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Procédures autour d’un bail commercial (fr) : Différence entre versions

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Compte-rendu de la réunion du 18 septembre 2012 de la Commission de droit immobilier du barreau de Paris, réalisé par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo — édition privée

Commission ouverte : Immobilier
Co-responsables : Jehan-Denis Barbier et Jean-Marie Moyse

Sous-commission : Baux commerciaux
Co-responsables : Jehan-Denis Barbier et Gilles Hittinger-Roux

Intervenants : François-Henry Briard, avocat aux Conseils, Arnaud Duffour, Bertrand Raclet, avocats à la Cour, Jehan-Denis Barbier, avocat à la cour, co-président de la commission de droit immobilier



La QPC en matière de baux commerciaux

par François-Henry Briard, avocat aux Conseils


1. Le cadre général de la QPC

La QPC constitue une révolution à la fois juridique et culturelle en France, mettant fin à une tradition de légicentrisme, c'est-à-dire de souveraineté de la loi. Il faut savoir que ce contrôle de constitutionnalité a posteriori est pratiqué aux Etats-Unis depuis l'arrêt "Marbury c/ Madison" rendu le 24 février 1803.

Par la réforme constitutionnelle de 2008, le constituant a admis, pour la première fois, qu'il était permis à un justiciable, à l'occasion d'une instance, de remettre en cause la constitutionnalité d'une loi. La QPC replace la Constitution au centre de notre culture juridique, constituant ainsi une norme de référence permanente dans tous les domaines, et permettant de purger notre ordre juridique de dispositions inconstitutionnelles.

La révolution qu'elle constitue est toutefois quelque peu limitée, tout d'abord en ce que la procédure de la QPC est relativement réglementée. Ensuite, il faut souligner que la France n'a pas retenu le système d'un contrôle diffus, par lequel n'importe quel juge peut saisir le juge constitutionnel, comme c'est le cas aux Etats-Unis. Le système comporte en France un dispositif de filtrage à trois niveaux (le juge ou la cour ; le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation ; le Conseil constitutionnel). Par ailleurs, si le Conseil constitutionnel devient progressivement une juridiction, cette juridictionnalisation pourrait être plus marquée (s'agissant, par exemple de sa composition, des modalités de nomination de ses membres et de la procédure). On peut enfin parler de révolution limitée, dans la mesure où les décisions rendues sont souvent décevantes pour les requérants.


2. La procédure de la QPC

La QPC peut être invoquée devant toutes les juridictions, à la seule exception de la cour d'assises, et peut être soulevée à tout moment (première instance, appel, cassation).

La QPC est prioritaire (il ne s'agit donc pas d'un renvoi préjudiciel). Elle ne peut être présentée qu'à l'occasion d'une instance en cours, et la disposition critiquée doit être applicable au litige.

Il faut savoir que la QPC ne peut pas être soulevée d'office par la juridiction ; la responsabilité de l'avocat est donc considérable en ce domaine, puisque c'est à lui qu'il appartient d'imaginer la QPC, de la formuler et de la soutenir.

La QPC doit être présentée, sous peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. C'est un domaine dans lequel la conviction doit s'exercer de façon importante.

La procédure devant le Conseil constitutionnel est totalement dématérialisée et se déroule selon une procédure contradictoire classique. Lors de l'audience, le Président accorde environ 15 minutes à chaque partie. La décision est rendue quelques jours plus tard, motivée de façon traditionnelle.


3. La QPC en matière de baux commerciaux

S'il n'existe à ce jour aucune décision du Conseil constitutionnel rendue en matière de baux commerciaux, le domaine représente un large terrain d'investigations, puisque les dispositions législatives sont nombreuses (C. civ., art. 1709 et s. N° Lexbase : L8079IDL ; C. com., art. L. 145-1 et s. N° Lexbase : L2327IBS).

A ce jour, quatre dispositions ont été critiquées sous l'angle de la QPC.

- l'article 1722 du Code civil (N° Lexbase : L1844ABW), relatif à la disparition de l'objet du bail et l'absence de dédommagement du preneur ("si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement") : ces dispositions ont été attaquées en ce qu'elles constituaient une atteinte inacceptable au droit de propriété, à savoir, l'absence de dédommagement, sans que cette privation soit justifiée par un motif d'intérêt général. Par un arrêt rendu le 4 janvier 2011 (Cass. QPC, 4 janvier 2011, n° 10-19.975 N° Lexbase : A7276HXR), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a refusé de transmettre la QPC, estimant que l'article 1722 du Code civil ne faisait que tirer la conséquence nécessaire de la disparition de l'objet même de la convention et poursuivait, donc, un objectif d'intérêt général en assurant lors de l'anéantissement de leur relations contractuelles dû à une cause qui leur est étrangère, un équilibre objectif entre leurs intérêts respectifs.

