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Liberté d'expression et autorité judiciaire (fr)

Un article de JurisPedia, le droit partagé.
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France > Droit des médias > Droit de la presse > Droit pénal de la presse

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Le droit à l'information et la liberté d'expression sont des principes fondamentaux de notre société. Les professionnels de l'information jouent un rôle de « chien de garde » de la liberté d'expression et d'information du public. Cela dit, la liberté reconnue aux journalistes n'est pas illimitée. La réglementation de l'information policière et judiciaire mêle dispositions de la loi du 29 Juillet 1881, relative à la liberté de la presse, et dispositions contenues dans d'autres textes, spécifiques ou non à ces activités, codifiées dans le code pénal, le code de procédure civile, le code civil...Ces textes retiennent, d'une façon qui ne peut cependant être absolue , le principe de la publicité de l'action policière et judiciaire, et donc du droit à l'information à diverses étapes de la procédure des actions de la justice.

Sommaire

La protection de la liberté d'information judiciaire et policière

Aux termes des réglementations spécifiques au droit des médias (loi de 1881) et générales (les règles de droit commun posées par les codes français), la publicité est, en principe, la règle s'agissant de l'audience ou des débats des juridictions et des décisions de justice.

La publicité des débats ou audiences des juridictions

En 1994, dans l'arrêt Cour de cassation, chambre criminelle 10 Mai 1994, G.LIGNAC [1] a proposé une définition générale du compte-rendu judiciaire (publicité des débats ou audiences): « D'une part, il consiste à mettre en rapport les prétentions contraires des parties et à permettre par une narration générale ou partielle d'apprécier l'ensemble des débats judiciaires. D'autre part, l'auteur du compte rendu doit s'abstenir de toute dénaturation des faits et de toute imputation malveillante spécialement à l'égard des membres de la juridiction ».

Les dispositions de la loi de 1881

L'immunité

En Droit pénal des médias, on rencontre une institution, appelée immunité, qui provoque la disparition de l'infraction. L'effet est radical, on ne recherche pas les circonstances susceptibles de justifier l'acte délictueux, mais on se borne à constater l'immunité et dès lors l'acte devient licite pour les personnes concernées.

La loi du 29 Juillet 1881 prévoit deux sortes d'immunités générales ayant trait aux débats et comptes rendus parlementaires ou judiciaires. L'alinéa 3 de l'article 41 vise à garantir la liberté d'information en énonçant un principe d'impunité et d'immunité concernant la publicité des débats ou audiences des juridictions.

Pour bénéficier de cette immunité, garantie de la liberté de communication et du droit du public à l'information, il faut que le compte rendu soit « fidèle » et « fait de bonne foi ». La fidélité de l'information par rapport au débat suppose qu'il n'y ait pas d'inexactitude, de dénaturation ou de partialité de la part du journaliste. Quant à la bonne foi, l'information donnée ne doit pas être tardive ou motivée par une intention de nuire, traduire un manque de prudence, d'objectivité, de circonspection ou de sincérité.

C'est à celui qui se prévaut de l'immunité de prouver que ces conditions sont réunies, il peut le faire selon le mode de preuve du droit commun.

L'exception d'immunité

Avant toute chose, il ne faut pas que la publication d'information ayant trait au débat n'ait été interdite par un texte particulier. Les exceptions sont, tout d'abord, prévues pour assurer le respect de la personne mise en cause et l'intimité de la vie privée. C'est le cas de l'article 39 qui interdit les comptes rendus des procès en diffamation (lorsque l'imputation concerne la vie privée, lorsque les faits remontent à plus de dix ans, lorsqu'elle se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite...), des procès en recherche de paternité ou procès en divorce. L'article 38 ter limite les techniques d'information de la justice « dès l'ouverture de l'audience des juridictions administratives et judiciaires, l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer de fixer ou de transmettre la parole ou l'image est interdit ».

L'immunité ne joue pas pour les commentaires ou les fictions imaginées à partir des débats ou pour les propos tenus par un avocat à la sortie de l'audience. De plus n'est pas un compte-rendu judiciaire le fait pour un prévenu d'évoquer un procès dans un livre où il remet en cause un magistrat.

