix dans la presse écrite. Elle a quitté le statut « de simple illustration associée au divertissement ». L’offre s’est développée depuis le milieu des années 90 avec l’autofiction, les mangas et « de nouveaux auteurs de talents dont un bon nombre féminins sont apparus ». Des journaux tels Télérama, Libération, Le Monde, consacrent des pages culturelles aux bandes dessinées. Des auteurs de BD sont sollicités pour illustrer des articles de presse. Lors des festivals BD d'Angoulême, les éditions de Libération ont déjà été entièrement illustrées par des auteurs de BD. "La pré-publication d'albums de BD dans des revues ou des journaux généralistes tend à se généraliser d'année en année. (…) Enfin, il existe de nombreuses revues consacrées à la bande dessinée, tant pour les adultes que pour les jeunes".

La qualification juridique de publication de presse et le régime juridique applicable

La loi du 29 juillet 1881 portant régime juridique de la presse définit la « publication de presse » comme « tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers ». Ce texte s’applique aux publications de presse quelque soit leur contenu, quelle que soit leur périodicité (quotidienne, hebdomadaire, bimensuelle, mensuelle, trimestrielle, etc). Lorsque la BD correspond à la définition de la presse, s’appliquent les dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

Le régime juridique de la librairie

Une définition fiscale a été donnée par la Direction générale des impôts dans son instruction du 30 décembre 1971 (3C-14-71) : « Un livre est un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre ayant pour objet la reproduction d'une œuvre de l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture. Cet ensemble peut être présenté sous la forme d'éléments imprimés, assemblés ou réunis par tout procédé, sous réserve que ces éléments aient le même objet et que leur réunion soit nécessaire à l'unité de l'œuvre. Ils ne peuvent faire l'objet d'une vente séparée que s'ils sont destinés à former un ensemble ou s'ils en constituent la mise à jour. Cet ensemble conserve la nature de livre lorsque la surface cumulée des espaces consacrés à la publicité et des blancs intégrés au texte en vue de l'utilisation par le lecteur est au plus égale au tiers de la surface totale de l'ensemble, abstraction faite de la reliure ou de tout autre procédé équivalent. »

Ouvrages répondant à la définition du livre :

  • ouvrages traitant de lettres, de sciences ou d'art ;
  • dictionnaires et encyclopédies ;
  • livres d'enseignement ;
  • almanachs renfermant principalement des articles littéraires, scientifiques ou artistiques, et plus généralement lorsque les éléments d'intérêt général ou éducatif sont prédominants ;
  • livres d'images, avec ou sans texte ;
  • guides culturels et touristiques ;
  • répertoires juridiques, bibliographiques ou culturels ;
  • catalogues d'exposition artistiques ne concernant pas de simples répertoires d'œuvres, c'est-à-dire dans la mesure où une partie rédactionnelle suffisante permet de conférer à l'ensemble le caractère d'une œuvre intellectuelle ;
  • formulaires scientifiques, juridiques ou culturels ;
  • méthodes de musique, livrets ou partitions d'œuvres musicales pour piano ou chant, ouvrages d'enseignement musical et solfèges.

Ouvrages ne répondant pas à la définition du livre

  • almanachs autres que ceux visés ci-dessus ;
  • annuaires ;
  • guides contenant des listes d'hôtels ou de restaurants, guides de villes et guides à caractère essentiellement publicitaire ;
  • catalogues ;
  • catalogues et albums philatéliques ;
  • indicateurs de chemins de fer, bateaux, tramways et publications similaires ;
  • albums à colorier, alphabets et découpages ;
  • albums d'images pour enfants conçus pour être découpés ou en vue de la constitution d'une collection ;
  • répertoires qui ne comportent que de simples énumérations ; répertoires alphabétiques de personnalités ;
  • brochures destinées à commenter le fonctionnement d'un appareil avec lequel elles sont livrées ;
  • emboîtages destinés à la présentation des livres lorsqu'ils sont vendus séparément ;
  • simples partitions qui diffusent le texte et la musique d'une chanson ; cahiers de musique pour devoirs et papier à musique ».

Une bande dessinée entre dans la catégorie du livre, lorsqu'elle constitue un « ensemble imprimé, illustré et publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d'une œuvre de l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture». Les livres d'images avec ou sans texte font partie de la catégorie des ouvrages répondant à la définition du livre. Ainsi, les bandes dessinées comportant des images avec ou sans texte, et qui adoptent la forme du livre, se voient appliquer le régime juridique organisé pour celui-ci.

La périodicité peut être difficilement considérée comme l’élément distinctif du livre et de la publication périodique dans la mesure où, certaines publications ont une périodicité irrégulière ou très espacée (almanach), alors que certains livres sont diffusés sous forme de collections ou de fascicules paraissant à intervalles réguliers.