- l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII), permettant au preneur de faire suspendre les effets de la clause résolutoire en obtenant des délais de grâce (Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 09-71.209, P+B N° Lexbase : A4037E3W). La Cour a estimé que le moyen n'était pas sérieux dans la mesure où ce texte répond à un motif d'intérêt général et où sa mise en oeuvre est entourée de garanties procédurales et de fond suffisantes.

- l'article L. 145-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L5732IS4), relatif au plafonnement du loyer en cas de renouvellement. Cet article a été attaqué à deux reprises. La première fois, sous l'angle de l'égalité (Cass. QPC, 5 octobre 2010, n° 10-14.091 N° Lexbase : A7275HXQ). La troisième chambre civile a écarté le moyen qui était fondé sur la différence de régime entre les renouvellements de plus de 9 ans et de plus de 12 ans, estimant que ce texte n'opérait "aucune discrimination entre les preneurs à bail commercial qui, tous, peuvent demander à l'expiration de leur bail, d'une durée contractuelle de neuf ans, son renouvellement, et ainsi ne pas laisser le bail se proroger tacitement plus de douze ans".

Puis, le 13 juillet 2011, la troisième chambre civile a statué à nouveau sur la constitutionnalité de l'article L. 145- 34, sous l'angle de la liberté contractuelle et de la concurrence (DDHC, art. 4 et 17). Pour écarter le moyen, la Cour de cassation a retenu que "la règle du plafonnement ne s'applique pas lorsque les parties l'ont exclue de leurs prévisions contractuelles ou ont pu s'accorder sur le montant du loyer du bail renouvelé, et, par suite, ne porte atteinte ni à la liberté d'entreprendre ni à la liberté contractuelle, d'autre part, le loyer plafonné étant le loyer initialement négocié augmenté de la variation indiciaire si l'environnement du bail est demeuré stable, il ne résulte de l'application de la règle ni atteinte ni dénaturation du droit de propriété" (Cass. QPC, 13 juillet 2011, n° 11-11.072, FS-P+B N° Lexbase : A0496HWB).

- l'article L. 145-60 du Code de commerce (N° Lexbase : L8519AID), relatif à la prescription biennale pour la contestation du congé. Ces dispositions ont été critiquées sous l'angle des articles 5 et 16 de la DDHC (garantie des droits, sécurité juridique). Mais la Cour de cassation a estimé que ce régime de prescription biennale des actions dérivant du statut des baux commerciaux, justifié par un intérêt général de sécurité juridique, n'introduisait aucune distinction injustifiée de nature à priver les justiciables de garanties égales et que, compte tenu des garanties procédurales établies, il ne portait pas d'atteinte substantielle aux droits de la défense et au droit au recours effectif devant une juridiction (Cass. QPC, 6 janvier 2012, n° 11-40.083, F-D N° Lexbase : A0303H94).

Il apparaît important de souligner trois grandes pistes qui peuvent être explorées en matière constitutionnelle par les praticiens des baux commerciaux, à savoir la liberté contractuelle, le droit de propriété et la sécurité juridique.

La liberté contractuelle est constitutionnellement protégée depuis 1998 (Cons. const., décision n°98-401 DC du 10 juin 1998 N° Lexbase : A8747ACX), le Conseil constitutionnel l'ayant rattachée à l'article 4 de la DDHC, sous l'angle du respect par le législateur des contrats en cours. Il faut toutefois savoir que le Conseil constitutionnel a posé les limites de ce principe (Cons. const., décision n° 2012-242 QPC, du 14 mai 2012 N° Lexbase : A1878IL7) : "il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi".

Le principe de sécurité juridique est appliqué par le Conseil constitutionnel sous l'angle de la garantie des droits (DDHC, art. 16), pour limiter la rétroactivité des lois, pour protéger les contrats en cours, etc.. ce terrain, donc, peut être exploré en matière de baux commerciaux. Enfin, le droit de propriété, protégé par les articles 2 et 17 de la DDHC, lié à la liberté d'entreprendre (DDHC, art. 4). Il est possible de porter atteinte au droit de propriété en cas de nécessité publique, sous réserve d'une juste et préalable indemnisation.

