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Cinéma et exception culturelle en droit du commerce international (int)

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Droit international > Droit du commerce international > Marché international des services
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L’ÉMERGENCE DU PRINCIPE D’EXCEPTION CULTURELLE

Lors des discussions au GATT, d’une possible ouverture du marché pour les services audiovisuels et cinématographiques, l’Europe a réagi contre une libéralisation du secteur en développant le principe d’exception culturelle.

L’ouverture du marché international aux services audiovisuels et au cinéma

Le cycle d’Uruguay (1986-1994) est le point de départ de l’exception culturelle. Ce cycle s’inscrit dans le prolongement des travaux du GATT[1]. Le cycle d’Uruguay a conduit en 1994 (Accord de Marrakech) , à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est au sein de cette organisation reconnue juridiquement comme organisation internationale, qu’on était discuté le commerce des services et la question de la propriété intellectuelle sur le marché international à la suite du GATT. Ce dernier ne régissait que le commerce des marchandises. Le GATS[2],un traité conclu au sein de l’OMC en 1995, vise à étendre la libéralisation du marché international aux services. Cette ouverture internationale était très attendue des premiers exportateurs de services au monde, soit la Communauté européenne, les Etats-Unis et le Japon. Parmi ces services figurent les services audiovisuels, regroupant les œuvres cinématographiques et télévisuelles. C’est la jurisprudence Sacchi qui a tranché l’appartenance des œuvres audiovisuelles à la catégorie juridiques des services[3].

Deux théories antinomiques s’affrontent alors. D’une part, les États-Unis fort de leur industries audiovisuelles et cinématographiques au début des années 1990 sont pour une ouverture totale de ces services. En effet, les œuvres audiovisuelles sont le deuxième poste à l‘exportation et alimente grandement l’économie américaine. D’autre part, l’Europe et la France qui ont établi un système où l’œuvre audiovisuelle est considérée comme un bien culturel et artistique, sont opposés à une libéralisation du marché international de l’ audiovisuel. L’Europe protège la conception selon laquelle l’œuvre audiovisuelle n’est pas une marchandise comme les autres.

La France s’éleva plus fortement encore contre cette ouverture du marché international. Plusieurs raisons y participent . Premièrement, le statut du cinéma français, bénéficiant d’un modèle de régulation spécifique serait remis en cause. Deuxièmement, la France a construit toute une doctrine autour du service public, base d’un modèle sociopolitique, qui participe à l’identité française. Les politiques culturelles françaises sont principalement basées sur ce modèle. La libéralisation des œuvres audiovisuelles, remettrait en cause cette exception française[4]


La contre réaction à l’ouverture du marché cinématographique : l’exception culturelle « française »

L’objet de l’exception culturelle: le financement du cinéma français

Le cinéma est soumis à un système de régulation spécifique, visant à promouvoir et à encourager le cinéma national. Ce système de régulation est fait d’un mécanisme de financement particulier, de règles de diffusion strictes et de dispositifs culturels complémentaires:

Le fondement principal de l’exception culturelle est « le compte de soutien de l’industrie cinématographique et audiovisuelle » . Créé en 1959 pour aider l’ensemble des secteurs économiques du cinéma, il s’applique depuis 1986 aux productions audiovisuelles et depuis 1993 aux vidéogrammes. C’est un compte spécial du Trésor, dont le CNC (Centre National de la Cinématographie) est en charge. Cette aide et constituée d’une taxe sur le prix des places de cinéma[5] et sur les ressources télévisées[6] et vidéos. Selon le décret du 24 février 1999, seules les entreprises de production établies en France ont accès au fond de soutien[7]. La France a reconnu l’ouverture des capitaux extra-européen pour le compte de soutien. D’autres mesures participent au fondement de l’exception culturelle, comme les quotas.

Fort de ce mécanisme de soutien au cinéma national, la France fonde un argument de défense face à la libéralisation soutenu au sein du GATT : l’exception culturelle.