Les bandes dessinées numériques et les régimes juridiques applicables aux acteurs d’Internet

Dématérialisée, les bandes dessinées sont consultables sur internet et sur téléphone mobile.

En Asie, les BD numériques uniquement accessibles sur Internet, les « webcomics » ou « webmangas » connaissent un succès important depuis 10 ans et constituent un vrai marché.

En France, un phénomène d’une telle ampleur n’a pas eu lieu mais il existe un festival de BD numérique et des blogs de BD qui peuvent présenter des créations « hybrides ».

Sur l'instabilité suscitée par Internet dans l'application des dispositions juridiques répressives, le groupe de travail interministériel présidé par Mme Falque-Pierrotin a précisé que : « Il n'y a pas de vide juridique, mais au contraire, pléthore de textes de droit commun applicables à Internet ». Cette position a été confirmée par le Conseil d'Etat à l'occasion de son rapport sur « Internet et les réseaux numériques ». Il s'exprimait de la manière suivante : « L'ensemble de la législation existante s'applique aux acteurs d'Internet, notamment les règles de protection du consommateur et celles qui garantissent le respect de l'ordre public. Il n'existe pas et il n'est nul besoin d'un droit spécifique de l'Internet et des réseaux : ceux-ci sont des espaces dans lesquels tout type d'activité peut être pratiqué et toutes les règles régissant un domaine particulier ont vocation à s'appliquer ».

En somme, les limitations prévues à la liberté d’expression demeurent valables dans « l’espace virtuel ».

Le régime juridique de la liberté d’expression

Le principe de la liberté d’expression est un principe fondamental en droit des médias. Il est maintes fois énoncé, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle supra-étatique.

Les sources internationales et européennes

Les textes internationaux

La Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948

A Paris, le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 217 (III) portant Déclaration universelle des droits de l’homme. Celle-ci est l’expression de l’article 2 de la Charte de l’Organisation des Nations unies (ONU) qui énonce que l’un des buts des Nations unies est de « développer et encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Déclaration universelle des droits de l’homme n’étant qu’une résolution n’a pas force obligatoire. Autrement dit, ce n’est pas une convention internationale pouvant mettre des obligations juridiques à la charge des membres de l’ONU. Il ne s’agit qu’un « idéal à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ».

La Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, prévoit en son article 19 que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

L’alinéa 2 de l’article 29 : "Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique".

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclu à New York le 16 décembre 1966

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été ratifié par la France par la loi n°80-460 du 29 janvier 1980 et par le décret n°81-76 du 29 janvier 1981.

Il a valeur de traité. En vertu de l’article 55 de la Constitution, il a une autorité supérieure à celle des lois. La force contraignante du Pacte est toutefois très limitée. Si la France a accepté par le décret n°84-418 du 25 mai 1984 de se soumettre à l’intervention d’un Comité des droits de l’homme, habilité à recevoir des plaintes des particuliers, ce comité a seulement le pouvoir de faire des « constations ».

A l’article 19 du Pacte de 1966 sur les droits civils et politique, il est précisé que : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions ». Il ajoute à l’alinéa 2 que : « Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».

Il finit par souligner que « L’exercice des libertés prévues [au deuxième alinéa] comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions, [soit au respect des droits ou de la réputation d’autrui, soit à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques]. Ces limites doivent être expressément fixées par la loi et être nécessaires.

Le Pacte prohibe, au travers de la loi, certains actes à l’article 20, « toute propagande en faveur de la guerre » et «tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence».

Les textes européens

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) du 4 novembre 1950

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) du 4 novembre 1950 est intégrée au droit interne français. Elle a valeur supérieur à celle des lois nationales. L’article 55 de la Constitution prévoit en effet que : « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ».

Les justiciables peuvent invoquer les dispositions de la Convention devant le juge français. Le juge européen affirme que : « le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l’homme » [10].

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, prévoit à l’alinéa premier de son article 9 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ».

Ce droit n’est pas absolu, et c’est l’alinéa 2 de l’article 9 qui la rappelle : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

L’article 10 de la CEDH affirme en son alinéa premier le principe de la liberté d’expression selon les termes suivants : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques et sans considération de frontière.

Ce même article pose immédiatement les limites à cette liberté dans son alinéa 2 selon lequel « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La CEDH a affirmé à plusieurs reprises, notamment dans l’arrêt Handyside du 7 décembre 1976, que « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, cette liberté vaut même pour les idées qui choquent ou inquiètent ( même si elles concernent l’Etat). « Toute restriction à la liberté d’expression n’est admissible que si elle est proportionnée à un but légitime ».

