Jurisprudence:Cour d'appel de Reims Ch. correct. 9 novembre 1978 (fr)
- La décision de justice reproduite ci-après n'est reproduite qu'à titre indicatif.
- Elle ne fait pas nécessairement jurisprudence, ce qui signifie que la solution juridique qu'elle énonce doit être considérée par rapport à l'état du droit sur la question appréciée, en particulier s'agissant de décisions de tribunaux du premier degré ou de jugements rendus en équité.
France >
LA COUR ;
— Attendu que le prévenu Z. Lionel, le ministère public et la partie civile A. André, ont régulièrement interjeté appel d'un jugement rendu le 24 mai 1978 par le tribunal correctionnel de Troyes qui, saisi de poursuites contre Z. des chefs d'homicide involontaire sur B. René (art. 319 c. pén.) et de blessures involontaires sur A. André (art. R. 40-4° c. pén.) commis le 22 nov. 1976 à Barbuise, — S'est déclaré compétent ; — a déclaré les infractions établies et non constitués les faits justificatifs de légitime défense et d'état de nécessité ; — a condamné Z. Lionel à la peine de 8 mois d'emprisonnement avec sursis pour le délit et à celle de 600 F d'amende pour la contravention ; — a débouté A. de sa constitution de partie civile à l'encontre de Z.
Attendu que Z., reprenant son argumentation de première instance, demande à la cour de : — dire que Z qui reconnaît avoir eu l'intention, non de tuer mais de blesser les voleurs, a cependant causé la mort de B. et provoqué des blessures à A. ; que dès lors la cour d'assises a seule qualité pour apprécier sa culpabilité aux termes de l'art. 309 c. pén. ; — se déclarer en conséquence incompétente ; — subsidiairement, dire que Z. n'a commis ni maladresse, ni imprudence, ni inattention ni négligence ou inobservation des règlements, et n'a dès lors commis aucune faute justifiant l'application de l'art. 319 c. pén. ; — très subsidiairement, dire qu'en repoussant de nuit l'attaque avec effraction d'une maison habitée, Z. s'est trouvé en état de légitime défense, et qu'aux termes des art. 328 et 329 c. pén. les faits qui lui sont reprochés ne constituent ni crime ni délit ; dire au surplus que pour échapper au danger qui le menaçait, Z. s'est vu dans la nécessité, compte tenu de l'impossibilité de toute autre protection, d'agir comme il l'a fait ; — débouter A. de sa constitution de partie civile ;
— Attendu que les réquisitions du ministère public tendent d'une part à la confirmation du jugement sur la compétence et la déclaration de culpabilité, d'autre part à une application plus bienveillante de la loi pénale ;
— Attendu que A., partie civile, conclut également à la confirmation du jugement sur la compétence et la déclaration de culpabilité ; que par contre, il demande à la cour de le revoir en sa constitution de partie civile, de déclarer Z. responsable du dommage par lui subi, et de condamner Z. à lui payer, avec intérêts à dater de l'accident, la somme de 110 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice corporel ;
Sur ce :
— Attendu que le 22 novembre 1976, après avoir dîné ensemble, B. René et A. André (qui auraient utilisé un véhicule automobile dans lequel auraient pris place une ou deux autres personnes) se rendaient dans la résidence secondaire de Z. Lionel dite « Le Texas », située à Barbuise, afin d'y commettre un vol ; qu'après avoir franchi le grillage d'enceinte, ils pénétraient dans le garage de l'immeuble et fracturaient la porte d'un placard fermé à clé ; que B. ayant manipulé, malgré la mise en garde de A., un poste radio à transistor piégé placé dans ce placard par Z., ce poste explosait, blessant les voleurs ; que ces événements se situaient peu avant 22 heures ; que B. devait décéder des suites de ses blessures peu après son hospitalisation ; que selon l'autopsie, sa mort résultait d'une plaie importante de la partie droite de l'abdomen avec lésions viscérales étendues associées à une amputation de la main droite, alors qu'il existait également une plaie pénétrante, anfractueuse, orbitomalaire droite sans lésion du globe oculaire ; que les médecins experts considéraient que les lésions avaient été produites non seulement par l'explosion mais encore par la pénétration de fragments métalliques agissant comme un véritable projectile ; que A. qui présentait notamment une perte importante de vision de l'œil gauche, restait atteint pour sa part d'une incapacité permanente partielle d'un taux de 25 % aux termes d'une expertise pratiquée en mai 1977 ;
— Attendu que pour écarter l'exception d'incompétence soulevée par le prévenu Z. sur la base de l'art. 309, al. 4, c. pén., le tribunal a considéré qu'il résultait des déclarations contradictoires de l'intéressé qu'il ignorait totalement le résultat que pouvait produire l'engin qu'il avait fabriqué, et n'excluait même pas la possibilité que celui-ci ne fût plus en état de fonctionnement après plus d'une année en raison de l'usure des piles ; qu'ainsi son intention n'était pas nettement caractérisée, et qu'à bon droit la poursuite avait été exercée sur la base des art. 319 et R. 40-4° c. pén. réprimant les homicides et blessures involontaires ;
Mais attendu qu'après avoir été victime de plusieurs cambriolages dont les auteurs n'ont pas été identifiés, Z. a confectionné un engin explosif en piégeant un poste radio qui, selon ses dires, était appelé à exploser soit à la suite de la manipulation du bouton de mise en marche, soit à la suite d'un simple déplacement déclenchant une minuterie qui provoquerait l'explosion environ 90 secondes plus tard ;
— Attendu que le fait par Z. d'avoir placé dans un placard fermé à clé cet engin piégé dont l'explosion a causé une mort et des blessures constitue une présomption grave d'acte intentionnel impliquant la volonté délibérée soit de tuer (ce dont il se défend) soit tout au moins de blesser ceux qui, après avoir fracturé le placard, manipuleraient le poste radio ou s'en empareraient (ce qu'admet Z.) ; que peu importe le mobile qui a inspiré Z., ou le fait que les conséquences de son acte aient été plus graves qu'il ne l'avait voulu et prévu, ou encore qu'un certain temps se soit écoulé depuis la mise en place de l'engin ;
— Attendu que les faits imputés à Z., à les supposer établis, seraient de nature à entraîner une peine criminelle, soit par application des art. 2, 295 et suivants c. pén. concernant les meurtres et tentatives de meurtre voire même les assassinats et tentatives d'assassinat, soit par application de l'art. 309 al. 4, et éventuellement de l'art. 310 du même code concernant certaines catégories de coups et blessures volontaires ; d'où il suit que la juridiction correctionnelle est incompétente pour connaître desdits faits, et que, par application de l'art. 469 c. pr. pén., il convient de renvoyer le ministère public à se pourvoir ainsi qu'il avisera ;
Par ces motifs, reçoit les appels ; faisant droit à l'appel du prévenu, infirme le jugement entrepris ; se déclare incompétente ; renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu'il avisera.
MM. Abadie, prés. ; Marc, subst. ; Chastant et Garaud [du barreau de Paris] et Creusat, av.
Publié dans :
- Dalloz 1979, II., p. 93
- JCP 1979; II., 19046