En tous les cas, si, dans le régime actuel, il n'est pas possible a priori de soulever une QPC à l'encontre d'une disposition législative ayant déjà été examinée par le Conseil constitutionnel, il faut savoir que rien n'interdit à un justiciable de poser la même QPC devant la même juridiction, sous un angle différent, devant une juridiction d'appel ou de cassation ; aussi, François-Henry Briard invite les avocats à persévérer en matière de QPC.


Refacturation des charges par le bailleur au preneur dans le cadre du bail commercial

par Arnaud Duffour, avocat à la cour

La question de la refacturation des charges oppose, d'un côté, les bailleurs qui tentent de percevoir un loyer net de toutes charges, et, de l'autre, les preneurs qui remettent en cause les loyers et les charges.

La question est fréquemment posée de savoir si un loyer net de toutes charges est possible dans un bail commercial. La réponse est positive à condition que le conseil du bailleur fasse preuve, dans la rédaction du bail, d'une exhaustivité absolue.


1. Les transferts de charges hors travaux

Il s'agit ici du transfert des taxes foncières, taxes sur les bureaux, primes d'assurance, honoraires de gestion ou frais de gérance, ou encore des charges de copropriété.

En matière de transfert de charges, il existe deux principes essentiels. Le premier est, que chacune des parties, bailleur et preneur, supporte les charges qui lui incombe naturellement. Ce principe doit toutefois être confronté à celui de la liberté contractuelle, qui est absolue en matière de bail commercial, et notamment en matière de transfert de charges.

Les applications jurisprudentielles de ces deux principes sont nombreuses.

La cour d'appel de Versailles, dans un arrêt du 13 octobre 2011, a ainsi été amenée à préciser que le décret n°87-713 du 26 août 1987 (N° Lexbase : L9706A9D) et son annexe, fixant une liste limitative des charges récupérables en matière de bail d'habitation n'était pas applicable en matière de bail commercial (CA Versailles, 13 octobre 2011, n° 07/03942 N° Lexbase : A6274H7I).

Toutes les charges dites exorbitantes du droit commun doivent, pour être transférées sur la tête du preneur, faire l'objet d'une mention explicite. Ainsi, un loyer net de toutes charges ne permettrait pas à un bailleur de refacturer, par exemple, la taxe foncière, les primes d'assurance, etc.. Ainsi, la clause simplement stipulée "loyer net de toute charge", serait inefficace ; il faudrait de mentionner précisément quelle charge devra être transférée sur la tête du preneur.

Dans un arrêt du 13 juin 2012, la Cour de cassation a précisé que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne pouvait être mise à la charge du preneur qu'en vertu d'une stipulation contractuelle (Cass. civ. 3, 13 juin 2012, n° 11-17.114, FS-P+B N° Lexbase : A8900INX). Cette précision est importante dans la mesure où elle contrevient au principe selon lequel chacune des parties supporte les charges qui lui incombe naturellement, sachant que l'on pourrait envisager que cette taxe incombe naturellement au preneur. Telle n'est pas la position de la Cour de cassation.

La prudence impose donc une exhaustivité pour tous les types de charges, même pour celles dont on considère qu'elles incombent naturellement au preneur. S'agissant des forfaits de charges, cette pratique peut trouver à s'appliquer en France, mais présente une certaine dangerosité pour les parties dès lors que, dès 1991, la cour d'appel de Paris avait estimé qu'elle pouvait modifier les forfaits de charges, à partir du moment où les prestations incluses étaient modifiées (CA Paris, 8ème ch., sect. A, 5 février 1991).

En ce qui concerne la ventilation des charges entre les différents locataires d'un même immeuble. Pour mémoire, les taxes sur les bureaux en Ile-de-France, les taxes sur les locaux commerciaux, et les taxes sur les locaux de stockage ne sont exigibles, du point de vue du bailleur, que pour autant que les locaux dépassent la surface d'assujettissement. Les preneurs qui disposent d'un local d'une surface inférieure à la surface d'assujettissement contestent la mise à leur charge de la taxe à laquelle peut être assujetti le bailleur qui dispose d'un ensemble de locaux d'une surface totale supérieure à la surface d'assujettissement. La jurisprudence de la cour d'appel de Paris était défavorable au bailleur jusqu'en 2002, considérant que le preneur n'avait pas à subir les effets de la situation globale immobilière du bailleur. Mais dans un arrêt du 23 février 2011 (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 23 février 2011, n° 09/14976 N° Lexbase : A7685GZN), il semble que la cour d'appel de Paris soit revenue sur cette jurisprudence, en considérant que l'on devait, dans le cadre de la refacturation de ces taxes, prendre en considération la situation globale du bailleur. Le rédacteur du bail, conseil du bailleur, devra toutefois rester prudent en prévoyant que le preneur se verra refacturer la taxe sur les bureaux, peu important que la surface donnée en location soit inférieure à la surface d'assujettissement.