Dans l’arrêt Müller du 24 mai 1988, la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensable à une société démocratique[11] ».

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 18 décembre 2000

L’article 11 est réservé à la réaffirmation de la liberté d’expression et d’information. Ainsi, « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières ». En outre, « la liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. »

Le droit français

La liberté d’expression est tantôt encadrée par un régime répressif, tantôt par un régime préventif. En matière de régime répressif, l’exercice de cette liberté n’est subordonné à aucune autorisation préalable (exemple : la liberté d’association). Et, ne seront sanctionnées que les infractions prévues par la loi qui ont été commises. En matière de régime préventif, l’exercice de la liberté est soumis à une autorisation administrative préalable.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789

La liberté d’expression est un principe à valeur constitutionnelle, enraciné dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. « Le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle à la liberté d’expression dans deux décisions » l’une en date du 23 novembre 1977 « liberté de l’enseignement » et l’autre en date du 20 janvier 1984 « libertés universitaires ».

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est mentionnée par le préambule de la Constitution du 3 octobre 1958, par la formule suivante : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 … ». Elle fait partie du « bloc de constitutionnalité » défini par le Conseil Constitutionnel.

L’article 2 de ladite déclaration érige la liberté en droit naturel et imprescriptible, tandis que l’article 4 précise ses limites : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits ». Mais, seule la loi peut déterminer ces bornes, contrairement au premier amendement de la Constitution américaine qui dispose que « le Congrès ne fera aucune loi restreignant la volonté de la presse ». Il est « interdit de légiférer comme si la liberté ne pouvait être vraiment assurée que par la non-intervention du gouvernement ».

Selon l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, il appartient au législateur de fixer « les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens (…) ».

L’article 10 de la DDHC de 1789 annonce l’un des terrains sur lesquels les hommes sont censés jouir de cette liberté en disant que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

L’article suivant dispose que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminées par la loi  »

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

L’article 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse[12] énonce que « l’imprimerie et la librairie sont libres » ; l’article 5 de la même loi dispose que « tout journal ou écrit périodique peut être publié sans autorisation et sans dépôt de cautionnement ».

La loi du 29 juillet 1881 dresse immédiatement après la liberté de la presse écrite « un catalogue conséquent de limites, d’interdictions et de menaces de sanction. Depuis plus d’un siècle, le pouvoir politique français a fait preuve d’une imagination constante pour inventer de nouvelles limites et leur apporter de nouvelles précisions ». Ainsi, la loi de 1881 organise la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication (article 23 et suivants ). Elle prévoit les situations où « la diffusion d’opinions [peut] être interdite et susceptible d’être poursuivie[13]».

En matière de protection de l’ordre public, ne sont pas tolérés :

  • La provocation aux crimes et délits (atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité de la personne et agressions sexuelles, vols extorsions et destructions dangereuses pour les personnes)
  • L’apologie des crimes de guerre et crimes contre l’humanité (article 24)
  • La provocation à la discrimination, à la haine et à la violence (peut se confondre ou se cumuler avec le délit de diffamation ou d’injure).

S’agissant des individus, deux incriminations sont prévues la diffamation et l’injure.

A cela, il faut ajouter une obligation consistant en un droit de réponse qui peut être à la charge du directeur de la publication. En matière de presse écrite, le directeur de publication est tenu d’insérer, dans les trois jours de leur réception, les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique quotidien et, pour les autres périodicités, ou dans le numéro suivant le surlendemain de la réception. L’action en insertion forcée se prescrit après mois révolus à dater du jour de la publication (art. 13 dernier alinéa de la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 15 juin 2000).

La loi du 4 janvier 1993 a complété ces dispositions de manière à permettre à une personne qui n’aurait pas pu ou voulu exercer son droit de réponse dans les délais légaux à l’occasion de poursuites pénales dirigées contre lui, de s’en prévaloir après avoir été mise hors de cause, c’est-à-dire après une décision de non-lieu ou une décision de relaxe ou d’acquittement devenue définitive.

Les articles 29 et suivants concernent la diffamation définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé », et l’injure définie comme « toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». « Contrairement au droit commun, les imputations diffamatoires sont réputées faites de mauvaise foi, sauf preuve contraire de leur auteur. La preuve de la vérité constitue un fait justificatif en matière de diffamation susceptible de faire disparaître l’infraction. La jurisprudence exige non seulement la preuve du fait mais celle de la validité du commentaire qui l’explicite ou l’interprète ».

