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Affaire stanjames.com, ordonnance rendue en la forme des référés en date du 06 août 2010 par le Tribunal de grande instance de Paris (fr)

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Article de Me Jean Michel Portail
Avocat
www.portail-avocat.com

Il était une fois...

Dans le monde sauvage des paris en ligne, une loi française apparaissait 12 mai 2010, sous le numéro 2010-476[1], donnant à une autorité administrative (l'Autorité de régulation des jeux en ligne ou ARJEL), le pouvoir d'agréer les opérateurs de jeux ou de paris en ligne pour que ceux-ci soient autorisés à exercer, mais également celui de faire ordonner, par saisine du président du tribunal de grande instance de Paris, l'arrêt de l'accès à tout service qui n'aurait pas été ainsi agréé.

L'article 10 de la loi du 12 mai 2010[2] énonce:

« 1° Le jeu et le pari en ligne s'entendent d'un jeu et d'un pari dont l'engagement passe exclusivement par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne. »

Selon cette définition, il n'existe dans la loi aucune limitation à une offre internet qui serait spécifiquement destinée aux joueurs français, par exemple avec un site présenté en langue française. Cette loi a précisément pour objectif de s'appliquer à tout opérateur, sans exception, même de droit étranger; tout simplement parce qu'il existe de très nombreux opérateurs de jeux d'argent sur internet relevant de législations étrangères. Dans ce genre d'hypothèses, le problème majeur qui se pose en pratique est justement la difficulté, parfois insurmontable, que l'on rencontre à faire appliquer une loi française à l'étranger, par exemple à l'encontre de sociétés basées dans des pays n'ayant pas signés d'accords internationaux avec la France, accords garantissant l'exécution des décisions des tribunaux français dans ces pays.

La loi du 12 mai 2010 a entendu simplifier ce problème. Elle considère que tout site accessible sur internet depuis la France (c'est à dire tous les sites internet visibles du monde...), qui serait non agréé par l'ARJEL, pourra voir son accès bloqué depuis la France, pour des joueurs sinon français, du moins connectés depuis la France.

Pour arriver à ce but, un seul moyen efficace: pourvoir contraindre judiciairement les fournisseurs d'accès internet basés en France à bloquer l'accès aux sites illégaux.


La société Stan Gibraltar Limited...

La société Stan Gibraltar Limited, société de droit anglais basée à Gibraltar, proposait des paris en ligne sur son site internet « www.stanjames.com », lesquels étaient accessibles depuis la France évidemment, cela sans avoir été préalablement agréée par l'ARJEL. L'ARJEL a fait parier un Huissier français sur le site stanjames.com, pour faire juridiquement constater que ce site de jeux d'argent était donc bel et bien accessible en ligne pour un résidant de ce pays bénéficiant d'une connexion internet. Dans ces conditions, l'ARJEL adressa un certain nombre de mises en demeure, en application des articles 56 et 61 de la loi précitée.


Une loi permettant l'arrêt d'un accès à une offre en ligne...

L'article 61 de la loi du 12 mai 2010 prévoit notamment:

« L' Autorité de régulation des jeux en ligne adresse aux opérateurs de jeux ou de paris en ligne non autorisés en vertu d'un droit exclusif ou de l'agrément prévu à l'article 21, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure rappelant les dispositions de l'article 56 relatives aux sanctions encourues et les dispositions du deuxième alinéa du présent article, enjoignant à ces opérateurs de respecter cette interdiction et les invitant à présenter leurs observations dans un délai de huit jours.

« À l'issue de ce délai, en cas d'inexécution par l'opérateur intéressé de l'injonction de cesser son activité d'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard, le président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne peut saisir le président du Tribunal de grande instance de Paris aux fins d'ordonner, en la forme des référés, l'arrêt de l'accès à ce service aux personnes mentionnées au 2 du I et, le cas échéant, au 1 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique[3]. »

L'ARJEL a donc le pouvoir de saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins d'ordonner, en la forme des référés, l'arrêt de l'accès à un service internet qu'elle estime illégal. Pour ce faire, L'ARJEL peut assigner les personnes mentionnées « au 2 du I et, le cas échéant, au 1 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004][4] ».

Cela désigne les prestataires techniques suivants:

1°) « les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne »;
2°) « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».

Autrement et plus explicitement dit, il s'agit des FAI (Fournisseurs d'Accès à Internet) et des hébergeurs.

Il est notable que l'article 61 n'énonce pas le droit, pour l'ARJEL, d'assigner l'opérateur lui-même, mais plutôt les hébergeurs et les fournisseurs d'accès. En effet, la loi prévoit que l'opérateur peut être mis en demeure par l'ARJEL de cesser l'activité en ligne estimée illégale et, en cas d'inexécution de l'opérateur (ce qui est fort probable évidemment), l'ARJEL pourra assigner les hébergeurs et les fournisseurs.

