Droit à l'image des sportifs (fr)
“L’important est de participer”. Cette célèbre maxime de Pierre de Coubertin ne peut résumer le sport d’aujourd’hui. On le sait les valeurs intrinsèques du sport ont changé. En effet, le sport, et en particulier le sport professionnel, est progressivement entré dans une sphère économique, au cours du siècle dernier, et le merchandising de l’image des sportifs est devenu un élément économique fondamental de l’athlète contemporain. Il suffit pour s’en persuader d’allumer notre poste de télévision. Combien de publicités mettent en scène des sportifs professionnels ? En prenant évidemment compte les publicités où ces derniers ne font pas la promotion de produits liés à leur activité ?
Sommaire
Présentation
L’image des joueurs professionnels est un vecteur financier particulièrement intéressant. Cette image est multiple en raison de la spécificité du sportif professionnel, et notamment pour les joueurs appartenant à un club sportif ou à une franchise. L’image du sportif n’est pas seulement celle de la personne. Elle se définit par rapport à la qualité d’athlète de l’individu, son appartenance à un groupement sportif et ses performances qui lui confèrent une certaine notoriété. En définitive, l’image de l’athlète se compose bien évidemment de ses traits physiques mais également de sa qualité de compétiteur et de signes sportifs spécifiques soulignant son affiliation à un groupement sportif. L’image individuelle du sportif se définit par rapport au signe de la collectivité sportive. Ces signes sont virtuellement présents, contenus, absorbés par les traits ; c’est ce que l’on appelle “la notoriété”. Cette notion permet de se dispenser d’une partie de l’information (à savoir le fait que ce sont des sportifs professionnels).
Le sportif, comme chaque individu, a le droit de préserver de toute atteinte les aspects
essentiels de sa personnalité, et notamment des atteintes portées à son image : c’est son image
strictement individuelle.
Il faut cependant souligner certaines limites.
En raison du caractère public de son activité, l’image du sportif constitue une composante d’une information par nature disponible et accessible à tous. Ainsi le droit de chaque individu sur son image cède parfois devant le droit à l’information. D’autres limites résultent des prérogatives dont disposent les groupements sportifs sur l’image de leurs athlètes.
Mais le club ou la fédération contribuent à forger la renommée des sportifs en les parant de leurs signes distinctifs. Il apparaît dés lors légitime de reconnaître à ces groupements, sous certaines conditions, le droit d’utiliser l’image individuelle de leurs sportifs.
Dans cette perspective, l’image individuelle du sportif est souvent exploitée par son club
afin d’assurer la promotion des partenaires et de l’ensemble des activités de communication,
commerciales et sportives du club. Il s’agit en quelque sorte d’un échange de bons procédés: d’une part le club sportif (ou la fédération) contribue à assurer au joueur une certaine notoriété, et d’autre part, le joueur professionnel laisse à son club (ou fédération) le droit d’exploiter son image individuelle en contrepartie d’une rémunération.
A ce titre, il convient de s’interroger sur la commercialisation et l’exploitation de l’image
individuelle des sportifs professionnels par leur club. Comment notre droit permet-il la
commercialisation de leur image ? Quelles techniques les clubs sportifs utilisent-ils pour d’optimiser la rémunération tirée de l’image individuelle de leurs joueurs ?
Quels sont les moyens juridiques qui permettent aux clubs d’exploiter l’image individuelle de leur joueur ? Comment l’image d’un joueur peut-elle être commercialisée ? Pour qu’il y ait commercialisation, il faut considérer que l’image peut revêtir les caractéristiques d’objet et de chose au sens du Code de commerce. Elle constitue un bien non consomptible car son utilisation répétée ne la détruit pas. Et, chacune de ses réalisations étant originale, elle peut être qualifiée de [[corps certain (fr)|corps certain] susceptible d’appropriation comme le démontre la réalité économique et l’existence d’un marché affecté à sa production et sa circulation. En d’autres termes, l’image du sportif apparaît comme un élément de son patrimoine et se trouve détachable de sa personne. Dans cette perspective, il convient d’examiner le mouvement de patrimonialisation de l’image du sportif qui a permis la commercialisation de la dite image, avant de s’intéresser à la contractualisation de son image.
La patrimonialisation de l’image du sportif
La patrimonialisation de l’image des sportifs trouve son origine dans un mouvement prétorien, et a ainsi permis aux sportifs une réparation plus aisée que celle de l’atteinte au respect de la vie privée et de l’image tirée de l’article 9 du Code civil[1]. En effet, la tendance jurisprudentielle relative à la patrimonialisation de l’image des sportifs a amené la doctrine à s’interroger sur les fondements juridiques de ce mouvement.