En outre, un régime particulier s’applique lorsque la diffamation et l’injure visent « certaines catégories de personnes (élus, cours et tribunaux) ou groupes de personnes en raison de leur origine ou appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Elles font alors l’objet de sanctions plus lourdes (articles 30, 31). Par ailleurs, certaines personnes se voient accorder une protection particulière en raison des fonctions qu’elles occupent . Des délits particuliers sont donc définis aux articles 26, 36 et 37:

  • offense au président de la République
  • offense aux chefs d’Etat et de gouvernements étrangers
  • outrage aux ambassadeurs, ministres plénipotentiaires ou autres agents diplomatiques accrédités

Dans le courant de l’année 2000, une loi en date du 15 juin supprime les peines d’emprisonnement pour ces délits.

La loi du 16 juillet 1949 relative aux publications destinées à la jeunesse

Cette loi instaure une censure a posteriori et dans certains cas une censure a priori sur les « publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse ». Selon Jacques-Pauvert[14], « il y a censure lorsqu’un pouvoir quelconque empêche, par un moyen quelconque, un ou plusieurs individus de s’exprimer librement, par le procédé qu’il a ou qu’ils ont choisi» . La censure peut encore être définie comme l’action d’interdire tout ou partie d’une communication quelconque .

Contexte historique de l’adoption de la loi

La loi du 16 juillet 1949 a été élaborée au lendemain de la seconde guerre mondiale, « par des acteurs de la Résistance aux intérêts aussi divergents que les catholiques, les communistes et les laïques, dans le triple contexte d'un antiaméricanisme militant, d'un protectionnisme culturel exacerbé et d'un projet politique de reconstruction de la société française plaçant au cœur de ses préoccupations la protection de l'enfance[15]».

A la fin de la Seconde guerre mondiale, il y a une volonté de reconstruire le pays sur de nouvelles valeurs pour éviter que les « jeunes générations » ne sombrent de nouveau dans la « barbarie et l’obscurantisme passés ». Les professeurs et éducateurs rendaient les « illustrés » responsables d’une « analphabétisation de la jeunesse ». Sera érigée, en protecteur de la jeunesse, la Commission « chargée de la surveillance et du contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence » ayant pour mission de veiller à ce que les publications destinées à la jeunesse, ne présentent pas sous un jour favorable le « banditisme », le « mensonge », le « vol », la « paresse », la « lâcheté », la « haine », la « débauche » et (à partir de 1954) les « préjugés ethniques ». Ses valeurs morales masquaient une autre réalité la défense d’intérêts allant du protectionnisme à une volonté « d’éliminer la concurrence ». Siégeaient à la Commission, non seulement des professeurs et éducateurs mais également des professionnels tels que des éditeurs.

Les éditeurs nationaux sont acculés à l’autocensure. « Le plus souvent, des studios de retouches intégrés aux maisons d’éditions eurent pour devoir d’atténuer les scènes pouvant déclencher un avis d’interdiction et tout particulièrement celles pouvant être jugées trop violentes[16] ». Ce musellement n’empêchera pas la consécration de la BD en neuvième art dans les décennies suivantes grâce à « une production de bandes dessinées en harmonie avec les goûts de la classe moyenne ».

Les dispositions juridiques

Les dispositions applicables aux publications spécifiquement destinées aux enfants et adolescents

Les règles sont applicables aux publications mais aussi aux entreprises qui sont responsables de les éditer.

Les publications dont s'agit sont celles « périodiques ou non, qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents » (article 1er de la loi), à l'exclusion des publications officielles (sans doute considérées arbitrairement comme irréprochables) et des publications scolaires déjà soumises au contrôle du ministre de l'Éducation nationale.

"Toute entreprise ayant pour objet la publication ou l’édition d’un périodique visé à l’article premier doit être soit une association déclarée, soit une société commerciale régulièrement constituée. Elle doit être pourvue d’un comité de direction d’au moins trois membres dont la composition doit être conforme au présent article. Les noms, prénoms, et qualité de chaque membre du comité figurent obligatoirement sur chaque exemplaire (article 4 de la loi)".

"Avant la publication de tout écrit périodique visé à l’article premier ou, pour les publications déjà existantes, dans les six mois de la promulgation de la présente loi, le directeur ou l’éditeur doit adresser au garde des sceaux, ministre de la justice, une déclaration indiquant, outre le titre de la publication, les nom, prénoms et adresse du directeur, des membres du comité de direction et, le cas échéant, des membres du conseil d’administration ou des gérants, ainsi que la dénomination et l’adresse de l’association ou de la société. Tous changements affectant les indications fournies dans la déclaration doivent faire l’objet d’une nouvelle déclaration dans le délai d’un mois".

"Aux termes de l’article 2 de la loi du 16 juillet 1949, les publications visées à l’article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques. Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse".