Enfin, en matière de taxe foncière, se pose souvent la question de savoir en fonction de quel critère doit se faire l'affectation de la taxe entre les différents locataires d'un même immeuble. Cette ventilation est souvent opérée en fonction des surfaces. Lorsque cela n'est pas prévu dans le contrat de bail, se pose la question de savoir comment doit se faire la ventilation. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 5 avril 2007 (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 5 avril 2007, n° 06/13197 N° Lexbase : A3194DXL), répond à cette question en indiquant que, dans le silence du bail, la refacturation d'impôts fonciers doit se faire non pas en fonction des surfaces, mais en fonction de la valeur locative telle qu'évaluée par l'administration fiscale, sauf clause contraire. Par ailleurs, dans un arrêt rendu le 6 juin 2012 (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 6 juin 2012, n° 10/19189 N° Lexbase : A2588IN8), la cour d'appel de Paris précise qu'il ne faut pas confondre, dans la ventilation des charges, les tantièmes de copropriété avec les surfaces.


2. Les transferts de charges relatives aux travaux

Le principe en matière de répartition de charges est celui de la liberté absolue, et que les articles 1719 (N° Lexbase : L8079IDL) et suivants du Code civil ne sont pas d'ordre public, ainsi que le soutiennent la doctrine et la jurisprudence, même si la jurisprudence statue parfois en sens inverse. En effet, la cour d'appel de Rouen a retenu, dans un arrêt du 22 mars 2007, qu'"aucune clause contractuelle ne saurait décharger le bailleur de son obligation de délivrance de la chose louée elle-même, c'est à dire de la chose définie au bail et de ses accessoires indispensables à une utilisation normale et sans danger des lieux" (CA Rouen, 22 mars 2007, n° 06/00482 N° Lexbase : A9242GZC) ; la Cour de cassation était également allée en ce sens, dans un arrêt du 9 juillet 2008 (Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5449D9P), en indiquant que le bailleur "ne peut, en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu, s'exonérer de l'obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble". Si le principe est celui de la liberté contractuelle, les parties doivent, là encore, faire preuve d'une exhaustivité absolue.

En ce qui concerne les travaux rendus nécessaires par la vétusté, dès lors que ces travaux n'ont pas été mis à la charge du preneur, ils ne peuvent lui incomber. La jurisprudence est très claire en ce sens.

Concernant le champ d'application de l'article 606 du Code civil, il est établi par la jurisprudence que les grosses réparations en général en sont exclues, le texte ne visant que la réfection des gros murs, des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. La jurisprudence est en effet très restrictive (cf., notamment, Cass. civ. 3, 29 septembre 2010, n° 09-69.337, FS-P+B N° Lexbase : A7698GAD à propos de la couverture entière : "la clause du bail, transférant au preneur la charge des grosses réparations et celle du clos et du couvert, doit être interprétée restrictivement et ne peut inclure la réfection totale de la toiture de l'un des bâtiments compris dans l'assiette du bail").

Enfin, pour les travaux prescrits par l'administration, le principe est que, sauf clause contraire, ces travaux relèvent de l'obligation de délivrance du bailleur, sur le fondement des articles 1719 et 1720 du Code civil, et doivent donc être supportés par le propriétaire.

En tout état de cause, les conseils des bailleurs devraient faire preuve d'une extrême prudence, et à prévoir expressément que les travaux rendus nécessaires par la vétusté, de même que les travaux imposés par l'administration, sont bien supportés par le preneur.

Concernant la répartition des charges en cas de locaux vacants dans les centres commerciaux, la tentation est assez forte pour le bailleur, dont les locaux sont inoccupés, de refacturer les charges afférentes à ces locaux sur la tête des autres locataires. Les réponses jurisprudentielles sont assez peu nombreuses. Mais la cour d'appel de Rouen, dans un arrêt du 5 avril 2007 (CA Rouen, 5 avril 2007, n° 06/00406 N° Lexbase : A6798GZS), retient sans surprise qu'il n'appartient pas aux autres locataires de supporter les conséquences des locaux vides.