Une affaire jugée sans la présence de l'opérateur lui-même...

L'affaire « Stanjames » a débouché au mois d'août 2010 sur un jugement du Tribunal de grande instance de Paris, sans que l'opérateur n'ait été partie au procès.

Le 7 juillet 2010, le président de l'ARJEL, après avoir vainement mis en demeure la société anglaise Stan Gibraltar Ltd de cesser ses activités de jeu en ligne à l'attention des joueurs français, assigne la société anglaise NEUSTAR, estimant que celle-ci est l'hébergeur du site, mais également les fournisseurs d'accès suivants: Numéricable, Orange France, SFR, Free, Bouygues Telecom, Darty Telecom, Auchan Telecom; liste à laquelle vient s’ajouter spontanément France Telecom comme intervenant volontaire à la procédure, celle-ci ayant été oubliée par l'ARJEL en tant que fournisseur d'accès.

Tout le monde est là, sauf le propriétaire du site présumé illégal, lequel n'a même pas été assigné par l'ARJEL.


Des demandes très contraignantes...

L'ARJEL sollicite d'enjoindre, sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard, à l'hébergeur présumé NEUSTAR et sous astreinte de 10.000 euros à tous les fournisseurs d'accès « de mettre en oeuvre toute mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire, au contenu du service de communication en ligne accessible à l'adresse www.stanjames.com ».

En clair, ces demandes sont de nature extrêmement contraignantes pour les fournisseurs d'accès car elles s'avèrent techniquement malaisées à mettre en place. Les défendeurs vont donc avancer des arguments pertinents pour s'opposer catégoriquement aux demandes de l'ARJEL.

Lors des débats, on pourra se rendre compte notamment que la société NEUSTAR, assignée mais ne comparaissant pas, n'est vraisemblablement pas l'hébergeur du site, mais le registrar, la société Stan Gibraltar Ltd apparaissant comme l'hébergeur de son propre site. En outre, les FAI font valoir que la loi a prévu de faire assigner les hébergeurs et, « le cas échéant », les FAI. Elles voient donc dans ce « cas échéant » l'obligation d'assigner en priorité l'hébergeur, puis, en cas d'inexécution de celui-ci, les FAI.


Des FAI aussi responsables que l'hébergeur...

Les débats sur le problème de la qualité de NEUSTAR et sur la nature de ce « cas échéant » ne troubleront pas outre mesure le président du tribunal, celui estimant très subtilement que la loi du 12 mai 2010 a prévu la possibilité d'assigner tant les FAI que l'hébergeur, ces deux possibilités d'action pour l'ARJEL étant distinctes juridiquement.

Madame le président du Tribunal de grande instance ayant constaté par ailleurs que la preuve de l'assignation de la société NEUSTAR n'était pas rapportée par la demanderesse, celle-ci a estimé qu'il convenait de statuer ultérieurement au sujet de cette société (une fois éventuellement réglé ce problème de procédure par l'ARJEL), mais qu'il était parfaitement possible, en l'état, d'entrer en voie de jugement à l'encontre de tous les fournisseurs d'accès régulièrement assignés et présents dans la procédure.

En conséquence, au regard de cette jurisprudence, il faut en conclure que l'ARJEL n'a pas à mettre en demeure en priorité l'hébergeur du site, lequel dispose pourtant de moyens techniques plus adaptés à l'encontre d'un site illégal, plutôt que les fournisseurs d'accès, même si ceux-ci peuvent se trouver confrontés à des difficultés techniques majeures.


L'absence d'un décret...

Lors des débats également, les défendeurs avancent que l'article 61 de la loi du 12 mai 2010 a prévu:

« Un décret fixe les modalités selon lesquelles sont compensés, le cas échéant, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des personnes mentionnées au 1 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée au titre du présent article. »

Il est en effet pour le moins logique, d'un point de vue de l'équité, que les opérations techniques imposées par décision de justice à des fournisseurs d'accès non responsables d'une situation jugée illégale puissent obtenir compensation des éventuels surcoûts exposés. Or, il s'avère que ce décret n'existe pas quand le Juge statue dans cette affaire; les défendeurs avancent donc notamment que le décret d'application de la loi n'étant pas paru, la loi n'est pas applicable; que les demandes de l'ARJEL ne sauraient donc aboutir.

Toutefois, le Juge a estimé, d'une part, que le décret visé par la loi n'est pas un décret d'application et que la loi peut donc parfaitement s'appliquer sans ce décret; d'autre part, en ce qui concerne la demande de prise en charge des frais exposés par les fournisseurs d'accès, lesquels sollicitaient la condamnation de l'ARJEL ou du Trésor Public à ce titre, le Juge a estimé que le décret n'existant pas encore, il était impossible de mettre à leur charge les frais exposés par les FAI...

