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Sursis à statuer (fr)

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Au cours d'un procès, la juridiction régulièrement saisie peut décider d'interrompre le cours de l'instance jusqu'à ce qu'un événement soit survenu. Il peut s'agir de la réconciliation d'époux en instance de divorce, d'interroger un autre juge, de l'attente du jugement d'un tribunal répressif, …

La décision de sursis à statuer est une mesure d'administration judiciaire définie par l'art. 378 du Code de procédure civile :

« La décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine ».

Le sursis à statuer est l'instrument procédural qui permet à un dossier de « redescendre en bas de la pile ». On peut l'étudier en examinant les cas dans lesquels il est autorisé, puis son régime.

Cas d'ouverture du sursis à statuer

Le sursis à statuer retarde une décision de justice

Toutefois, les art. L 111-6 et s. du Code de l'urbanisme prévoient un « sursis à statuer » au sujet de l'attribution d'autorisations. Dans ce cas, le mot « statuer » ne renvoie pas à la prise d'une décision d'ordre juridictionnel, mais à celle d'une décision d'ordre administratif (voir Sursis à statuer en droit de l'urbanisme). Autrement dit, une décision administrative peut faire l'objet de ce « sursis à statuer » propre au droit de l'urbanisme, puis être contestée devant un juge, lequel pourra à son tour surseoir s'il se trouve dans l'un des cas que nous allons voir.

On suppose que la juridiction compétente a été valablement saisie, c'est-à-dire que l'affaire a été mise en état d'être jugée, ou l'instruction achevée, que les exceptions de procédures ont été opposées en tant que de besoin et qu'un juge doive trancher le litige qui lui est soumis.

Le sursis à statuer permet d'attendre

Le sursis à statuer permet d'attendre la réalisation d'un événement ou l'écoulement d'un certain délai. De manière général, on peut dire qu'il est sursis à statuer au fond dans les référé, dont la finalité est précisément d'attendre un jugement au fond, bien que les textes ne parlent pas de « sursis à statuer ». Il en va de même s'agissant de la mise en délibéré, ou encore le renvoi de l'examen au fond d'une affaire par le Conseil de discipline d'un barreau d'avocats[1].

L'événement attendu peut être de deux types, l'un commun à toutes les juridictions, l'autre réservé au juge civil :

  • soit plusieurs autorités doivent se prononcer dans la même cause et il faut coordonner les décisions successives de différents juges afin qu'elles soient cohérentes,
  • soit les circonstances d'une affaire justifient de laisser un peu de temps aux parties.

Afin qu'il soit possible de surseoir dans ces deux types de cas, le sursis à statuer est prévu en des termes généraux par les 378 à 380-1 NCPC, qui ne définissent pas d'événement spécifique devant motiver la suspension de l'instance.

Dans le premier type de cas, le juge saisi, qu'il s'agisse du juge de droit commun ou d'un autre juge, est bien compétent, donc il est valablement saisi, mais sa décision implique de se prononcer sur des questions qui relèvent de juridictions ayant une compétence d'attribution, et il doit attendre que celles-ci se prononcent[2] :

mais également

Dans ces deux derniers cas, s'il est souhaitable que le sursis à statuer puisse servir à l'application de règles communes au niveau européen, voire international, l'allongement du procès qui en résulte s'ajoute à la longueur de la procédure au niveau national. Il faut signaler que dans ces deux cas, la formation d'un pourvoi en révision serait ouverte, d'où la possibilité de ne pas attendre que ces juridictions aient préalablement tranché.

Le sursis à statuer ne permet pas d'exciper de l'incompétence de la juridiction saisie, ce qui est l'objet des exceptions, mais lui permet de se prononcer dans le cadre de sa compétence sans empiéter sur celle d'autres juges. Ceci vaut même pour le Conseil constitutionnel[11].

Bien que traitée dans la partie du Code de procédure civile traitant des incidents d'instance, la demande de sursis à statuer est qualifiée d'exception de procédure[12], lorsqu'elle permet de ménager les compétences de chaque juge devant se prononcer dans la même affaire. Ceci signifie que, dans ce cas, la demande de sursis à statuer doit être présentée avant tout débat au fond. Cependant, la nécessité de surseoir peut apparaître au cours de l'instance car un recours peut être porté devant une autre juridiction au cours de l'instance devant le juge de droit commun. Par exemple, une partie peut verser un acte authentique à l'appui de ses prétentions et l'autre partie intenter une action en inscription de faux ; le juge civil a le choix entre écarter cette pièce, ou attendre que le juge compétent ait tranché sur son authenticité.

