Utilisateur:Jurispartner
Cet article est une ébauche relative au droit tunisien, vous pouvez partager vos connaissances juridiques en le modifiant, vous pouvez également faire une recherche dans le moteur...
|
Tunisie > Droit public >Droit constitutionnel
Le vote électronique : le « non » réfutable
Un point de vue personnel sur la possibilité de procéder au vote électronique pour élire l'assemblée constituante en Tunisie qui se tiendra le 23 octobre 2011
Par Mohamed MDELLAH
Expert Juridique, Chercheur en Droit des NTIC
La Tunisie, Notre chère pays, s'apprête, dans les prochains jours à élire son assemblée constituante (entre le 24 juillet et le 16 octobre, la date est encore sujet de controverses). Une date significative mais aussi alarmante; pour un passage effectif à une période transitoire qui devrait bâtir l'État démocratique et de droit. Les préparatoires sont au vif du sujet avec un compte à rebours déjà lancé; les mesures ont été prises, d'autres sont en cours. On parle surtout des mesures de sureté, qui pourrait atteindre son summum à quelques jours près de la date butoir, mais aussi du cadre juridique à savoir la loi électorale qui régira les élections de cette assemblée constituante.
Au fait, et sur proposition de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, le Président de la République par intérim, monsieur Fouad Mbâzaa a promulgué le décret-loi n°2011-35 du 10 mai 2011 relatif à l'élection de l'assemblée nationale constituante. Ce texte qui n'a cessé de provoquer, depuis son état embryonnaire, de grande polémique plutôt politique que juridique, a dû réglementer l'ensemble des questions pouvant se rapporter à ces élections; mode du scrutin, élaboration des listes électorales, la campagne électorale... sans oublier de prévoir les sanctions aux éventuelles enfreintes aux différentes dispositions du décret-loi.
Toutefois et dans ce même ordre d'idées, j'ai peut être aimé que ce Code électoral aurait stipulé des dispositions régissant l'organisation des mêmes élections par voie électronique. La question pourrait être sans effet ou à effet secondaire, mais du côté juridique son apport ne peut pas être négligé. Et c'est en abordant la question dans ce qui suit, que je vais essayer de relever les différents points pouvant être liés au sujet.
Présenté comme l'un des éléments de transformation de la démocratie, le développement du vote électronique demeure un objectif à vouloir atteindre aussi par les États que par les Institutions internationales et continentales voire même nationales. les expériences vécues jusque là ont bien montré les avantages de ce processus électoral et qui ne peuvent être niées sous aucun prétexte.
Trois modalités de vote électronique sont connus; le vote par machine, le vote par internet et le vote par SMS et serveur vocal. Néanmoins, le doute exprimé quant à la sincérité et la fiabilité de cette dernière modalité nous pousse à se limiter aux deux premiers et de voir ses avantages et ses inconvénients.
Sommaire
I- Les différentes Formes du vote électronique
A- Le vote par machine
C'est une forme plus évoluée du vote traditionnel. Au fait installées aux bureaux de vote, ces machines devraient permettre aux électeurs de choisir et d'élire leurs représentants en suivant les indications affichées par ces machines.
Cette forme de vote est très répandue en Belgique, aux Pays-Bas, aux USA, au Brésil et au Venezuela. En France, le vote par machine est connu depuis le siècle dernier, la loi du 10 mai 1969 a en effet autorisé l'emploi des machines à vote dans quelques communes et bureaux de vote. De son côté, l'article L57-1 du Code électoral français (tel que modifié par la loi n°2005-102 du 11 février 2005[1]); a pévu un certain nombre de conditions pour les modèles de machines à voter devant à priori être agréé par le ministre de l'intérieur à savoir notamment:
- permettre aux électeurs handicapés de voter de façon autonome, quel que soit leur handicap ;
- permettre plusieurs élections de type différent le même jour...;
- ne pas permettre l'enregistrement de plus d'un seul suffrage par électeur et par scrutin ;
- totaliser le nombre des votants sur un compteur qui peut être lu pendant les opérations de vote ;
- totaliser les suffrages obtenus par chaque liste ou chaque candidat ainsi que les votes blancs, sur des compteurs qui ne peuvent être lus qu'après la clôture du scrutin ;
- ne pouvoir être utilisées qu'à l'aide de deux clefs différentes, de telle manière que, pendant la durée du scrutin, l'une reste entre les mains du président du bureau de vote et l'autre entre les mains de l'assesseur tiré au sort parmi l'ensemble des assesseurs.