La règlementation générale

Le principe de la publicité des débats est très largement posé par la loi de 1881 et l'attachement à un tel principe tient aux dangers et inconvénients d'une justice secrète. Le caractère public des audiences est considéré comme une garantie pour la protection, la défense et le respect des droits du justiciable. Il semble normal que le public puisse avoir accès à la justice et être informé de ses actions, étant donné que c'est au nom du peuple que la justice est rendue. Les médias ne font qu'élargir cette publicité. Le droit commun vient cependant apporter quelques restrictions nécessaires à ce principe de publicité. Le seul autre moment ou acte judiciaire pour lequel est expressément posé le principe de la publicité, c'est à l'égard de l'action de la justice elle-même en ce qui concerne les décisions de justice elle-mêmes.

Les limites au Principe

Certaines limites s'imposent à tous (professionnels des médias comme à quiconque) du fait de la nature des affaires. À moins d'y être seuls admis, les journalistes ne peuvent pas rendre compte d'une audience tenue à huis clos. Il s'agit d'assurer la sérénité de l'action de la justice et, tenant compte de la nature de certaines affaires, d'éviter les scandales et des désordres publics. Les articles 3061, pour les jugements de crimes, et 4002, en matière correctionnelle, du code de procédure civile restreignent la publicité pour des raisons d'ordre public, si elle apparaît comme dangereuse pour l'ordre et les moeurs.

En plus des limites au principe de publicité des audiences interdisant la mise en oeuvre de l'immunité contenues dans la loi de 1881, l'article 143 alinéa 4 de l'ordonnance du 2 Février 1945, relative à l'enfance délinquante, sanctionne la publication des débats judiciaires en matière de minorité. Cet article dispose qu'est interdite la publication des comptes rendus des débats des tribunaux pour enfants.

L'enregistrement

La réglementation générale de la publicité des débats posent également des restrictions quant à l'usage de certaines techniques de communication.

L'article 38 ter de la loi de 1881 interdit « l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer (...) » dans les audiences; « Toutefois, sur demande présentée avant l'audience, le président peut autoriser des prises de vue quand les débats ne sont pas commencés, et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère y consente ». L'article L221-1 du code du patrimoine n'autorise un enregistrement audiovisuel de procès qu'à des fins de constitution d'archives historiques de la justice. L'enregistrement ne peut être réalisé que sur décisions de l'autorité judiciaire en fonction de l'intérêt de celui-ci pour la constitution d'archives historiques. Il ne doit pas porter atteinte au bon déroulement des débats, ni au libre exercice des droit de la défense.

La liberté de communication des décisions judiciaires

Le principe de la publicité des décisions de justice a un caractère général et presque absolu. Il est posé par de nombreux textes, qui s'appliquent ou profitent également aux médias. Ce principe est confirmé par la du 29 Juillet 1881 ainsi que par le droit commun.

La liberté de publication dans la loi de 1881

La publication des décisions de justice sous leur forme nominative est le pendant du principe de publicité de l'audience. Pour garantir le respect du principe de publicité des décisions, élément et condition de la liberté d'information, l'article 39 précise que les restrictions qu'il fixe (notamment quant aux interdictions de compte rendu dans les affaires de diffamation, filiation, divorce..) ne s'applique pas au dispositif des décisions.

De la loi de 1881 vont découler des restrictions dans l'application du principe de liberté de publication. Elle sont apportées à titre d'exception. En contradiction avec le principe de publicité des décision, les tribunaux ont parfois restreint ce principe du fait de l'abus de cette liberté de diffusion de l'information. Au cas où la volonté de nuire, par la publication, pourrait être établie, il serait alors éventuellement possible d'obtenir une condamnation pour diffamation

Le régime générale du principe de liberté de publication des décisions

Puisque le principe est également en droit commun celui de la publicité, les médias sont normalement libres de contribuer à cette publicité; Elle est exigée par la loi,à peine de nullité, mais n'est pas limitée à l'enceinte du prétoire; au contraire, il entre dans la mission du journaliste de donner à cette publicité un caractère extensif en vue d'informer le public, qui pratiquement, ne peut avoir connaissance, autrement que par la voie de la presse, des décisions susceptibles de lui permettre de régler sa conduite ». La justice est rendue au nom et pour le peuple, le principe de la publicité des décisions de justice et le relai des médias offre un accès public légitime a la Justice et à ses actions, au même titre que les comptes rendus judiciaires.