En conséquence, il s'avère appréciable pour le législateur de ne pas avoir fait paraître ce décret, puisque cela peut permettre une condamnation judiciaire des fournisseurs d'accès sans que la compensation financière de ceux-ci, laquelle est cependant prévue par la loi, ne soit considérée comme une véritable obligation pratique.


En pratique précisément...

Dans son jugement, le président du Tribunal de grande instance a énoncé que la loi du 12 mai 2010 ne précisait pas les modalités de filtrage susceptible d'être mis en place.

Le Juge en conclut qu'il appartient aux fournisseurs d'accès « de prendre toutes mesures de nature à permettre l'arrêt de l'accès au service en cause, soit toute mesure de filtrage, pouvant être obtenu, ainsi que les défendeurs l'exposent, par blocage du nom de domaine, de l'adresse IP connue, de l'URL, ou par analyse du contenu des messages, mises en oeuvre alternativement ou éventuellement concomitamment de manière à ce qu'elles soient suivies de l'effet escompté sur le territoire français. » Le tout sous condamnation d'astreinte de 10.000 euros par jour de retard pendant un mois, ce qui laisse, finalement, aux FAI l'option suivante: ou prendre toutes mesures, ou payer chacun 300.000 euros au total...

Cela a le mérite d'une relative clarté : le Juge ne va pas énoncer à l'hébergeur et aux fournisseurs d'accès les moyens permettant d'obtenir l'arrêt de l'accès à une offre illégale, mais il appartient à ceux-ci de prendre « toutes mesures ». Ni plus, ni moins.

Enfin, le Juge a reconnu néanmoins la complexité des mesures à mettre en place et a, de ce fait, accordé aux fournisseurs d'accès un délai de deux mois pour justifier de la mise en place de celles-ci, alors que l'ARJEL, de façon légère, sollicitait un délai de sept jours...

Ce qui peut donner lieu à un nouvel adage: « à l'impossible, nul n'est tenu dans un délai d'une semaine ». Car le problème non résolu par cette décision de justice est malheureusement assez simple: comment les FAI peuvent-ils empêcher, efficacement, un site de proposer son offre sur internet, cela sans dommage collatéral ?

Les FAI estiment en effet qu'il n'existe pas de procédé fiable à 100% et sans risque de filtrage éventuel des sites légaux. Notons cependant que la jurisprudence « stanjames » n'impose pas une obligation de résultat aux fournisseurs d'accès, mais une obligation de moyens renforcée : prendre toutes mesures permettant de bloquer l'accès à un site.


Un dénouement aussi heureux qu'inattendu...

Alors que les techniciens des fournisseurs d'accès pensaient être obligés de trouver les moyens permettant le blocage de l'accès au site stanjames.com, la société Stan Gibraltar Ltd annonça qu'elle renonçait à proposer ses services aux joueurs français.

Cette société a décidé de mettre en place un dispositif informatique appelé « geo-targetting », procédé permettant la localisation des joueurs pour, selon les législations dont ils dépendent, pouvoir éventuellement leur interdire l'accès au site de jeux.

Désormais, il est donc impossible de se connecter sur le site Internet stanjames.com depuis la France.

Cette décision fut accueillie avec grand soulagement par les FAI français.

Il n'en demeure pas moins que le jugement rendu dans cette affaire énonce clairement les obligations qui pourront, demain, incomber aux fournisseurs d'accès.

Cela ne concernera pas seulement l'accès aux nombreux sites de jeux en ligne illégaux mais, notamment en application des dispositions de la loi pour la confiance dans l'économie numérique et certaines dispositions prévues par la loi LOPSI II de décembre 2011, l'accès aux sites à caractère pédophile.

Dans ce cas, il est évident que les personnes, physiques ou morales, à l'origine de ces sites, ne renonceront pas à diffuser en France, comme partout ailleurs: elles ont parfaitement conscience d'être dans l'illégalité, dans tous pays, depuis longtemps.

Dans ce cas, les FAI pourraient être prochainement poursuivis en justice et ceux-ci devront alors trouver toutes les réponses techniques efficaces imposées par la loi et ordonnées par les Juges afin de bloquer l'accès à de tels sites, sous peine d'astreintes lourdes.

On pourra alors voir si les Juges se contentent de constater que « toutes mesures » auraient été prises par les FAI, pour ne pas condamner ceux-ci, même si des sites miroirs continuent de diffuser.

Car il est difficile de bloquer définitivement l'accès à un site, si ses détenteurs entendent continuer de diffuser.

Voir aussi

Liens externes

Notes et références

  1. Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, JORF n°0110 du 13 mai 2010 page 8881 texte n° 1
  2. op. cit.
  3. Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique : JORF n° 143 du 22 juin 2004 p. 11168
  4. op. cit.