Le mouvement prétorien de patrimonialisation
Au cours des vingt dernières années, la jurisprudence a admis la réparation du préjudice économique né de la commercialisation sans autorisation de l’image du sportif, ou de toute autre personne; de manière encore plus explicite, certaines décisions ont consacré l’existence d’un droit subjectif de nature patrimoniale sur l’image.
Trois affaires significatives illustrent ce mouvement prétorien de patrimonialisation de l’image des sportifs.
Tout d’abord, le 30 novembre 1987 la Cour d’appel de Paris a rendu deux arrêts[2] essentiels dans le mouvement de patrimonialisation. Dans la première affaire, la Cour d’appel de Paris a décidé que “l’éditeur de l’image ne saurait tirer parti d’une compétition, même constitutive d’un événement médiatique de premier ordre, pour publier, sans l’autorisation de l’intéressé, un ouvrage hors série - cet ouvrage fut-il illustré de photographies prises dans les lieux publics et régulièrement acquises auprès d’agence de presse et fut-il par ailleurs exclusivement consacré à des faits relevant du domaine sportif - la personne concernée ayant alors un droit exclusif sur l’utilisation de son image (...)”. Ainsi selon la cour, même réalisée dans un lieu public à l’occasion d’une compétition officielle, l’image n’est pas nécessairement une information libre de droits. Rien ne s’oppose à la réalisation de photographies, mais leur utilisation commerciale suppose un consentement exprès de leur sujet. Il existe donc un monopole d’exploitation au profit de l'athlète.
La deuxième affaire concerne un contentieux entre le très réputé joueur de football [[Michel Platini (fr)|Michel Platini] et une société de publication. En effet, cette dernière a diffusé une plaquette d’une centaine de pages intitulé “ Platini, sa vie-ses buts” illustrée de photographies dudit joueur. Lorsqu’il a fallu évaluer le préjudice de Michel Platini suite à la diffusion de la plaquette intitulée “Platini, sa vie-ses buts”, la Cour d’appel de Paris a certes retenu un préjudice matériel du fait “de la concurrence faite à d’autres divulgations éventuellement acceptées par lui”, mais a relevé que la diffusion de la plaquette litigieuse avait “aussi contribué à répandre dans un large public une “image de marque” flatteuse de M. Platini, accroissant encore un peu sa popularité, avec, au-delà, les bénéfices qu’il pouvait très légitimement en retirer sur le plan financier”. Ainsi, les juges ont mis ici en balance le préjudice subi, d’une part, et la notoriété que peut apporter au joueur la publication sans autorisation du sujet de photographies le représentant, d’autre part. Les juges ont donc pris en compte le préjudice réellement subi, c’est à dire le bénéfice commercial avorté conjugué à la notoriété acquise par la publication de photographies sans autorisation.
La troisième affaire concerne l’exploitation par un magazine, sans autorisation, des noms et image du footballeur Eric Cantonna. Le 6 avril 1995, le Tribunal de grande instance de Nanterre[3] a considéré “qu'indépendamment de la protection de sa vie privée, tout individu, fût-il célèbre, dispose sur sa propre image, attribut de sa personnalité, d’un droit exclusif, lui permettant d’autoriser ou non sa reproduction, de décider des conditions et circonstances de cette reproduction, et de s’opposer à ce qu’elle soit diffusée, quel qu’en soit le moyen, sans son autorisation expresse ou tacite (...)”. Le juge indemnise ainsi le sportif au motif qu’il subit un dommage exprimé par la perte financière résultant de la diffusion non consentie de son effigie et de son nom patronymique. Cet arrêt scelle le mouvement prétorien de patrimonialisation et ancre l’image des sportifs dans la catégorie des biens susceptibles de faire l’objet de convention. Cette patrimonialisation de l’image du sportif tient plus à la notoriété du joueur concerné qu'à sa qualité intrinsèque de sportif.
La jurisprudence a, au fil du temps, admis le préjudice économique tiré de la divulgation non consentie de l’image des sportifs.
Deux points restent cependant à préciser.
- D’une part, il est important de noter que la jurisprudence a, de la sorte, implicitement consacré une patrimonialité de l’image des sportifs.
- D’autre part, il faut néanmoins considérer que cette patrimonialisation est intimement liée à la notoriété de l’individu et non à sa qualité de sportif.
