Disparition des mesures techniques de protection (fr) : Différence entre versions
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Au sortir de la guerre, la révolution technologique initiée par l'apparition de la radiodiffusion et de la télévision a considérablement bouleversé la gestion et la protection des droits d'auteur jusqu'à là pérennes. Régi historiquement par la Convention de Berne du 9 septembre 1886, le régime de protection des droits d'auteur a dû évoluer avec son temps et faire face à une véritable démocratisation et prolifération des œuvres au delà des frontières. L'avènement d'Internet et la numérisation de nombreuses catégories d'œuvres et d'interprétations permettent désormais de stocker et de reproduire des contenus sur une multitude de supports et de les transférer ou les télécharger sur le web. Face à cette mondialisation des échanges, le recours à la technique comme instrument de défense de droit s'est imposé pour encadrer et limiter les reproductions et utilisation illicites des œuvres. C'est dans cette logique que des dispositifs techniques regroupés au sein de la gestion des droits numériques ou "Digital Right Management" (DRM) en anglais, ont été mis en place. Parmi eux, les mesures techniques de protection (MTP) des œuvres, annoncées comme le principal rempart au piratage, ont particulièrement fait débat. Censées contrôler l'utilisation des œuvres numériques, ces dernières ont progressivement vu leur efficacité remise en cause si bien que leur disparition semble de plus en plus d'actualité.
Sommaire
Histoire du dispositif : les fondements juridiques
Fondements internationaux et communautaires
Le Traité de l'OMPI du 20 décembre 1996
Envisagées pour la première fois par la législation américaine dans le cadre du Audio Home Recording Act de 1992, les mesures de protection techniques ont été véritablement consacrées sur le plan international par les deux traités de l'OMPI de 1996, concernant respectivement le droit d'auteur et les droits voisins. En effet, le traité de l'OMPI sur le droit d'auteur du 20 décembre 1996 énonce dans son article 11 que "Les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et qui restreignent l’accomplissement, à l’égard de leurs œuvres, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi". La consécration de la protection juridique contre le détournement de toute mesure efficace marque la naissance de cette notion de mesures techniques de protection. Notion qui sera affinée au niveau communautaire par la directive européenne du 22 mai 2001.
La directive européenne du 22 mai 2001
Dans la lignée des traités de l'OMPI de 1996, la directive européenne n°2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins va venir imposer aux Etats membres la mise en place d'une "protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace"(Article 6-1). De même, la directive va pour la première fois définir la notion de mesures techniques de protection en les considérant comme "[...] toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur prévu par la loi, ou du droit sui generis prévu au chapitre III de la directive 96/9/CE" (Article 6-3). C'est ce texte communautaire qui sera à l'origine du régime juridique des mesures techniques de protection en France avec la transposition de la directive en 2006 et la rédaction de la loi DADVSI du 1er août 2006.
Fondements nationaux
La loi DADVSI du 1er Aout 2006
La loi n°2006-961 du 1er aout 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins de la société de l’information (DADVSI) transposant (avec un an de retard et après condamnation) la directive européenne du 22 mai 2001 encadre la mise en place des mesures techniques de protection des œuvres en droit français. Ayant pour objectifs de lutter contre le piratage (peer-to-peer) et les utilisations non-autorisées de contenus (copie sur CD…), cette loi précise les types de restrictions applicables à la diffusion ou à la reproduction d’une œuvre ainsi que les limites du dispositif. A titre d’exemple, les titulaires de droit pourront comme le permet l’article L.331-7 du Code la propriété intellectuelle « assigner comme objectif [aux mesures techniques de protection] de limiter le nombre de copies » de leurs œuvres. De même, comme le précisaient les textes internationaux (article 6-3 de la directive du 22 mai 2011) repris par le Code de la propriété intellectuelle (article L331-5) , « les mesures techniques sont réputées efficaces lorsque l’utilisation d’une œuvre protégée, ou celle d’un autre objet protégé, est contrôlée par les titulaires du droit grâce à l’application d’un code d’accès ou d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute transformation de l’œuvre ou de l’objet protégé ou d’un mécanisme de contrôle de copie qui atteint cette objectif de protection ». Aux vues de cet article, seules les mesures de protection efficaces (c’est-à-dire dont « l’utilisation est contrôlée par les titulaires de droits ») s’adressant à des œuvres protégées (non contrefaites ou portant atteinte aux droits d‘auteur) bénéficient de la protection juridique, les dispositifs de faible sécurité ou facilement contournables n’étant pas concernés.