Le rôle du juge en matière de clause résolutoire

par Bertrand Raclet, avocat à la cour

Concernant la question de la valeur d'une ordonnance de référé ayant constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la demande du bailleur, alors que le locataire n'était pas présent et n'avait pas demandé de délai suspensif, l'article L. 145-41, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII) prévoit que "Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge".

S'agissant de l'article 1244-1 du Code civil (N° Lexbase : L1358ABW) qui prévoit que le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues, il ne s’agit pas ici d’une question de bonne foi, mais le juge use de son pouvoir "compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier". Le juge peut également "prescrire que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit qui ne peut être inférieur au taux légal ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital". Enfin, il peut assortir les délais de garanties de paiement pour permettre de faire face à l'échéancier.

L'article 1244-2 (N° Lexbase : L1359ABX) prévoit que "la décision du juge, prise en application de l'article 1244-1, suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités encourues à raison du retard cessent d'être dues pendant le délai fixé par le juge". Enfin, L'article 1244-3 (N° Lexbase : L1360ABY) prévoit que "Toute stipulation contraire aux dispositions des articles 1244-1 et 1244-2 est réputée non écrite".


- La demande à formuler au juge pour la suspension des effets de la clause résolutoire

La demande porte donc sur la suspension des effets de la clause résolutoire, ce, éventuellement, à titre rétroactif, puisque le juge a le pouvoir de suspendre rétroactivement les effets de la clause résolutoire alors que les causes du commandement sont réglées.

Il faut savoir que la demande de simples délais de paiement ne constitue pas pour le juge une demande de suspension des effets de la clause résolutoire. De même, la demande d'annulation du commandement de payer ne constitue pas une demande de suspension des effets de la clause résolutoire. Récemment, la cour d'appel de Paris a ainsi rendu un arrêt le 3 juillet 2012, dans une affaire où le locataire avait demandé au juge de juger la clause résolutoire non acquise ; les juges ont estimé que cette formulation n'incluait pas une demande de délais et de suspension de la clause résolutoire (CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 3 juillet 2012, n° 12/00153 N° Lexbase : A2472IQM).

Le juge est limité par les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 5 du Code de procédure civile et qu'il ne peut donc suppléer la carence du locataire dans la formulation de la demande. Enfin, il faut savoir qu'il est possible de demander des délais après l'expiration du commandement devant le juge des référés et les juges du fond, et pour la première fois devant la cour d'appel, mais pas devant le juge de l'exécution.


- La valeur de l'ordonnance de référé constatant l'acquisition de la clause résolutoire et prononçant l'expulsion du locataire

L'article L. 145-41 vise une décision ayant autorité de la chose jugée. Or, l'article 488 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6602H7N) précise que l'ordonnance de référé n'a pas autorité de la chose jugée.

Face à cette problématique, les tribunaux ont été amenés à se poser la question de savoir s'ils condamnaient le recours à la procédure de référé en constatation de la clause résolutoire, au vu de l'article L. 145-41, ou s'il était possible d'étendre le champ de ce texte à une décision passée en force de jugée.

Dans un arrêt du 5 octobre 1994 (Cass. civ. 3, 5 octobre 1994, n° 92-15.714 N° Lexbase : A7033AB4), la Cour de cassation précise que le titulaire d'un bail commercial peut demander des délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n'est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée ; la solution est très claire ici, et ne vise pas la décision ayant autorité de la chose jugée. En 1995, la Chambre commerciale, après avoir relevé que l'ordonnance n'avait pas été frappée d'appel dans le délai légal, ce dont il résultait que cette décision était passée en force de chose jugée, retient que la clause résolutoire était, dès lors, réputée acquise à la date de la première échéance non respectée (Cass. com., 24 octobre 1995, n° 93-17.051 N° Lexbase : A1238ABH).

Il ressort, également, d'un arrêt du 25 février 2004 (Cass. civ. 3, 25 février 2004, n° 02-12.021, FSP+B N° Lexbase : A3756DBQ), que "si l'ordonnance de référé constatant l'acquisition d'une clause résolutoire n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée et ne s'impose pas au juge saisi au fond aux mêmes fins, la cour d'appel, statuant dans une instance ayant un objet distinct, à savoir la validité de la demande de renouvellement du bail formé le 7 janvier 1999 par les époux J. postérieurement à l'ordonnance du 29 juillet 1997 ayant suspendu les effets de la clause résolutoire et qui a relevé que l'échéance du 15 septembre 1997 fixée par cette ordonnance n'avait pas été honorée par les preneurs, de sorte que la clause résolutoire était réputée acquise à cette date, en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendait inopérante, que l'ordonnance de référé, signifiée le 29 juillet 1997, étant devenue irrévocable, les époux J. ne pouvaient valablement solliciter le renouvellement du bail".

