Jurisprudence:Tribunal correctionnel de Troyes 24 mai 1978 bis (fr)
- La décision de justice reproduite ci-après n'est reproduite qu'à titre indicatif.
- Elle ne fait pas nécessairement jurisprudence, ce qui signifie que la solution juridique qu'elle énonce doit être considérée par rapport à l'état du droit sur la question appréciée, en particulier s'agissant de décisions de tribunaux du premier degré ou de jugements rendus en équité.
France >
LE TRIBUNAL ,
— Sur les faits :
— Attendu que M. Z. Lionnel, garagiste à Villenauxe (Aube), a une résidence secondaire au lieu-dit « Les Grèves de Vigneaux », dans la commune de Barbuise (Aube) ; que sa propriété se situe entre les hameaux de Liours et de courtavant, en retrait du chemin départemental N° 40 ; que l'habitation est isolée dans les bois et entre les étangs ; qu'elle est invisible de la route et des deux agglomérations ;
— Attendu que, selon les dires de M. Z., cette résidence a été cambriolée 13 fois entre avril 1966 et le 22 novembre 1976, à savoir en avril 1966, en mars 1967, en juillet 1969, en mai 1972, en mai 1973, en mai 1974, en août 1974, en février 1975, en juillet 1975, en juin 1976, puis le 2 novembre et le 7 novembre 1976 ; que cinq plaintes de M. Z. ont été enregistrées à la gendarmerie ; que les auteurs des différents cambriolages n'ont pu être identifiés.
— Attendu qu'en 1975 M. Legras a donc songé à se prémunir contre les voleurs ; qu'il a pensé d'abord à des pièges à renard ; puis a mis en œuvre le procédé qui est à l'origine des faits faisant l'objet du présent jugement.
— Attendu qu'il avait recueilli dans un récipient de la poudre de chasse provenant de cartouches inutilisées du fait de leur humidité ; qu'il a pris une partie de cette poudre, l'a placée dans le coffre d'un transistor ; qu'un bouton placé sous l'appareil devait déclencher une minuterie si l'on déplaçait l'engin et provoquer une explosion quatre vingt dix secondes plus tard ; que M. Z. pensait toutefois, selon ses déclarations, que la poudre pourrait brûler lentement et produire une flamme, sans exploser ; qu'il a dissimulé le transistor dans un placard de son garage et qu'il a placé des inscriptions à l'entrée de sa propriété : « Défense d'entrer — Danger de mort » ;
Attendu que plus d'un an après la mise en place de ce dispositif, deux bûcherons, qui travaillaient dans le voisinage, M. B. et M. A. (qui ne savait pas lire), ont pénétré le 22 novembre 1976, de nuit, dans la résidence de M. Z., après avoir escaladé la clôture ; qu'ils ont traversé le garage, dont la porte était, semble-t-il, entrouverte ; que B. a ouvert le placard avec un démonte pneu ; qu'apercevant le transistor, il s'en est emparé ; qu'à ce moment A. lui aurait dit : « attention il va te péter dans la figure » ; qu'au même moment l'engin explosait ; que B. a eu la main droite arrachée et le ventre ouvert par la déflagration, qui lui a projeté sur tout le corps et sur le visage une masse de petits éléments métalliques ; que A. a eu l'œil crevé et plusieurs blessures ; que tandis que B. restait étendu sur le sol, A. est sorti à tâtons pour chercher un secours qui viendra longtemps après, car, aveuglé par le sang, il a eu du mal à trouver une issue, puis à conduire son véhicule sur plusieurs kilomètres ; que B. est mort dans la nuit à l'hôpital de Nogent-sur-Seine par suite de la perte de sang due à ses blessures ;
— Sur la compétence du Tribunal ;
— Attendu que M. Z. oppose à la saisine du Tribunal correctionnel l'exception d'incompétence et demande à ce que l'affaire soit renvoyée devant la Cour d'Assises, afin qu'il lui soit fait application de l'article 309, alinéas 3 et 4 du Code pénal ; qu'il considère en effet qu'il a bien eu l'intention de provoquer des blessures non susceptibles de causer la mort ;
— Attendu qu'il résulte des déclarations contradictoires de M. Z. qu'il ignorait totalement le résultat que pouvait produire l'engin qu'il avait fabriqué ; qu'il n'excluait même pas la possibilité que celui-ci ne soit plus en état de fonctionnement après plus d'une année, en raison de l'usure des piles ; qu'ainsi son intention n'est pas nettement établie ;
— Attendu dès lors que c'est à bon droit que le prévenu est poursuivi sur le fondement des articles 319 et R. 40-4° du Code pénal ; qu'il y a lieu pour le Tribunal correctionnel de retenir sa compétence ;
— Sur le fait justificatif de légitime défense ;
— Attendu que M. Z., à titre subsidiaire, invoque les dispositions des articles 328 et 329 du Code pénal et sollicite sa relaxe en invoquant l'état de légitime défense.