L'atténuation de l'impact médiatique

La loi du 4 Janvier 1993 a donné au juge d'instruction et à la chambre d'instruction la possibilité d'ordonner des publications judiciaires à la suite d'un non lieu. L'objectif de ces dispositions vise à atténuer les impacts médiatiques que peuvent avoir les éléments et dossiers d'instruction relatés dans la presse écrite ou audiovisuelle. Il s'agit donc d'informer les lecteurs, auditeurs, spectateurs, que telle affaire portée précédemment à leur connaissance a finalement aboutit à un non lieu. Les domaines de ces articles est limité à la phase de l'instruction, donc il ne concerne pas les classements sans suites et les décisions de relaxe ou d'acquittement. Ce sont les juridictions de l'instruction qui déterminent la teneur de la communication diffusée.

L'atténuation du principe due à la minorité

Certaines exceptions au principe de publicité des décisions peuvent être ici aussi apportées. Les seules exceptions légales explicites concernent les jugements de mineurs délinquants. L'article 14 de l'ordonnance du 2 Février 1945, limitant déjà la publicité des débats des tribunaux pour enfants, indique que pourra être publié la décision d'une décision concernant un mineur délinquant mais sans mention de son nom, même par initiale.

La reproduction par des tiers

Le principe de publicité permet également aux tiers de se faire délivrer des copies des jugements prononcés publiquement. Les éditeurs de banques de données jurisprudentielles font partie de ces tiers et sont donc libres de reproduire les ordonnances, jugements et arrêts y compris les ordonnances ou arrêts de non-lieu dès lors qu'aucune disposition législative ne le leur interdit. Le nom des parties est obligatoirement mentionné dans les décisions de justice qui les concernent, ne serait-ce que pour les leur rendre opposables. Le nom des parties apparaît donc sur les reproductions des décisions.

Tant que les décisions de justice étaient publiées dans des recueils spécialisés consultés essentiellement par les professionnels du droit et les étudiants des facultés de droit, la mention du nom de ces protagonistes ne posait pas de réel problème.

La question de l'anonymisation des décisions de justice sur internet

Une nouvelle réflexion sur l'anonymisation des décisions de justice doit être engagée du fait de leur reproduction de celles-ci dans des banques de données informatisées.

La publicité des décisions par voie télématique ou sur internet

En effet, dès lors que les décisions de justice sont archivées sur des supports informatisés ou diffusées par voie télématique ou sur le réseau Internet elles deviennent accessibles à quiconque. Ainsi, l'accès à ces banques de données jurisprudentielles informatisées n'est plus réservé aux seuls professionnels du droit mais est désormais ouvert à toute personne, « dont des sociétés qui ont pour activité principale la constitution de « mégabases » de données nominatives qu'elles revendent à des sociétés commerciales telles que les assurances, les établissements de crédit, les agences de travail intérimaire ou les agences immobilières... ».

De plus, l'édition électronique ne connaît pas de limites et permet d'enregistrer la totalité des décisions rendues. « Ce type d'exploitation des banques de données jurisprudentielles peut aboutir à la constitution d'un gigantesque casier « juridique » des personnes sans qu'aucun contrôle ne puisse être exercé dessus ».

L'anonymisation des décisions

En France, l'anonymisation des décisions de justice publiées n'est prévue que dans certains cas limitativement énumérés par les textes pour assurer le respect de la vie privée ou la minorité des personnes mises en cause. La lecture des articles 39 à 39 sexies de loi de 1881 permet toutefois de constater que de nombreuses décisions dans lesquelles l'honneur ou la probité des personnes condamnées est mise en cause ne se voient pas imposer une obligation d' « anonymisation » par le législateur.

Au nom du « droit à l’oubli », la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) recommande l’anonymisation des décisions de justice librement accessibles sur l’internet.

Dans une délibération du 29 novembre 2001, la CNIL a estimé qu'« il serait souhaitable que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles sur des sites Internet s'abstiennent, dans le souci du respect de la vie privée des personnes physiques concernées et de l’indispensable « droit à l’oubli », d'y faire figurer le nom et l'adresse des parties au procès ou des témoins » et que « les éditeurs de bases de données de décisions de justice accessibles par Internet, moyennant paiement par abonnement notamment, s'abstiennent, à l'avenir (...) d'y faire figurer l'adresse des parties au procès ou des témoins ».

