Brevet de logiciel en Europe (int) : Différence entre versions
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+ | 2.- Le logiciel -ou programme d'ordinateur1- est à la frontière des catégories d'objets définies par le droit de la propriété intellectuelle : création s'adressant à l'esprit humain, mais employant les « forces de la nature » par le biais de la machine, à la fois œuvre de langage et « machine virtuelle », sa nature ne lui permet pas d'entrer de façon certaine dans les cadres traditionnels de la propriété intellectuelle. Le logiciel peut ainsi répondre à la fois aux exigences du droit d'auteur pour son aspect écriture du programme -expression d'une œuvre originale- et à celles du droit des brevets correspondant à l'activité d'analyse conceptuelle d'un problème permettant de trouver la solution technique la plus performante. | ||
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+ | 3.- Le logiciel bénéficie, depuis la loi n° 85-660 du 3 juillet 19852 explicitement de la protection par droit d'auteur. Le consensus autour de la protection par le seul droit d'auteur a rapidement été remis en cause, la protection de la seule forme, efficace contre la reproduction servile du logiciel est vite apparue insuffisante pour protéger une création dont la valeur essentielle réside dans la fonction. Les offices de brevet des Etats-Unis ou du Japon ont alors pris le parti d'accepter ouvertement de breveter les logiciels, et les entreprises de ces pays ont réussi, malgré l'exclusion du logiciel du domaine de la brevetabilité dans la Convention de Munich, à faire admettre des brevets sur des inventions concernant des programmes à l'OEB. | ||
+ | 4.- La pratique de l'OEB, sans que la question n'ait fait l'objet d'une réflexion de fond, ou d'une réforme législative induisant un débat démocratique, s'est peu à peu étendue à tel point qu'il semble aujourd'hui très facile de se faire délivrer un titre pour une innovation concernant un programme d'ordinateur: les rejets de demandes européennes en matière de logiciel constituent non plus la règle, mais l'exception3. | ||
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+ | 5.- Ces brevets -et les potentielles actions qu'ils impliquent- montrent les risques, inhérents au système du « tout-brevet » pratiqué outre-atlantique, en termes de cloisonnement de marché et de développement de nouveaux standards. Pour la communauté fonctionnant selon le modèle Open Source, l'appropriation des logiciels et des formats de diffusion par le brevet représente une réelle menace. Les grandes entreprises, titulaires de brevets sur ces « standards propriétaires » peuvent ainsi compromettre les principes fondamentaux d'interopérabilité et de compatibilité. Ainsi, la société Unisys a demandé en août 1999 à tous les utilisateurs du format de compression d'images 'GIF' (Graphics Interchange Format; terminaison en ".gif"), largement utilisé sur la toile, de lui payer une licence d'utilisation de 5 000 dollars en vertu d'un brevet dont elle était titulaire4; Sun Microsystems détient un brevet sur le concept d'ajout du mot de recherche à un lien hypertexte dont le W3C5 a établi qu'il était contrefait6 dans la nouvelle version de XML7. | ||
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+ | 6.- D'un point de vue plus strictement juridique, la protection du logiciel par le brevet devra s'accorder avec celle du droit d'auteur ; la conception classique n' accepterait pas le cumul de ces deux droits en n'appliquant pas le droit d'auteur quand la forme de la création est indissociable de sa fonction utilitaire8. Mais les accords ADPIC n'interdisent pas ce cumul, puisque s'ils expriment clairement le choix de protéger le logiciel par le droit d'auteur, l'article 27 vient préciser qu'un « brevet pourra être obtenu pour toute invention (...) dans tous les domaines technologiques, à condition, qu'elle implique une activité inventive, et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ». | ||
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+ | 7.- La constitution de portefeuilles de brevets permet une pratique consistant, entre sociétés informatiques d'importance comparable, à s'accorder des licences croisées ; une « petite entreprise » ne fait jamais le choix d'engager une procédure juridictionnelle en raison de la longueur de la procédure supérieure à la durée de vie d'une technologie donnée. | ||
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+ | 8.- La question de l'évaluation de la véritable portée d'un « brevet de logiciel » est fondamentale pour tous les acteurs concernés par l'industrie informatique : quel est l'objet permettant la délivrance d'un « brevet de logiciel » ? Une fois ce titre délivré, quels actes permettrait-il effectivement d'interdire ? | ||
=Détermination de l'objet protégé par un brevet de logiciel= | =Détermination de l'objet protégé par un brevet de logiciel= |
Version du 7 juillet 2006 à 10:41
Sommaire
Introduction
1.- Le brevet, révélateur significatif des orientations de la société moderne, se trouve au cœur des débats les plus passionnés : de l'affaire de Pretoria au « brevet de logiciel » en passant par la brevetabilité du gène, la virulence des oppositions a pour objet le principe même de réservation de ces nouveaux fruits de la technique moderne. Si l'élaboration de ces questionnements se réalise des divers points de vue philosophique, éthique ou socio-économique, ils sont stigmatisés dans la sphère juridique par le problème de la délimitation de ce qui est appropriable, et le débat a pu avoir lieu au Parlement Européen lors de la discussion en séance plénière de la proposition de directive du 20 février 2002 concernant les « inventions mises en oeuvre par ordinateur », le 24 septembre 2003.