Tout en restant dans l’esprit de son ainée européenne, ce texte effectue un véritable renforcement de la protection des droits patrimoniaux en durcissant les dispositifs de protection juridique des mesures techniques de protection. En effet, le Code de la propriété intellectuelle (CPI) prévoit des types de délits spécifiques à toute personne qui fournit les moyens de porter atteinte (article L335-3-1 du CPI) ou porte atteinte à la mesure technique (article L335-3- 2 du CPI), les peines étant dans le premier cas de 6 mois de prison et de 30 000 € d’amende et de 3750 € d’amende pour le second délit. Le décret du 23 décembre 2006 relatif à la répression pénale de certaines atteintes portées au droit d’auteur et aux droits voisins viendra quelques mois plus tard compléter les sanctions en pénalisant par une contravention de 4e catégorie les individus détenant ou utilisant un outil dédié au contournement d’une mesure technique (article R.335-3 du CPI).
Enfin, le législateur de la loi de 2006 a pris soin de prévenir les multiplications excessives de mesures techniques de protection en subordonnant la validité de leur application à leur interopérabilité, condition nécessaire à un « libre usage de l’œuvre » (article L331-5 alinéa 6).
L’article L331-5 alinéa 4 du CPI dispose que « les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en œuvre effective de l’interopératibilité, dans le respect du droit d’auteur ».
En d’autres termes, l’ensemble des mesures techniques de protection ne doit pas avoir pour conséquence d’entraver la lecture ou l’utilisation des œuvres protégées quel que soit le type de matériel utilisé ou le logiciel mis en place pour les décrypter ou les décoder.
Pour veiller à la bonne réalisation de ces objectifs, le législateur à créé par le décret du 4 avril 2007 l’autorité de régulation des mesures techniques. Dévolu aujourd’hui à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), ce rôle de régulateur est une des composantes essentielles de la loi DADVSI de 2006. Le Code la propriété intellectuelle fixe les fonctions de cette nouvelle autorité administrative indépendante au sein de l’article L331-31. Cette dernière veille à ce que les mesures techniques assure l’interopérabilité des contenues protégées mais aussi que ces dernières ne fassent pas échec aux exceptions admises aux droits d’auteur notamment l’exception pour copie privée prévu à l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Malgré la mise en place de cette autorité, les mesures techniques de protection montrent au fur et à mesure de leur application des signes de faiblesse et qui entraineront une remise en cause de leur fonctionnement.
Les lacunes des mesures techniques de protection
Les atteintes à l’exception de copie privée
L’exception de copie privée est prévue à l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Cet article prévoit qu’une fois l’œuvre divulguée, l’auteur ne peut interdire sa reproduction ou sa copie pour des usages destinés à une utilisation privée et non collective. Or, les auteurs ont la possibilité par l’intermédiaire des mesures techniques de productions de conditionner voire de restreindre la copie privée de leur œuvre. C’est la question qui a été chargé de trancher dans l’affaire Mulholland Drive dans un arrêt de la cour de cassation du 28 février 2006. Un individu ayant acheté légalement un DVD du film, n’avait pu par la suite réaliser une copie de sauvegarde à cause d’une mesure technique de protection empêchant sa reproduction. Appliquant le « test des trois étapes » défini dans la Convention de Berne, la Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel au motif que l’exception de copie privée portait atteinte au critère de « l’exploitation normale de l’œuvre ». Dès lors, l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose dans son avant dernier alinéa que « les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ».