La machine à voter comprend au moins trois variantes:
- Direct Recording Electronic (DRE): c'est la forme la plus connue, l'électeur émis son vote directement sur la machine qui l'enregistre dans son mémoire utilisée à la clôture des élections, pour le calcul et l'impression des résultats. Cette variante est beaucoup utilisée en France et au Canada.
- Les machines à carte à puce: le choix de l'électeur émis dans son isoloir, est enregistré sur une CàP qui sera peu après insérée dans un autre ordinateur jouant le rôle d'une urne, qui la lie et la comptabilise. Cette variante connue sous le vocable de "vote automatisé" est communément répandu en Belgique.
- Les machines liées à un réseau local au bureau de vote: à la différence de la variante précédente, ce type de machine permet à l'électeur de faire son choix dans un isoloir connecté à un serveur faisant office d'urne. Ce système est bien connu en Australie.
B- Le vote par internet (i-vote),
À la différence du vote par machine, il s'agit réellement d'un vote à distance à partir d'un ordinateur lié à l'internet. L’électeur souhaitant voter par internet doit se manifester auprès des autorités compétentes et se faire inscrire comme tel. Une validation lui serait envoyée avec un identifiant et un code secret ainsi que la vérification du terminal informatique utilisé par l'électeur. Le vote par internet qui fait partie fait partie d’un ensemble plus large à savoir le vote électronique (e-vote), ne dispose pas de modèles organisationnels, légaux et technologiques prédéfinis ni même de procédures préétablies et son déroulement n'est toujours identique. Généralement, l'électeur devrait se connecter au site officiel de vote à travers un ordinateur (qui n'est pas nécessairement le sien) relié à l'internet, s'identifier et s'authentifier pour pouvoir voter. Les résultats sont produits à la fin du scrutin à travers le serveur utilisé pour recueillir et stocker les opérations de vote.
L'utilisation des nouvelles technologies de l'information et des communications dans le processus de vote entre dans le contexte de modernisation de la démocratie et de la vie politique. Le vote électronique semble gagner du terrain en dépit même des critiques omniprésentes. Des pays comme l'Estonie, la Suisse et la Corée du Sud se sont engagés "irrévocablement" dans le processus de dématérialisation du vote; les infrastructures techniques de ces pays et les taux de connectivité de leurs habitants militent déjà en faveur de la poursuite et la généralisation du processus. D'autres renoncent à l'expérimentation tel que la Grande Bretagne, les USA et l'Irlande, alors qu'une pays comme l'Espagne temporise encore (une expérimentation de vote par Internet a eu lieu en Espagne du 1er au 18 février 2005).
Adopter le processus de dématérialisation ou s'en désengager ne sont pas des décisions arbitraires. Ceux qui ont décidé de continuer dans le processus y ont vu des avantages alors que ceux qui se sont désengagés s'attachent aux inconvénients prouvées à travers l'expérimentation.
II- Évaluation du processus du vote électronique
A- Les avantages du vote électronique
Le vote électronique, qu'il soit à travers la machine à voter ou à travers l'Internet, prouve aujourd'hui une certaine acceptation chez certains électeurs ou même chez les pouvoirs politiques de tendance libérale qui y voient dans ce processus de vote une façon et une manière d'atteindre un ensemble d'objectifs souhaités à travers l'adoption du vote électronique, à savoir notamment;
- la généralisation des opérations de vote et le recul de l’abstention, la simplification et la facilitation du vote à tous y compris les personnes handicapées.
- la modernisation de l’organisation des opérations de vote qui fait d'ailleurs partie du cadre général de "l'e-gouvernement".