Les restrictions à la possibilité de rendre compte de l'action policière et judiciaire

Dans l'affaire Sunday Times, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) souligne que la liberté d'expression est assortie d'exceptions. La presse doit avoir le droit de diffuser des informations, et le public a le doit d'en recevoir. Pour qu'une ingérence soit possible, au sens de l'article 10 paragraphe 2 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH), il faut que celle-ci soit prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique. Toute restriction préalable à la publication appelle de la part de la cour l'examen le plus scrupuleux, spécialement dans le cas de la presse, l'information étant un bien périssable et en retarder la publication, même pour une brève période, risquerait fort de la priver de toute valeur et de tout intérêt. Cependant, la protection de la liberté d'information ne permet pas de justifier certaines dérives. L'article 10 paragraphe 2 de la CESH cite au titre des possibles atteintes à la liberté d'expression rendues nécessaires pour la protection de la réputation ou des droits d'autrui, la défense de l'ordre ou la garantie l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire par exemple.

L'indispensable respect de la dignité, de l'intégrité des personnes et de l'action de la Justice

La réglementation de la liberté d'expression posent des limites notamment quant à l'indispensable respect de la dignité et de l'intégrité des personnes mises en cause ou victimes, mais aussi au respect de l'indépendance et de l'autorité de la justice.

Le respect de l'action de la justice

La loi de 1881

En dehors des débats et des décision de justice, la loi de 1881 dispose qu'il est « interdit de rendre compte des délibérations intérieures, soit des jurys; soit des cours et tribunaux ». Il s'agit du délibéré, pour lequel le secret doit être absolu. C'est une garantie essentielle de la nécessaire indépendance des décisions de justice.

La règlementation générale

Le code pénal prévoit des restrictions à la liberté de communication dès lors que par ses excès, elle porterait atteinte à l'indépendance et à l'autorité de la justice. En principe, les décisions de justice peuvent être librement rendues publiques et peuvent aussi être librement commentées, sous réserves de certaines limites: diffamation, outrage et notamment l'atteinte à l'autorité de la justice. « Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement, par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance » est incriminé par le code pénal à l'article 434-25 pour permettre le respect de l'impartialité du pouvoir judiciaire.

La publication, avant la décision définitive, de commentaire tendant à exercer des pressions pour influencer les déclarations des témoins ou la décision des juridictions d'instruction ou de jugement est interdite (article 434-16 Code pénal). L'élément intentionnel est ici très important, le résultat seul ne suffit pas. Il faut qu'il y ait volonté d'exercer une pression, de la part de l'auteur des propos ou écrits rendus publics; sur les témoins, jurés ou les juges... il faut une intention coupable particulière. Les possibilités d'application et donc la portée réelle d'une telle disposition apparaissent assez réduites.

Les conséquences néfastes d'un article de presse sur l'impartialité du pouvoir judiciaire l'emportent sur la liberté d'information; du fait de l'application de l'alinéa 2 de l'article 10 de la CESDH. La jurisprudence de la cour européenne exige des journalistes qu'ils se livrent à un travail rigoureux. La publication par la presse d'informations portant atteinte aux droits ou à la réputation d'autrui, ou à l'indépendance du pouvoir judiciaire ne sera efficacement protégée par la CEDH que si la gravité de l'affaire dévoilée par la presse a un intérêt pour le public, que si le travail du journaliste est rigoureux (ne pas se fonder sur des sources fantaisistes). La protection dépendra également de la qualité de la personne dont les droits sont atteints (la publication sera plus efficacement protégée lorsqu'elle concerne une « personnalité »).

La protection de la dignité et de l'intégrité des personnes

Reproduction des circonstances

La loi du 15 Juin 2000 a introduit dans la loi de 1881 un nouvel article 35 quater selon lequel une infraction est désormais constituée par la diffusion de la reproduction sans accord d'une personne concernée par celle-ci, des circonstances, par exemple d'un crime, portant « gravement » atteinte à la dignité d'une victime.

La protection des victimes

S'agissant du respect des victimes d'infractions, un nouvel article 39 quinquies3 est introduit par la loi du 15 Juin 2000 dans la loi de 1881. Il interdit de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'agression sexuelle. De la même manière, l'article 39 bis4 de la loi de 1881 réprime la diffusion d'information d'identification ou relatives à l'identité d'un mineur victime d'une infraction ou délaissé.

Les cas, relativement fréquents, de violation apparente de ces dispositions ne donnent jamais lieu à poursuites et sanctions. Le caractère trop général et imprécis des textes l'interdisait et l'interdit encore, sauf à mettre en danger la liberté de communication et le droit du public à l'information. C'est de ce fait, un domaine où, à l'initiative et sous la responsabilité des journalistes notamment, la déontologie de l'information devrait pouvoir jouer un rôle essentiel.