Dans le second type de cas, le juge civil peut jouer son rôle conciliateur, c'est-à-dire permettre aux parties de se réconcilier ou d'aboutir à une transaction. En effet, dans la procédure accusatoire qui régit le procès civil, les parties peuvent à tout moment demander au juge de patienter, ou celui-ci peut, de sa propre initiative, leur laisser un délai.

Par contre, en matière administrative, le Code de justice administrative ne prévoit de sursis à statuer que dans certains cas précis :

En matière pénale, « si les débats ne peuvent être terminés au cours de la même audience, le tribunal [correctionnel] fixe, par jugement, le jour où ils seront continués[17] ».

Régime du sursis à statuer

Caractère obligatoire du pouvoir d'ordonner le sursis à statuer

Le sursis à statuer est largement facultatif en matière civile, obligatoire en matière administrative et quasi inexistant en matière pénale.

Le sursis à statuer n'existe pas en procédure pénale parce que, entre autres, « le pénal tient le civil en l'état ». Ceci signifie que les juges civils peuvent surseoir à statuer[18], mais que les tribunaux répressifs décident en premier, sans surseoir. Ce principe a été fortement amoindri[19] et le sursis à statuer est devenu seulement facultatif pour le juge civil lorsqu'il doit se prononcer sur l'action civile, alors qu'il était initialement obligatoire dans ce cas. Cette réforme visait à accélérer les procès civils[20].

Le sursis à statuer s'impose au juge civil lorsque doit statuer le Tribunal des conflits. Le sursis à statuer est également obligatoire si le litige dont est saisi le juge de droit commun implique de prendre position sur un point de droit qui relève de la compétence attribuée à une autre juridiction[21], excepté le juge répressif. Une fois réglé les questions de compétence, lorsque le juge de droit commun, applique le droit commun, il a un pouvoir souverain d'appréciation pour décider de surseoir à statuer. Le caractère facultatif du sursis à statuer permet au juge d'anticiper la fin du sursis à statuer ou de le prolonger[22].

Par contre, obligatoire pour le juge administratif, il est de durée fixe et n'est pas susceptible de recours. Aucun des juges ayant une compétence d'attribution ne doit attendre la décision des autres[23].

Pour les juridictions des deux ordres, le sursis à statuer est obligatoire lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, sauf en matière de privation de liberté, de délai déterminé ou d'urgence[24].

En matière de procédure disciplinaire exercée par le Conseil de discipline d'un barreau, le sursis à statuer a pu être considéré comme facultatif[25]. Les dispositions enfermant une procédure disciplinaire dans un délai fixe, et celles permettant le renvoi de l'examen d'une affaire par le Conseil de discipline d'un barreau[26] aboutissent à ne pouvoir sanctionner un avocat faisant l'objet d'une procédure disciplinaire que si le jugement n'a pas été renvoyé au-delà du délai dans lequel est enfermé la procédure disciplinaire.

Sanction du pouvoir discrétionnaire d'ordonner le sursis à statuer

Le pouvoir du juge civil de décider de surseoir est discrétionnaire, mais susceptible d'appel[27], puis de pourvoi en cassation[28]. Le juge administratif est tenu de relever d'office le non respect par le juge de première instance du sursis à statuer[29]

Appel

L'appel peut être intenté contre la décision de surseoir en cas de motif grave et légitime. Cet appel est autorisé par le Premier président de la Cour d'appel, qui statue en la en la forme du référé. Si le contrôle discrétionnaire par le juge civil du litige dont il est saisi, est justifié dans le cadre d'une bonne administration de la justice, le sursis à statuer est un facteur d'allongement du procès, ce d'autant que le juge de droit commun est incité à se prononcer en dernier. Le contrôle exercé sur la décision de surseoir à statuer permet de laisser suffisamment de temps au juge, sans laisser pourrir certaines affaires, du moins en théorie.

Le renvoi de l'examen d'une affaire par le Conseil de discipline d'un barreau peut également faire l'objet d'un recours devant la Cour d'appel[30].