De même, en 1991, la troisième chambre civile avait retenu que "si l'ordonnance de référé constatant l'acquisition d'une clause résolutoire n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée et ne s'impose pas au juge saisi au fond aux mêmes fins, la cour d'appel, statuant dans une instance ayant un objet distinct, à savoir l'opposabilité au bailleur de la cession du fonds intervenue postérieurement à l'ordonnance du 29 avril 1985 ayant constaté l'acquisition de la clause résolutoire, a exactement décidé que cette ordonnance étant devenue définitive" (Cass. civ. 3, 9 janvier 1991, n° 89-13.790 N° Lexbase : A0272ABP).

Enfin, la Chambre commerciale, dans un arrêt récent du 21 février 2012 (Cass. com., 21 février 2012, n° 11- 10.901, F-D N° Lexbase : A3203IDY) a jugé que "par arrêt irrévocable du 8 avril 2011, la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance de référé prononcée le 1er septembre 2010 par le président du tribunal de grande instance de Paris constatant l'acquisition définitive de la clause résolutoire ; qu'il en résulte que la société M. ne peut plus demander à un juge saisi au fond, tel le juge-commissaire, de lui accorder rétroactivement de nouveaux délais de paiement pour éviter la résiliation du bail ; que la décision du 8 avril 2011 a donc pour conséquence de rendre sans objet la procédure introduite à cette fin devant le tribunal de commerce de Nantes". L'impossibilité d'accorder de nouveaux délais sous-entend que des délais avaient déjà été accordés.

Il ressort de ces jurisprudences que les preneurs sont clairement invités à venir saisir le juge des référés pour les actions en constatation de la clause résolutoire. Mais il convient de souligner que, dans toutes ces jurisprudences, des délais avaient été accordés.

Il est important de souligner une décision qui a statué dans une instance où le locataire n'avait pas demandé de délai, et où la cour d'appel de Paris a décidé que la demande de délai devant le juge du fond, postérieurement à la procédure de référé, était irrecevable ; la cour soulève le caractère définitif de l'ordonnance de référé (CA Paris, ch. urgences, 30 mai 1991, Le Guépard c/ Bourguignon, Loyers et Copr., 1992, comm. 254).

Mais en 2009, la cour d'appel de Paris a rendu un arrêt en sens inverse dans des circonstances identiques (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 4 mars 2009, n° 08/05527 N° Lexbase : A6011EED) : l'ordonnance de référé était définitive et était donc passée en force de chose jugée ; le locataire n'avait pas comparu et aucun délai n'avait donc été accordé par le juge des référés. La cour a fait application de l'article 488 du Code de procédure civile ; elle approuve le premier juge ayant accordé des délais suspensifs ; la demande de délais est jugée recevable, étant finalement formulée pour la première fois. Face à ces jurisprudences, il convient de se demander si l'on peut se contenter d'une ordonnance de référé sans comparution du locataire (même avec un arrêt confirmatif).

Plusieurs options s'offrent au bailleur :

- il peut choisir, tout d'abord, de renvoyer l'affaire, et de réciter le locataire, pour s'assurer de sa présence, en lui suggérant des délais pour purger son droit ;

- il peut aussi tenter de hâter l'expulsion afin de disposer rapidement du bien pour rendre la situation irréversible (mais cela présente le risque majeur de dommages et intérêts conséquents) ;

- il peut aussi décider d'assigner au fond pour s'assurer d'obtenir une décision ayant autorité de la chose jugée.

En tout état de cause, il ne faut pas oublier que le locataire est toujours en droit d'agir au fond en nullité ou en opposition à commandement, l'ordonnance n'ayant pas autorité de chose jugée, en invoquant la mauvaise foi du bailleur dans la mise en oeuvre de la clause résolutoire (Cass. civ. 3, 6 mars 1996, n° 93-21.122 N° Lexbase : A9488ABZ : "viole l'article 488 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel qui écarte l'application de ce texte au motif que la décision du juge des référés ayant constaté la résiliation du bail s'imposait aux parties et ne pouvait faire l'objet, entre ces parties, devant le juge du fond, d'un même litige pour les mêmes causes".

Aussi, on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux que le juge des référés ait le pouvoir d'accorder d'office des délais en cas de défaut de comparution du preneur.


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