L’exception culturelle contre la politique libérale du GATT

Les grandes lignes de la politique du GATT :

  • La libéralisation mise en marche par le GATT est une libéralisation progressive. Les accords commerciaux ne s’achèvent pas mais doivent évoluer dans le temps. La poursuite des négociations est une part entière des accords conclus.
  • le principe de la nation la plus favorisée. « selon ce principe, tout traitement plus favorable accordé à un État membre aux produits-marchandises ou services- provenant d’un autre État doit être étendu à tout autre État membre s’agissant des produits similaires. »
  • Principe du traitement national. Selon ce principe les États membres doivent traiter les produits étrangers et leurs producteurs comme leurs produits nationaux et comme leurs propres ressortissants.
  • 4 modes de fourniture de services

- fourniture de service d’un État membre vers un autre État membre

- fourniture d’un service dans un État membre à l’attention d’un consommateur de tout autre État membre

- présence commerciale d’un État membre dans un autre État membre

- l’importation de personnels étrangers dans un État membre

  • les États membres sont soumis à des obligations générales et à des engagements spécifique. Cependant, dans ce dernier cas, les États membres sont tenus de poursuivre les négociations et participer à une libéralisation progressive de ces engagements spécifiques.

Toutes ces mesures vont à l’encontre du système de régulation cinématographique construit en France. La politique de quotas, le statut de artistes, les engagements spécifiques visant à soutenir le développement d’une production d’un État déterminé sont fragilisés et même condamnés par les règles du GATT.

Comment s’est faite la défense européenne

C’est au nom de la Communauté européenne que se font les négociations au sein du GATT. La France ne peut agir directement et doit au préalable, engager la Communauté européenne à défendre l’idée de l’exception culturelle. Quelques difficultés viennent cependant rendre difficile cet engagement:

  • La politique de la Communauté européenne est sensiblement la même que le GATT. En effet, la CE se base sur des règles libérales tendant à construire un marché commun et à privilégier la libre concurrence. Il paraît alors difficile de ne pas appliquer les mêmes principes au sein de l’organisation internationale.
  • Divergences sur la conception de l’audiovisuel au sein de la CE.

Outre ces difficultés, la formulation d’une défense par l’exception culturelle, dont la définition est peu claire et mal comprise, rend d’autant plus difficile les négociations . L’exception culturelle est passée par plusieurs déterminations juridiques.

Aucune solutions n’a été choisie et pour éviter de constituer un frein dans les négociations des autres services, la CE décida simplement de ne pas s’engager pour les services audiovisuels et cinématographiques. Ainsi, la compétence de l’OMC est inopérante dans ce domaine, jusqu’au prochain cycle de négociation. C’est une victoire pour l’exception culturelle.

Cependant la question de l’exception culturelle va refaire surface au sein d’autres négociations internationales.

L’évolution du principe d’exception culturelle

Le principe d’exception culturelle refait surface dans un autre cadre de négociation. Ce principe sera reformulé à la suite de ces négociations en concept de la diversité culturelle.

Glissement des négociation de l’OMC à l’Unesco et redéfinition de l’exception culturelle

En 1995, un nouveau projet international, l’Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) est discuté au sein de l’OCDE. Le projet a pour objectif d’accorder aux investisseurs étrangers les mêmes droits que les investisseurs nationaux. C’est un projet beaucoup plus strict que celui du GATS: - aucune listes spécifiques ne sont prévus. Tous les domaines relèvent de mêmes dispositions générales. - logique de démantèlement des modalités nationales de régulation publique. Les investisseurs privés étrangers ont la possibilités de saisir un tribunal arbitral dans le cas où ses intérêts seraient lésés.

Les premiers contestataires en France sont les organisation professionnelles du cinéma et de l’audiovisuel. Le 14 octobre 1998, le Premier Ministre Lionel Jospin annonce le retrait de la France en préconisant une reprise des négociations au sein de l’OMC, jugée plus démocratique du fait du nombre plus important de pays participants. Cela met en exergue l’importance de la question de la culture dans les négociations internationales.

La nouvelle startégie européenne est le mandat donné sur ces questions à la Commision européenne par le Conseil des ministres de l’Union. Selon ce mandat « L’Union veillera […] à garantir […] pour la Communauté et ses Etats membres, de préserver et développer leurs politiques culturelles et audiovisuelles, pour la préservation de leur diversité culturelle. ». On passe alors de la notion d’exception culturelle à celle de diversité culturelle. En soi, la teneur de ces notions est sensiblement la même. Seulement la « diversité culturelle » a une connotation moins négative et moins européo-centriste que l’exception culturelle. Cette nouvelle dénomination permet le consensus au sein de la Communauté.