Pourvoi en cassation

La décision rendue en appel peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation, mais seulement « pour violation de la règle de droit », ce qui est déjà une condition du pourvoi en cassation. Ce cas dans lequel un pourvoi en cassation est possible contre une mesure d'administration judiciaire ne peut donc pas conduire la Cour de cassation à déterminer ce que doit être un « motif grave et légitime », ni à décider si un sursis à statuer dure trop longtemps. La Cour de cassation peut seulement sanctionner la décision de surseoir indéfiniment[31], qui constitue un déni de justice.[32]

La Cour de cassation rejette donc régulièrement les pourvois formés contre les décisions de surseoir en visant l'art. 380-1 NCPC, avec le chapeau[33] :

« la décision de sursis à statuer rendue en dernier ressort ne peut être attaquée par la voie du pourvoi en cassation que pour violation de la règle de droit »

et l'attendu :

« il résulte de l'arrêt que le sursis à statuer sur ces demandes a été prononcé non en application d'une règle de droit, mais dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge en vue d'une bonne administration de la justice »

Si une affaire met trop de temps à être jugée, l'État pourra voir sa responsabilité engagée pour mauvais fonctionnement de la justice.

Lorsque l'événement prévu aura eu lieu, l'instance reprendra son cours. L'indépendance du premier juge, qui peut surseoir à statuer, et celle du second juge, qui peut avaliser ce sursis, est cruciale parce que le sursis détourné de sa finalité serait conforme à la règle de droit.

Notes et références

  1. Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat (version consolidée) : JORF n° 277 du 28 novembre 1991 p. 15502
  2. Art. 49 Code de procédure civile
  3. Art. 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 telle que modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : JORF n° 287 du 11 décembre 2009 p. 21379
  4. Art. L 441-1 et s. du Code de l'organisation judiciaire
  5. Ce principe ne s'applique plus en ce qui concerne les fautes d'imprudence ou de négligence dans les infractions non-intentionnelles (Art. 4-1 Code de procédure pénale)
  6. Art. 310 et 313 NCPC
  7. 2e civ. 22 novembre 2007 : Bull. civ. 2007, II, n° 256. Soc. 11 juin 2008 n° 06-45116 (inédit)
  8. Art. 234 TCE
  9. 2e civ. 18 décembre 2008 n° 07-21004 (inédit).
  10. Com. 5 juin 2007 n° 05-21112 (inédit)
  11. Conseil constitutionnel, Décision n° 2009-21 D du 22 octobre 2009 : JORF n° 248 du 25 octobre 2009 p. 18080
  12. Com. 25 mai 1960 : Bull. civ. 1960, n° 203. Avis n° 0080007P du 29 septembre 2008 : Bulletin 2008, Avis n° 6
  13. Art. L 113-1 Code de justice administrative
  14. Art. L 224-3 CJA
  15. Art. R 546 CJA
  16. Art. R 771-2 CJA
  17. Art. 461, al. 1er CPP
  18. Art. 4 Code de procédure pénale
  19. Par la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels : JORF n° 159 du 11 juillet 2000 p. 10484, puis par l'art. 20 de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale : JORF du 6 mars 2007
  20. L'art. 20 de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale est l'article unique du chapitre V « Dispositions tendant à assurer la célérité de la procédure pénale »
  21. Art. 49 NCPC
  22. Art. 379 NCPC
  23. Crim. 11 janvier 2006 : Bull. crim. 2006 n° 16 p. 66. Conseil d'État, avis n° 322713 du 6 mai 2009 : JORF n° 120 du 26 mai 2009 p. 8721
  24. Art. 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 telle que modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : JORF n° 287 du 11 décembre 2009 p. 21379
  25. Selon une pratique contestable puisqu'elle ne s'appuie ni sur la nécessité de coordonner les décisions de plusieurs juridictions, ni sur la nécessité d'appliquer une procédure accusatoire prévoyant expressément cette possibilité
  26. Art. 195 du décret de 1991
  27. Art. 380 NCPC
  28. Art. 380-1 NCPC
  29. Conseil d'État, avis n° 322713 du 6 mai 2009, précité
  30. Art. 195 du décret de 1991
  31. La décision de sursis doit prévoir un terme ou un événement (Crim. 16 mars 1981 : Bull. crim. 1981, n° 92). Il existe des exemples de décisions renvoyant sine die le jugement : 2e civ. 21 janvier 2010 n° 08-21460 : (à paraître)
  32. Art. 4 Code civil. Crim. 2 juin 1999 n° 9884139 (inédit)
  33. 3e civ. 21 mai 2008 : Bull. civ. 2008, III, n° 95

Voir aussi

Surseoir sur le dictionnaire du droit privé de S. BRAUDO