"Les infractions aux dispositions de l’article 2 sont punies d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 [euros] Outre la publication du journal dans divers documents, le tribunal ordonne la saisie et la destruction des publications incriminées, aux frais du ou des condamnés. Lorsque l’infraction a été commise par la voie d’une publication périodique, le jugement peut ordonner la suspension de celle‐ci pour une durée de deux mois à deux ans".

"En cas de récidive, les responsables sont passibles d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 7 500 [euros]. En outre, s’il s’agit d’une publication périodique, l’interdiction temporaire est ordonnée et l’interdiction définitive peut être prononcée. Sont punis des peines prévues à l’alinéa précédent le directeur de publication et l’éditeur qui ont enfreint une décision de suspension ou d’interdiction. Les associations reconnues d’utilité publique dont les statuts, agréés par le garde des sceaux, ministre de la justice, et le ministre de l’intérieur, prévoient la défense de la moralité, les associations de jeunesse ou d’éducation populaire agréées par le ministre de l’éducation nationale, peuvent, en cas d’infraction aux dispositions de l’article 2, exercer les droits reconnus à la partie civile par les articles 85 et 418 et suivants du Code de procédure pénale".

"L’article 13 prohibe de manière absolue :

  • D’une part l’importation pour la vente ou la distribution gratuite en France des publications destinées à la jeunesse ne répondant pas aux prescriptions de l’article 2.
  • D’autre part l’exportation de ces mêmes publications, lorsqu’elles ont été éditées en France.

Indépendamment des pénalités qui peuvent être infligées en vertu de la réglementation douanière, les importateurs, exportateurs ou transitaires qui auront participé sciemment aux délits visés par l’article 2 seront passibles des peines prévues à l’article 7".

"Cet article subordonne l’importation pour la vente ou la distribution gratuite en France de publications étrangères destinées à la jeunesse à l’autorisation du ministre chargé de l’information, prise sur avis favorable de la commission chargée de la surveillance et du contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence."

Les dispositions restreignant la diffusion des publications non spécifiquement destinées aux enfants et aux adolescents

Ici, le régime est préventif dans la mesure où une autorité administrative (le ministre de l'Intérieur de surcroît) est dotée du pouvoir de prendre un acte unilatéral ayant pour effet d'entraver l'exercice d'une liberté fondamentale.

"L’article 14 confère au ministre de l'intérieur le pouvoir d’interdire :

  • de proposer, de donner ou de vendre à des mineurs de dix-huit ans les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère licencieux ou pornographique, ou de la place faite au crime ou à la violence, à la discrimination ou à la haine raciale, à l'incitation, à l'usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants
  • d'exposer ces publications à la vue du public en quelque lieu que ce soit, et notamment à l'extérieur ou à l'intérieur des magasins ou des kiosques, et de faire pour elles de la publicité par la voie d'affiches ;
  • d'effectuer, en faveur de ces publications, de la publicité au moyen de prospectus, d'annonces ou insertions publiées dans la presse, de lettres-circulaires adressées aux acquéreurs éventuels ou d'émissions radiodiffusées ou télévisées."

"Toutefois, le ministre de l'intérieur a la faculté de ne prononcer que les deux premières, ou la première, de ces interdictions. Les publications auxquelles s'appliquent ces interdictions sont désignées par arrêtés, publiés au Journal officiel de la République française, qui, en ce qui concerne les livres, doivent intervenir dans un délai d'un an courant à partir de la date de la parution. La commission chargée de la surveillance et du contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence a qualité pour signaler les publications qui lui paraissent justifier ces interdictions."

"La vente ou l'offre couplée des publications définies à l'article 1er de la présente loi, avec des publications visées à l'alinéa précédent du présent article, est interdite."

"Aucune publication ne peut faire état de ce qu'elle n'a pas fait l'objet des interdictions précitées, ni comporter aucun texte ou mention de nature à faire inexactement croire à une autorisation des pouvoirs publics."

"Les infractions aux dispositions des précédents alinéas du présent article sont punies d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 euros. Les officiers de police judiciaire pourront, avant toute poursuite, saisir les publications exposées au mépris des dispositions de l'alinéa 2 ci-dessus ; ils pourront également saisir, arracher, lacérer, recouvrir ou détruire tout matériel de publicité en faveur de ces publications. Le tribunal prononcera la confiscation des objets saisis."

"Quiconque aura, par des changements de titres, des artifices de présentation ou de publicité, ou par toute autre manoeuvre, éludé ou fait éluder, tenté d'éluder ou de faire éluder l'application des interdictions prononcées conformément aux cinq premiers alinéas du présent article, sera puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 6 000 euros."