Charte sur la diversité culturelle: outil de protection du principe d’exception culturelle

La question qui se pose est celle de la nature du cinéma. Simple marchandise ou services qui requiert une certaine spécificité culturelle? L’exception culturelle, et aujourd’hui la diversité culturelle, combat la représentation unique véhiculée par les grandes majors américaines. Cette notion de diversité culturelle, ne peut être défendue à bien par des juristes spécialisés dans le commerce international, qui manque de moyens pour la mise en œuvre d’une telle spécificité. C’est pourquoi, les négociations stagnant à l’OMC, la notion de diversité culturelle est reprise par des organismes plus à même d’expliciter et d’encadrer cette notion, comme le Conseil de l’Europe ou l’UNESCO au niveau international. La proposition vise à construire un droit qui ferait l’équilibre entre le libre échange et la protection de la diversité culturelle. la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a été adoptée le 20 octobre 2005 à l’UNESCO. L’initiative du projet vient de la communauté francophone. L’ancien président Jacques Chirac a émis l’idée de cette convention lors du sommet de Johannesbourg sur le développement durable en 2002. Ce projet se veut être un véritable instrument juridique. Celui-ci est la continuité d’un processus débuté en 1995. La conférence générale de l’UNESCO avait déjà adopté en 2001 la Déclaration universelle sur la diversité culturelle.

Le corps de la Convention:

  • Reconnaissance de la spécificité des biens et services culturels
  • Reconnaissance de la souveraineté des Etats dans le domaine culturel
  • Importance du rôle des services publics dans le domaine culturel


Les limites de la Convention:

  • Vision trop anthropologique qui déborde du cadre relatif au statut des biens et services culturels.
  • Absence de contenu normatif

- absence d’obligations des parties

- disparition des quotas

- absence de contraintes en matière de financement

- absence de contraintes en matière de règlement des différends

Les dispositions de la Convention se placent sur un plan surtout politique. Le paragraphe 1 de l’article 20 dispose que « lorsqu’elles interprètent et appliquent les autres traités auxquels elles sont parties ou lorsqu’elles souscrivent à d’autres obligations internationales, les parties prennent en compte les dispositions pertinentes de la présente convention. ». Cependant on peut penser que les mesures de l’OMC, plus strictes, influencerons de manière plus convaicante les négociations à venir sur le marché international des services.

La mise en œuvre de la Convention

S. Regourd, l’exception culturelle, Que sais-je?, PUF, Paris, 2002

Ch. Germann, Diversité culturelle à l’OMC et l’UNESCO à l’exemple du cinéma, Revue internationale de droit économique, n°3, 1er juillet 2004, p. 325-354

S.Regourd, Le projet de Convention UNESCO sur la diversité culturelle: Vers une victoire à la Pyrrhus…,Légipresse, 1er novembre 2005, n° 226, p. 115-120, partie II

Voir aussi

Liens

Convention sur la diversité culturelle

UNESCO

Références

  1. General Agreement on Tariffs and Trade. Créé en 1947, cette organisation sera remplacée en 1995 par l’OMC et véritable organisation internationale
  2. General Agreement on Trade in Services. C’est une branche des négociations au sein de l’OMC
  3. CJCE, aff. 155/73, 30 avril 1974
  4. Les autres pays en Europe ont une conception beaucoup plus pratique du service public. Eriger le service public comme modèle de société est spécifique à la France. C’est pourquoi l’on parle d’exception française
  5. Taxe Spéciale Additionnelle (TSA) représentant 11% du prix de la place de cinéma
  6. C’est-à-dire ressources publicitaire, abonnement des chaînes privées hertziennes et ressources publicitaires et redevances des chaînes publiques hertziennes
  7. De même, les sociétés ou personnes contrôlant l’entreprise ainsi que les dirigeants doivent être de nationalité française ou ressortissant de la Communauté européenne