— Attendu qu'aux termes de l'article 328, « il n'y a ni crime ni délit lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui » ;
— Attendu que l'application de ces dispositions paraît incompatible avec celle des articles 319 et R. 40-4° en raison du caractère involontaire du résultat obtenu dans l'accomplissement du délit et de la contravention ;
— Attendu par ailleurs que la légitime défense ne peut se concevoir qu'en réplique à une agression actuelle, ce qui n'est pas le cas en l'espèce où le transistor a été placé plus d'un an avant que l'attaque ne se produise.
— Attendu qu'ainsi le fait justificatif n'est pas constitué.
— Sur le fait justificatif de l'état de nécessité ;
— Attendu que M. Z. invoque à titre subsidiaire l'état de nécessité ;
— Attendu cependant qu'il n'apparaît pas que la pénétration dans la propriété n'aurait pas pu être empêchée par un autre moyen que celui qui a été employé ; que l'état de nécessité n'est pas établi ;
— Attendu que le délit et la contravention sont constitués ; que M. Legras n'a pas d'antécédent judiciaire et fait l'objet d'excellents renseignements ; qu'il convient de lui faire application de larges circonstances atténuantes.
— Sur l'action civile présentée par M. A..
— Attendu que M. A. se constitue partie civile et demande en réparation de son préjudice une somme de 110 000 F ainsi évaluée :
— I.T.T. 2 mois | 3 000,00 |
— I.P.P. de 25 % à 4 000 F le point | 10 000,00 |
— pretium doloris moyen | 6 000,00 |
— préjudice esthétique léger | 1 000,00 |
Total | 110 000,00 |
— Attendu qu'il convient d'examiner le bien-fondé de cette demande ;
— Attendu que le dommage causé à Rousseau n'aurait pu l'être sans l'intervention déterminante de B., qui a forcé l'armoire et s'est emparé du transistor, malgré la mise en garde de A. ; qe cette intervention apparaît comme la cause adéquate du dommage subi ; que dès lors la responsabilité de Z. dans le préjudice de A. n'a pas à être recherchée et qu'il y a lieu de débouter celui-ci de sa demande.
Par ces motifs :
— Sur l'action publique, se déclare compétent, déclare les infractions établies, déclare non constitués les faits justificatifs de légitime défense et d'état de nécessité, en conséquence condamne A. Lionnel à la peine de huit mois d'emprisonement pour le délit d'homicide involontaire, et à celle de six cents francs d'amende pour la contravention de blessures involontaires, dit toutefois qu'il sera sursis à l'exécution de la peine d'emprisonnement dans les conditions énoncées aux articles 734 et suivants du Code de procédure pénale et rappelées à l'audience par M. le Président, condamne A. Lionnel aux dépens liquidés à ... fixe au minimum la durée de la contrainte par corps, le tout par application des articles 319, 463, R. 40-4° du Code pénal, 473,734 et suivants, 749 et suivants du Code de procédure pénale ;
— Sur l'action civile : Déboute A. de sa constitution de partie civile à l'encontre de Z.
MM. Bastide, prés ; Bresciani, subst. ; Mes Lemeland, Chastang et Garaud [du Barrea de Paris], av.
Publié dans :
- JCP 1979, II., 19046