"En outre, et sous les mêmes peines, le tribunal pourra interdire, temporairement ou définitivement, la publication du périodique et ordonner la fermeture totale ou partielle, à titre temporaire ou définitif, de l'entreprise d'édition. Toute condamnation à plus de dix jours d'emprisonnement, pour les délits prévus au présent alinéa, entraînera, pendant une période de cinq ans à compter du jugement définitif, privation des droits visés à l'article 42, 1° et 2°, du code pénal."

"Lorsque trois publications, périodiques ou non, éditées en fait par le même éditeur, ont ou auront été frappées, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 16 juillet 1949 et au cours de douze mois consécutifs, de deux des prohibitions prévues aux deuxième, troisième et quatrième alinéas du présent article, aucune publication ou aucune livraison de publication analogue, du même éditeur, ne pourra, durant une période de cinq ans courant du jour de l'insertion au Journal officiel du dernier arrêté d'interdiction, être mise en vente sans avoir été préalablement déposée, en triple exemplaire, au ministère de la justice, et avant que se soient écoulés trois mois à partir de la date du récépissé de ce dépôt. Le fait, de la part de l'éditeur ou du directeur de publication, de ne pas accomplir le dépôt prévu ci-dessus ou de mettre la publication dans le commerce avant la fin du délai de trois mois précité, sera puni des peines et entraînera l'incapacité prévues à l'alinéa précédent."

"Quand, pendant la période de cinq ans susvisée, l'éditeur astreint au dépôt préalable ne se sera pas acquitté des obligations découlant de celui-ci, ou aura encouru deux autres interdictions prononcées en vertu de l'article 14, la durée d'assujettissement audit dépôt sera prolongée de cinq années, cette prolongation partant de l'expiration du délai de cinq ans initial."

"A l'égard des infractions prévues par les huitième, dixième, onzième et douzième alinéas du présent article, le directeur de publication ou l'éditeur sera poursuivi en qualité d'auteur principal ; à son défaut l'auteur et, à défaut de l'auteur, les imprimeurs et distributeurs seront poursuivis comme auteurs principaux. Lorsque l'auteur n'aura pas été poursuivi comme auteur principal, il sera poursuivi comme complice. Pourront être poursuivis comme complices, et dans tous les cas, toutes personnes auxquelles l'article 60 du code pénal est applicable."

La loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard)

La liberté d’expression est inhérente à tout média. Par conséquent, « la communication au public par voie électronique est libre ».

L’absolutisme n’est pas admis comme caractéristique de cette liberté.

Des limites bien déterminées sont définies au deuxième alinéa : « L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion et, d'autre part, par la protection de l'enfance et de l'adolescence, par la sauvegarde de l'ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle ».

La compétence de police générale

Les autorités de police (Maire au niveau local, Préfet au niveau départemental et Ministre) peuvent prendre des mesures d’interdiction quand l’exercice d’une liberté est susceptible de menacer l’Ordre Public, expression qui renvoie à la trilogie sécurité, salubrité et tranquillité publiques et élargie en 1995 par le Conseil d’Etat à la moralité publique.

Dans l’arrêt Benjamin en date de 1933, le Conseil d’Etat parle spécifiquement de la liberté d’expression : « La mesure d’interdiction prise par les autorités de police ne peut intervenir qu’en cas de trouble à l’Ordre public impossible à contenir autrement que par l’interdiction ».

La bande dessinée : entre liberté d’expression et censure

La croissance des bandes dessinées malgré la réprobation grandissante

Dès la fin du XIXème siècle, en France comme dans d’autres pays européens, la B.D. est essentiellement destinée aux enfants, comme en témoigne la parution en 1889 de la Famille Fenouillard dans les pages du Petit Français illustré, celle de Bécassine, le 2 février 1905, dans le premier numéro de la Semaine de Suzette (magazine pour fillettes), ou encore celle des Pieds nickelés pour la première fois le 4 juin 1908 dans la revue L'Épatant. Certaines œuvres fantastiques font exception telle Little Nemo .

La bande dessinée est très rapidement critiquée, parfois de manière virulente par des groupes soucieux de la morale et de l’éducation. Pourtant, le médium est utilisé par ces mêmes individus pour véhiculer leur message idéologique ou religieux et influencer le public. C’est le cas dans l’Italie fasciste, où les histoires en images sont utilisées dans un but de propagande en faveur des « hauts faits du fascisme et de la gloire du Duce ». En France, le texte paraît sous les vignettes "lors de la production pour toutes les [BD] produites sur place, mais également pour les traductions". Ainsi les premiers albums de Popeye, par exemple, ont vu leurs bulles de dialogue s’évanouir pour faire place à du texte sous le dessin. La bulle apparaît dans la série de bande dessinée Zig et Puce créée en 1925 par Alain Saint-Ogan. Le succès de cette série « impose irrévocablement le phylactère en France. »

Après la Première Guerre mondiale, la bande dessinée européenne s’imprègne fortement des « nouveautés venues d'outre-Atlantique ». Mickey (rebaptisé Topolino) connaît un succès immense en Italie dès la fin des années 1920. En 1934, Paul Winkler publie en France le Journal de Mickey qui présente la production américaine et porte le nom du Héros. Ces traductions ne plaisent pas à tout le monde et suscitent parfois la colère de groupes politiques ou religieux. Ces derniers, avec la prétention de vouloir moraliser la jeunesse, « réclament des mesures protectionnistes ». Ils réussissent à faire interdire certaines bandes dessinées.