Enfin, une fois le régime de l’image des sportifs établi par une jurisprudence pragmatique, il appartint à la doctrine de s’intéresser aux fondements juridiques qui ont amené les juges à énoncer une telle solution.
Les fondements juridiques de la patrimonialisation de l’image du sportif
En droit Français, cette patrimonialisation a interpellé les auteurs, qui se sont ainsi intéressés aux fondements juridiques qui ont amené les juges à énoncer une telle solution. Il faut d’ores et déjà considérer que le monopole d’exploitation du sportif sur son image ne peut avoir comme fondement le respect de la vie privé tiré de l’article 9 du Code civil[4]: en effet, l’intimité de la vie privé des joueurs n’est aucunement mise en cause. Mais quel fondement juridique alors? Droit de propriété intellectuelle? Droit de la propriété incorporelle? Droit sui generis ?
Un droit de propriété intellectuelle inapproprié
De prime abord, le monopole d’exploitation du sportif sur son image paraît être identique à celui d’un auteur sur son oeuvre intellectuelle. Cette théorie voudrait que le sportif crée un personnage, lequel serait une oeuvre protégeable. Les droits pourraient ainsi être cédés ou concédés au regard de l’article L.131-4 du Code de la propriété intellectuelle. Cependant, l’application d’un tel droit présenterait de grosses difficultés au regard des usages existants dans le monde du sport. D’une part, l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle[5] impose que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention spéciale distincte dans l’acte et que l’étendue, la destination, le lieu et la durée de l'exploitation soient précisément délimités. Or, les pratiques contractuelles en vigueur dans le milieu sportif ne permettent pas l’application d’un tel texte ; en effet, la transmission d’images se font en général en vertu des relations de travail ou de sponsoring, et les conventions de cession sont en règle générale maigres, le joueur reconnaissant simplement le droit d’utiliser son image sans précisions particulières. D’autre part, un fondement majeur du droit de la propriété intellectuelle, tiré de l’article L.131-1 du même code[6], interdit la cession globale des oeuvres futures. Or, si un tel droit était applicable, il apparaîtrait impossible pour les clubs de conclure des accords de longue durée ( comme c'est souvent le cas lorsqu’il s’agit pour les clubs, via la fédération, de céder leurs droits TV), alors que les équipes ne sont pas encore constituées et que de nombreux transferts (comportant des joueurs étrangers par exemple) peuvent survenir, de sorte que les oeuvres ne peuvent pas être identifiées.
Le droit de la propriété intellectuelle ne peut, dès lors, raisonnablement, trouver application, et le monopole d’exploitation du sportif sur son image doit se trouver un autre fondement.
Un droit de la propriété incorporelle mieux adapté
Le droit d’auteur, ou droit de propriété incorporelle est un fondement juridique de droit civil qui trouve son siège à l’article 544 du Code civil[7]. Ce dernier énonce que “la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements”. Cet article trouve, par extension prétorienne application en matière de chose incorporelle. Dans cette optique, il faut considérer que le sportif, même s’il n’est pas propriétaire de lui-même, est l’ayant droit, le titulaire des images le représentant, le sportif concerné disposant d'une maîtrise absolue sur ces images. Le joueur acquiert ainsi la propriété, non pas sur son image, mais sur les images, qui à la suite de leur création et de leur fixation sur support, forment un élément du patrimoine du sujet. Dans un souci de pragmatisme, il convient de s’intéresser à une affaire montrant le recours “sans le dire”, des juges au droit de propriété. Le 30 novembre 1987, la Cour d’appel de Paris a connu d’une affaire où des clichés, à finalité publicitaire, du cycliste Laurent Fignon, avaient été pris au cours de son activité, aux côtés d’une marque de cycles et d’automobiles. Les juges ont considéré que la publication de tels clichés constituait une dénaturation de la personnalité du sportif et une atteinte à son image de marque, susceptible d’être sanctionnée par des dommages et intérêts. Ce recours des juges à la notion d’image de marque montre que les juges entrent ici sensiblement dans le champs d’application du droit des biens, et par ricochet au droit de la propriété. De plus, le recours au fondement du droit de propriété incorporelle présente un avantage non négligeable, en facilitant les plaideurs dans leur demande de réparation, en effet, la valeur financière de l’image de l'athlète se révèle aisée à déterminer.
Cependant, les juges conservent une entière maîtrise de leur pouvoir souverain en matière d’appréciation, et même si le droit de la propriété intellectuelle semble être un fondement juridique particulièrement intéressant, il est important de se demander si les juges ne sont pas les initiateurs d’un nouveau droit sui generis.