- la dématérialisation des bulletins qui aurait pour effet de réduire au maximum le nombre des bulletins nuls.
- les opérations automatiques d'enregistrement, de dépouillement et d'émargement de vote qui sont quasi-instantanées et plus rapide que si elles seront faites par des humains.
- et, l’amélioration de la fiabilité des décomptes et les baisse du coût des opérations. Dans ce cadre le vote électronique devrait normalement réduire les coûts des élections et l'investissement initialement important pour l'acquisition et l'implantation des infrastructures nécessaires au bon déroulement du vote électronique. Le tout, sera véritablement amorti par la diminution des rémunérations du personnel mobilisé le ou les jours des élections.
- Sans oublier enfin l'économie de papier ainsi que la préservation de l'environnement alors même
B- Les Inconvénients du vote électronique
Ceux qui rejettent le recours au vote électronique, fondent leur décision sur les vulnérabilités des systèmes informatiques qui prouvent une certaine incapacité quant à l'assurance d'un strict respect des principes du scrutin démocratique et à donner des résultats parfaitement justes.
Ces vulnérabilités vont d'un simple dysfonctionnement des ordinateurs, programmes ou application jusqu'au déni de service dans le but d'empêcher les électeurs "légitimes" de voter. Sans oublier les fraudes, les interventions aussi bien internes qu'externes et les utilisations des virus et des vers.
D'autres rappellent les principes de vote démocratique qui seraient difficilement garanties voire fortement irrespectés:
- la confidentialité du vote électronique est altérable soit par les éventuelles tentatives d'usurpation d'identité soit par les multiples contrôles opérés à travers le réseau.
- l'anonymat: le secret de vote est facilement violable par les personnes ayant des intentions malveillantes. Ce risque pourrait être inévitable lorsque ces personnes-là bénéficient déjà d'un droit d'accès aux serveurs.
- la transparance des opérations de vote est difficilement assurée devant la dématérialisation du processus de vote. La modification des inscriptions aux bulletins de vote enfermés dans des enveloppes "scellés" qui parait très difficile au monde réel, parait faisable au monde virtuel.
- l'unicité qui est contrôlée à travers le registre d'émargement, n'est plus contrôlable depuis que l'émargement est fait instantanément et automatiquement par la machine ou l'ordinateur.
Ces inconvénients du vote électronique ont beaucoup influencé l'opinion du grand public qui se trouve aujourd'hui peu familiarisé avec le processus dématérialisé de l'opération de vote. Toutefois, une certaine étude de l'état des lieux peut dévoiler certaine opacité, corriger certaines erreurs et ouvrir beaucoup de perspectives.
III- Réalités et Perspectives
La fragilité des systèmes informatiques ne peut en aucun cas être méconnue ou mettre en doute. L'infaillibilité des ordinateurs et des machines de vote est indiscutable, mais ce constat ne peut en aucun cas négliger les avantages du vote électronique. Les vulnérabilités ainsi tracées ne peuvent à elles seules remettre en cause tout un système fonctionnel qui a même montré son efficacité. Des exemples comme l'Estonie, la Suisse et la Corée du Sud ne peuvent que nous affirmer que les failles du vote électronique sont une production humaine et par conséquent elles sont évitables, corrigeables et enfin contrôlables. L'ordinateur et la machine de vote fonctionnent comme ils doivent fonctionner, selon des critères de sécurité largement inspirés des critères de la sécurité informatique. L'absence d'un seul critère altère le bon fonctionnement du système et par conséquent le bon déroulement du processus du vote électronique.
L'intégrité du vote est assurée par la certification du système (un Checksum) suite à laquelle il ne peut être modifié et il ne doit l'être et toute modification ultérieure ne peut qu'être qu'avec une intention malveillante. La Certification du système devrait être renforcée par une certaine protection contre toute tentative frauduleuse ou non dans le but d'empêcher l'indisponibilité du système.