2.- Le logiciel -ou programme d'ordinateur1- est à la frontière des catégories d'objets définies par le droit de la propriété intellectuelle : création s'adressant à l'esprit humain, mais employant les « forces de la nature » par le biais de la machine, à la fois œuvre de langage et « machine virtuelle », sa nature ne lui permet pas d'entrer de façon certaine dans les cadres traditionnels de la propriété intellectuelle. Le logiciel peut ainsi répondre à la fois aux exigences du droit d'auteur pour son aspect écriture du programme -expression d'une œuvre originale- et à celles du droit des brevets correspondant à l'activité d'analyse conceptuelle d'un problème permettant de trouver la solution technique la plus performante.
3.- Le logiciel bénéficie, depuis la loi n° 85-660 du 3 juillet 19852 explicitement de la protection par droit d'auteur. Le consensus autour de la protection par le seul droit d'auteur a rapidement été remis en cause, la protection de la seule forme, efficace contre la reproduction servile du logiciel est vite apparue insuffisante pour protéger une création dont la valeur essentielle réside dans la fonction. Les offices de brevet des Etats-Unis ou du Japon ont alors pris le parti d'accepter ouvertement de breveter les logiciels, et les entreprises de ces pays ont réussi, malgré l'exclusion du logiciel du domaine de la brevetabilité dans la Convention de Munich, à faire admettre des brevets sur des inventions concernant des programmes à l'OEB. 4.- La pratique de l'OEB, sans que la question n'ait fait l'objet d'une réflexion de fond, ou d'une réforme législative induisant un débat démocratique, s'est peu à peu étendue à tel point qu'il semble aujourd'hui très facile de se faire délivrer un titre pour une innovation concernant un programme d'ordinateur: les rejets de demandes européennes en matière de logiciel constituent non plus la règle, mais l'exception3.
5.- Ces brevets -et les potentielles actions qu'ils impliquent- montrent les risques, inhérents au système du « tout-brevet » pratiqué outre-atlantique, en termes de cloisonnement de marché et de développement de nouveaux standards. Pour la communauté fonctionnant selon le modèle Open Source, l'appropriation des logiciels et des formats de diffusion par le brevet représente une réelle menace. Les grandes entreprises, titulaires de brevets sur ces « standards propriétaires » peuvent ainsi compromettre les principes fondamentaux d'interopérabilité et de compatibilité. Ainsi, la société Unisys a demandé en août 1999 à tous les utilisateurs du format de compression d'images 'GIF' (Graphics Interchange Format; terminaison en ".gif"), largement utilisé sur la toile, de lui payer une licence d'utilisation de 5 000 dollars en vertu d'un brevet dont elle était titulaire4; Sun Microsystems détient un brevet sur le concept d'ajout du mot de recherche à un lien hypertexte dont le W3C5 a établi qu'il était contrefait6 dans la nouvelle version de XML7.
6.- D'un point de vue plus strictement juridique, la protection du logiciel par le brevet devra s'accorder avec celle du droit d'auteur ; la conception classique n' accepterait pas le cumul de ces deux droits en n'appliquant pas le droit d'auteur quand la forme de la création est indissociable de sa fonction utilitaire8. Mais les accords ADPIC n'interdisent pas ce cumul, puisque s'ils expriment clairement le choix de protéger le logiciel par le droit d'auteur, l'article 27 vient préciser qu'un « brevet pourra être obtenu pour toute invention (...) dans tous les domaines technologiques, à condition, qu'elle implique une activité inventive, et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ».
7.- La constitution de portefeuilles de brevets permet une pratique consistant, entre sociétés informatiques d'importance comparable, à s'accorder des licences croisées ; une « petite entreprise » ne fait jamais le choix d'engager une procédure juridictionnelle en raison de la longueur de la procédure supérieure à la durée de vie d'une technologie donnée.
8.- La question de l'évaluation de la véritable portée d'un « brevet de logiciel » est fondamentale pour tous les acteurs concernés par l'industrie informatique : quel est l'objet permettant la délivrance d'un « brevet de logiciel » ? Une fois ce titre délivré, quels actes permettrait-il effectivement d'interdire ?