La loi sur les publications destinées à la jeunesse sera votée en 1949 par le Parlement français. Mais, celle-ci pliera sous le poids « des changements plébiscités par les lecteurs ». Des œuvres devenues des « classiques intemporels » ont su se frayer leur chemin au travers « des règles contraignantes des publications pour la jeunesse ». Pour illustration, Blake et Mortimer de Jacobs (1946), Jerry Spring de Jijé (1954), Gaston Lagaffe de Franquin (1954), Chlorophylle de Macherot (1954).

Dans les années 1960, avec le profond changement social, la bande dessinée européenne ne s’adresse plus uniquement aux enfants. D’autres publics seront invités à la lecture de la BD grâce à des créations nouvelles qui ont pour thème l'érotisme, la politique, et qui manient un « humour plus caustique ». Astérix le Gaulois (de Goscinny et Uderzo, 1961), qui connaît un succès international, « multiplie les niveaux de lecture et les registres humoristiques ». Les pages d'Hara Kiri et Charlie Hebdo, sous la plume de Reiser, Gébé, Cabu ou Wolinski, abritent des commentaires politiques parfois vifs. Avec Barbarella (1962) de Jean-Claude Forest, l'érotisme se fait une place dans le genre.

Au cours des années 1970, sont lancés des périodiques plus expérimentaux (l'Écho des savanes, Métal Hurlant et À Suivre en France...) dans lesquels les auteurs délaissent « progressivement le format des séries pour des récits plus atypiques ou personnels ». Jean Henri Gaston Giraud, ayant eu à travailler sous les pseudonymes Moebius et Gir, est un artiste emblématique en la matière. Il « entreprend d'élaborer des récits de science-fiction qui s'apparentent à des expériences mentales magnifiquement mises en images ».

Bien qu’ayant eu un impact très fort en Europe, ces revues n’accompagnent pas la nouvelle évolution de la BD et feront presque toutes leurs adieux à la scène dans la décennie 1990. Dans le même temps, le marché des albums se développe. Des best-sellers s’inscrivent dans les traditions héritées des années 1950 à 1970 avec certains auteurs comme Enki Bilal, François Bourgeon, André Juillard, Lorenzo Mattotti, François Schuiten ou Jacques Tardi. Des petites structures éditoriales offrent la possibilité aux auteurs de naviguer dans des univers jusqu’alors non explorés : l’auto-fiction, le journal intime, le récit de voyage...

Les années 1990 voient également déferler en Europe les mangas[17] Les amateurs occidentaux ont d'abord découvert les mangas, sous forme de programmes spécifiques destinés aux enfants. Les mangas les plus appréciés étaient adaptés en dessins animés, destinés à être diffusés à la télévision. Le public des mangas est varié. Sont en effet visées toutes les tranches d’âge, des deux sexes.

Des exemples de la mise en œuvre de la loi du 16 juillet 1949 contre les bandes dessinées

Le Dictionnaire des livres et journaux interdits rassemble les publications, victimes de la loi du 16 juillet 1949[18]. Parmi ces textes jugés coupables, figurent un grand nombre de bandes dessinées dont Mandrake, Blake et Mortimer, Buck Danny, Alix, ou Barbarella[19] de Jean-Claudae Forest, édité par Eric Losfeld fin 1964 . 1954 est l’« année record des publications pour la jeunesse interdites d’importation (article 13) » dont neuf titres belges des éditions Dupuis et du Lombard, des œuvres notamment d’Edgar P. Jacobs (Blake et Mortimer), Jean-Michel Charlier (Buck Danny) et Peyo.

Le 22 janvier 1954, sont interdites les Romans en images et les Grands Romans dessinés. Jusqu’au début des années 1960, ce sont principalement les productions belges qui vont être les cibles de la Commission car elle pouvait en interdire l’importation. C’est le cas pour « l’album n°2 de Boule et Bill par Roba, jugé trop cruel à l’encontre des animaux[20]». Subiront un sort équivalent « les albums d’Alix par Jacques Martin, les Légions perdues et La Griffe noire soupçonnés d’être respectivement une oeuvre de propagande d’extrême gauche puis d’extrême droite et Billy the Kid de Morris parce que l’on y voit un bébé téter un revolver ».