Même protégé par le secret industriel, le système informatique de vote doit pouvoir être inspecté à n'importe quel moment. Quant à la sureté du système, elle devrait être renforcée par des techniques visant à accroitre cette sureté. De leur coté, les mémoires des ordinateurs de vote sur lesquelles sont inscrits le programme et les paramètres ne doivent être accessibles qu'en lecture seule pour éviter toute modification ultérieure, tandis que les mémoires recueillant les votes doivent être non réinscriptibles (once-writable memories).
D'autre part, il faut s'assurer de l'intégrité des personnes pouvant être impliquées dans le développement, l'utilisation ou l'administration d'ordinateurs ou de machine de vote doit être vérifiée. Les personnes ayant été condamnées pour des crimes ou des fraudes doivent être écartées.
Toutefois, il faut savoir que ces critères ne peuvent être respectés qu'avec un coût d'investissement important qui est au fait nécessaire pour s'assurer que le système de vote dématérialisé accuse un très peut nombre d'erreur qui est même négligeable.
Il faut savoir enfin que le nombre d'incidents massifs enregistrés qu'il soit aux USA (2002 et 2003), au Canada (Le Québec en 2005) et en Belgique lors des élections de 2003, ont été causé par des cas de dysfonctionnement de matériel informatique (panne inaperçu) ou de malfonctionnement de software (programme, application..) et qui prouvent encore l'absence intentionnelle ou la négligence des mesures adéquates pour le bon déroulement du vote électronique.
Faut-il savoir toutefois que le scrutin "dit" démocratique n'est qu'un utopie et les résultats parfaitement justes est une aberration. Aussi bien le vote traditionnel que le vote électronique prouvent des insuffisances et des anomalies, pourquoi alors les accepter dans le premier et le refuser dans le second? pourtant elles ne sont toutes que "le fruit" de la faute humaine qui y est derrière et que cette faute qui peut être inintentionnelle dans le vote électronique ne peut qu'être de volonté au scrutin traditionnel!
Coté perspectives, il faut savoir que les pays qui ont déjà expérimenté le vote électronique n'ont s'en pas définitivement désengagés en dépit même des failles et des risques. Ils continuent à y penser en s'inspirant même des difficultés et des vulnérabilités. On assiste déjà à des ordinateurs de vote avec bulletins matérialisés et même vérifiés par les électeurs, à des ordinateurs de vote avec bulletins matérialisés et numérisés ainsi que des ordinateurs de vote avec bulletins matérialisés sans dépouillement... Tous ces exemples de mise en œuvre de systèmes de vote électronique (dématérialisé) prouvent l'attachement de ces pouvoirs politiques à l'instauration d'un système de vote électronique qui pourrait être un jour infaillible. Pourquoi pas la Tunisie? avec son infrastructure technique encourageante et son futur texte électoral qui sera parmi les missions de l'assemblée constituante à élire dans les prochains jours.
Voir aussi
- Trouver la notion vote électronique dans l'internet juridique tunisien
Références:
- Manuel d'observation des élections, cinquième édition, publié par le Bureau des Institutions Démocratiques et des Droits de l’Homme (BIDDH), 2005, Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)
- Chantal Enguehard,
- Le vote électronique en France, rapport interne, juillet 2006, article révisé le 8 décembre 2006.
- Vote par internet : failles techniques et recul démocratique, rapport interne hal-00181335, octobre 2007.
- Vote électronique et preuve papier; 14ème Colloque international "De l'insécurité numérique à la vulnérabilité de la société" Paris, 14 et 15 Juin 2007
- AUER (A.), VON ARX (N.) La légitimité des procédures de vote : les défis du vote électronique, faculté de droit de l'Université de Genève, Suisse, (décembre 2001).
- CNIL. Délibération n° 03-036 du 1er juillet 2003 portant adoption d'une recommandation relative à la sécurité des systèmes de vote électronique, (1er juillet 2003).
- LE FORUM DES DROITS SUR L’INTERNET. Quel avenir pour le vote électronique en France ?, (26 septembre 2003).
- René Trégouët, "La e-démocratie, enjeux et perspectives". club.senat.fr, (consulté le 16 mai 2006).
Notes
- ↑ Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, JORF n°36 du 12 février 2005 page 2353 texte n° 1