Le non respect de l’interopérabilité des contenus
Principale limite à la prolifération massive des mesures de protection, le principe de l’interopérabilité a de nombreuses fois été bafoué dans la pratique. Malgré la création d’une autorité de régulation des mesures techniques, les consommateurs se sont souvent trouvés pris au piège en achetant des œuvres qu’ils ne pensaient pas protégés. Dès lors de nombreux contentieux sont nés aux États-Unis et en France ou le juge a souvent fait appel à la théorie des vices cachés pour condamner les fabricants fautifs. Cela a été notamment été le cas de certaines majors qui n’avaient pas indiqué la présence de mesures de protection technique sur plusieurs de leurs œuvres empêchant la lisibilité de ces dernières sur certains lecteurs (CD, autoradio, ordinateur…). Pour palier à ce problème, le législateur français a d’ailleurs inséré une obligation d’information mentionnant la présence d’une mesure technique de protection sur une œuvre à son utilisateur (article L331-10 du Code de la propriété intellectuelle). Malgré cela, le manque d’interopérabilité des mesures techniques de protection a pour conséquence de détourner la loi DADVSI de son objectif initial à savoir la lutte contre la contrefaçon sur internet. Pire ces « verrous numériques » semblent constituer un frein au développement de l’offre légale en incitant les internautes à télécharger des contenus illicites bien plus flexible et compatible que les contenus légalement acquis. Conscient du danger pour les créateurs, les majors ainsi que les États tendent de plus en plus à l’abandon de ces mesures techniques de protection.
L’abandon des mesures techniques de protection en France
Même si à première vue les MTP étaient censés assurer une meilleure protection des œuvres contre les copies illégales, la diffusion massive de fichiers contrefaits depuis la mise en place du mécanisme ont jeté le doute sur les éditeurs de musique. C’est ainsi que ces derniers ont dès 2006 tenter de commercialiser des contenus sans DRM. C’est le cas de la major EMI qui en premier a mis en vente des contenus sans DRM. Face a ce succès, Warner, Universal music et Sony BMG suivront ne laissant pas insensible les gouvernants comme cela a été le cas en France.
Les accords de l’Élysées du 23 novembre 2007
Le 1er aout 2007, le président Nicolas Sarkozy assigne pour tâche à la ministre de la culture et de la communication Christine Albanel de mettre en place un plan de « protection et de promotion des industries culturelles couvertes par les droits d’auteur et droits voisins ». Objectifs de la mission : - Développer une offre légale diversifiée - Renforcer la répression contre la piraterie numérique
Confié par la ministre à Denis Olivennes, cette mission de réflexion et de concertation est destinée à favoriser la conclusion d’un accord entre les professionnels de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel et les fournisseurs d’accès à Internet. Après plusieurs mois d’étude, le rapport préconise dans sa deuxième recommandation d’abonner les mesures techniques de protection sur les catalogues de musique aussi longtemps que ces dernières » font obstacle à l’interopérabilité ». Suivant les conclusions de la mission, sont signés le 23 novembre 2007 les accords de l’Élysée. En plus d’organiser à une nouvelle chronologie des médias, ces accords signés avec tous les acteurs du secteur engagent les maisons de disques à retirer les mesures de protection des productions françaises de leur catalogue dans le courant de l’année 2009. Cet acte marque le point de départ du processus d’abandon des mesures techniques de protection dans les œuvres musicales en France qui sera repris dans le plan de développement de l’économie numérique proposé par Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’Énergie été de l’Économie numérique le 20 octobre 2008 et confirmé dans la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet dite « HADOPI » du 12 juin 2009.
La confirmation dans la loi Création et Internet du 13 juin 2009
La loi Création et Internet du 13 juin 2009 reprend les engagements prévus dans les accords de l’Élysée de 2007 dans son article 25 qui indique que « dans un délai de trois mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, les services de communication au public en ligne qui proposent un service de vente à l’acte de phonogrammes concluent avec les producteurs, pour l’exploitation de ce service et dans le respect des droits et exclusivités reconnus, un accord destiné à commercialiser ces phonogrammes dans le cadre d’une offre sans mesures techniques de protection lorsque celles-ci ne permettent pas l’interopérabilité ».
En plus de ce rappel, la loi de 2009 charge la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet - fraichement créée – de veiller à cette interopérabilité.