Le 18 janvier 1983, un pocket de bande dessinée d’origine italienne, Abeilles meurtrières, édité par Georges Bielec (Electrochoc n°1) passe sous la trappe de la censure. Il s’agissait comme l’explique les auteurs du Dictionnaire des livres et revues interdits de « deux épisodes de Tania la vampire qui poursuit un pervers sexuel provoquant des accidents pour s’exciter, puis un apiculteur homosexuel qui tue ses ennemis avec ses abeilles ». Le 25 juillet de la même année, A Armes inégales, un autre pocket de bande dessinée d’origine italienne, édité par Georges Bielec (Electrochoc n°1 et Electrochoc n°6) subit le même sort. Tania la vampire était cette fois-ci assaillie par des morts-vivants dans le chalet de celui qui devient dans cet épisode son amant, le journaliste Bill Thompson qui connaît son secret.

Hara-Kiri, le « journal bête et méchant » commence à paraître en en septembre 1960 . Ce mensuel satirique signe la naissance de la bande dessinée pour adulte. « Volontairement provocateur, Hara Kiri publiera notamment les dessins de Wolinsky, Reiser, Cabu  ». Il sera examiné par la représentante du ministre de l'Information, à la demande de la Commission de surveillance qui estime que cette publication « comporte des articles et dessins assez douteux». Le 2 mars 1961, elle est jugée «à la limite du tolérable». Constatant que «Hara Kiri circule dans les lycées », le ministère de l'Education nationale considère qu' « il a vraisemblablement une influence néfaste qu'il faudrait combattre». « L'interdiction est décidée après la parution de neuf numéros, le dixième sorti de l'imprimerie n'étant pas encore distribué ». En février 1962, Hara-Kiri sera autorisé à reparaître pour de nouveau être confronté à la censure.

Voir aussi

Bibliographie

  • « La bande dessinée : art reconnu, média méconnu », sous la direction de Éric Dacheux, avec la collaboration de Jérôme Dutuel, Sandrine Lepontois, édition Hermès, n°54.
  • Patrick Wachsmann, « La loi du 16 juillet et la liberté d’expression »
  • Annie Baron-Carvais, La Bande dessinée, P.U.F. Que sais-je ? 2007, p. 3-6, De l’image à la bande dessinée.

Liens externes

Note et références

  1. La Cité internationale de la bande dessinée et de l’image qui renferme un musée de la bande dessinée est un bon exemple.
  2. Le festival international de la bande dessinée d’Angoulême
  3. La bande dessinée a souvent été désigné comme le « neuvième art » d’après une série d’articles Neuvième Art, musée de la bande dessinée signé par Morris dans le Journal de Spirou entre 1964 et 1967. Cette qualification « a été reprise et popularisée par Francis Lacassin dans son livre Pour un neuvième art, la bande dessinée.
  4. « La bande dessinée : art reconnu, média méconnu », sous la direction de Éric Dacheux, avec la collaboration de Jérôme Dutuel, Sandrine Lepontois, édition Hermès, n°54.
  5. Une présentation de l'auteur sur Wikipédia
  6. P. Fresnault-Deruelle, Dessins et bulles, Bordas, 1972
  7. P. Ferran, Place et rôle de la science-fiction dans l’enseignement de la littérature au 1er cycle, thèse d’État, Sorbonne, 1981
  8. Site de Megalex
  9. Le terme « hors-champ » renvoie à un élément présent dans la scène mais pas à l'image, alors que la voix off ne fait pas partie de la scène.
  10. (CEDH, Handyside c/Royaume Uni, 7 décembre 1976)
  11. CEDH, 24 mai 1988, n° 10 737/84, n° 33
  12. Loi su 29 juillet 1881 sur la liberté de la Presse
  13. Site de la Direction générale des métiers et industries culturelles du Ministère de la Culture et de la Communication
  14. Jean-Jacques Pauvert, Nouveaux et moins nouveaux visages de la censure
  15. Jean-Paul Gabilliet, On tue à chaque page !, Avant-propos
  16. Un site dédié à la bande dessinée
  17. Le terme « manga » a été inventé à la fin du XVIIIe siècle par l'artiste Hokusai. Il signifie « dessin dérisoire » et désigne à la fois la bande dessinée, le dessin animé ou le dessin d'humour.
  18. Dictionnaire des livres et journaux interdits écrit par Bernard Joubert
  19. Barbella est une voyageuse de l'espace, qui lutte contre des créatures fantastiques. Elle eut une relation avec le robot Aiktor et manque de mourir dans une machine à plaisir[1]
  20. Un site dédié à la bande dessinée