Un droit sui generis?
Même si le débat relatif à la question du fondement juridique du monopole d’exploitation du sportif sur son image reste très intéressant, il relève essentiellement, pour ne pas dire totalement, de la sphère théorique. Effectivement, cette relativité du débat résulte du fait que les juges ont défini les contours du régime juridique relatif au monopole d’exploitation du sportif sur son image individuelle. La suggestion d’un droit sui generis n’apparaît pas, dès lors, complètement dénouée de sens.
Quoiqu’il en soit, cette patrimonialisation, peu importe son fondement, est un atout fondamental pour la commercialisation de l’image du sportif. Mais le développement de cette commercialisation doit également tenir compte des intérêts des groupements sportifs auxquels appartient le joueur, car l’appartenance à un club ou à une fédération nationale peut modifier la valeur marchande de l’athlète.
Les contrats d’exploitation de l’image des sportifs sont divers et multiples, et il est nécessaire de s’y intéresser.
La contractualisation de l’image des sportifs
Le sportif peut, comme toute autre personne physique, consentir à la reproduction et à la diffusion de son image, considérée, on l’a vu, comme entrant dans ses droits patrimoniaux. Toute personne ayant un droit exclusif (un monopole d’exploitation dans le cadre d’un sportif) peut contractuellement en céder l’usage dans les formes et pour le temps qui devront être indiqués dans le contrat.
L’exploitation marchande de l’image du sportif peut adopter diverses formes. Le contrat de sponsoring permet à une entreprise d’utiliser la représentation ou le nom du joueur cocontractant pour la vente de produits ou services en rapport ou non avec le sport. Des clauses peuvent attribuer, dans le cadre d’une convention de parrainage, le droit à un sponsor de faire librement toute publicité ou promotion de son entreprise ou de ses produits en utilisant l’image du cocontractant. Les opérations de merchandising permettent à un sportif de commercialiser lui-même des produits dérivés de sa propre image et/ou de son nom.
Nature du contrat
On pourrait répertorier les contrats d'exploitation de l’image en deux catégories: d'un côté les conventions de cession, et de l’autre, les licences sur l'image. Dans la première, le cessionnaire devient titulaire du droit d’exploitation d’une image précisément définie, comme une photographie par exemple, et dans la seconde, la personne autorise le licencié à utiliser une image précisément définie sur laquelle elle ne dispose d'aucun droit de propriété.
Consentement des parties
Tout d’abord, le consentement des parties ne peut être implicite : en matière de droit à l'image, l'accord doit être exprès même si rien n'empêche de recourir à un mandat. Ensuite, et même si la théorie du droit des obligation ne se restreint pas à une forme de consentement en vertu du principe solo consensu, il est préférable voire indispensable de s’assurer qu’il existe une preuve écrite des engagements réciproques, et cela pour deux raisons : d’une part, il est comme souvent question de la preuve, et d’autre part, il permet aux juges de se rendre compte de l’étendue du droit cédé, afin de pouvoir mieux définir le préjudice économique subi.
Il est ainsi nécessaire de noter qu’en vertu de l’exigence de protection de l’aspect extrapatrimonial, les clauses de cession globale sont nulles. Il convient ici de rappeler que le monopole d’exploitation du sportif sur sa propre image n’est pas totale et que le droit pose certaines limites: le droit à l’information du public, la licéité des caricatures, la prohibition de la promotion de produits liés à l’alcool ou au tabac.
C’est la raison pour laquelle les contrats doivent prévoir des clauses interdisant une cession totale et globale.
Redevance et garanties
Comme dans tout contrat synallagmatique, chaque partie s’oblige envers l’autre à honorer des engagements, mais quels sont ces engagements?
De son côté, le sportif s’oblige à la garantie de son fait personnel. Il ne peut donc pas concurrencer son cocontractant sur l’exploitation de l’image convenue, soit en usant de l’image à son propre profit, soit par l'intermédiaire d'une entreprise à laquelle le joueur aurait cédé ce même droit sur son image.
L’athlète s’oblige aussi à garantir son cocontractant contre les agissements de tiers contestant juridiquement le contrat de licence (ou de cession) au motif de l’existence d’une convention antérieure concernant l’exploitation d’un même droit sur l’image.
De son côté, l’entreprise s’oblige à payer un prix forfaitaire ou dépendant de la rentabilité de l’opération marchande, ou en associant une rémunération proportionnelle assortie d’un minimum garanti.