Droit à l'image et présomption d'innocence

Pour assurer la dignité des personnes humaines mais aussi le respect du droit à l'image et de la présomption d'innocence, la loi de 1881 réprime le fait de diffuser « l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire » (article 35 ter de la loi de 1881)

Sur le fondement de l'article 10 alinéa 2 de la CESDH, la CEDH a plusieurs fois eu l'occasion de se prononcer sur des affaires mettant en cause des journalistes pénalement sanctionnés pour avoir publiquement relaté des faits portant atteinte à la réputation d'autrui. La CEDH, dans un arrêt du 30 Juin 2006, a condamné le requérant pour atteinte au droit d'autrui. Une photo, prise pendant la garde à vue d'un délinquant, avait été diffusée dans un article. Le prévenu porte plainte pour violation du secret de l'enquête. Après sa condamnation par les juridictions françaises, le journaliste saisit la CEDH pour ingérence disproportionnée dans sa liberté d'expression. La CEDH déclare que cette ingérence poursuivait l'un des buts énumérés à l'article 10 de la CESDH (protection de la réputation des droits d'autrui). Au moment de la publication de l'article, le mis en examen était présumé innocent. La cour estime que « les motifs avancés par les juridiction françaises pour justifier l'ingérence dans le droit du journaliste à la liberté d'expression découlant de sa condamnation étaient pertinents et suffisants au regard de l'objectif d'intérêt général que constitue la présomption d'innocence ». Le juge fait donc primer les droit des personnes citées pour le respect de la présomption d'innocence.

La protection de la présomption d'innocence et le secret de l'instruction

Cherchant à établir un certain équilibre entre la liberté d'informer et d'être informé sur le déroulement des procédures judiciaires en cours, d'une part, la protection des droits des personnes en cause et le « secret professionnel », d'autre part, divers mécanismes juridiques ont été mis en place.

La présomption d'innocence

La présomption d'innocence interdit de traiter une personne comme coupable avant qu'elle n'ait été jugé comme tel. Cette présomption peut être considérée comme le principe fondateur des règles de procédure pénale. Pourtant elle est souvent réduite à une règle de preuve ayant pour principal effet de faire peser sur l'accusation la charge de démontrer la culpabilité de la personne poursuivie. Jusqu'à la loi du 15 Juin 2000, le principe de la présomption d'innocence n'était pas posé par le code de procédure pénale mais par des normes supérieurs telles que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC), la CESDH...

Un droit à un procès

La DDHC pose en quelques sorte le principe du droit à la présomption d'innocence, mais sa formulation en fait exclusivement une règle entre l'autorité judiciaire et les justiciables. C'est d'une certaine manière la proclamation du droit à un procès. De la même façon, l'article 6.2 CESDH pose également le principe de cette présomption.

Un droit de la personnalité
Le droit français

Cela dit, la présomption d'innocence n'est pas uniquement une règle de procédure. Sa violation est également de nature à porter atteinte à la réputation et à l'honneur de la personne concernée. Elle apparaît alors comme un droit de la personnalité, protégé en tant que tel, indépendamment de toute incidence procédurale. L'article 9-13 du Code civil apporte une portée plus générale à ce droit de la présomption d'innocence et régit notamment les activités d'information et la façon dont il peut être rendu compte, par les médias, d'affaires judiciaires en cours.

Il est considéré qu'il y a atteinte à cette présomption, du fait des médias « lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire » (article 9-1 alinéa 2). Ces dispositions ne visent pas à interdire la diffusion de toute information relative aux décisions et dispositions prises, à ce stade, par les autorités policières ou judiciaires, et aux personnes en cause, mais seulement à empêcher de présenter « avant toute condamnation », ces dernières comme étant « coupables de faits faisant l'objet de l'enquête ou de l'instruction judiciaire.

Le droit Européen

La Cour européenne voit également dans la présomption d'innocence un droit de la personnalité dont la violation peut être relevée indépendamment de toute conséquence procédurale. La mise en oeuvre de cette présomption d'innocence peut ainsi s'effectuer sous le contrôle de la CEDH. Il s'agit souvent d'opérer un arbitrage difficile entre liberté d'expression et protection des droits de la personne.

Lorsque la violation émane d'un journaliste, sans constater directement la violation de l'article 6.2 CESDH, les juges européens écartent le grief pris de la violation de l'article 10 en relevant que l'atteinte à la liberté d'expression se trouve justifiée par la protection des personnes mises en cause et leur présomption d'innocence. Cela étant les juges européens ne s'émancipent pas de la lettre de l'article 6.2 qui ne proclame le droit au respect de la présomption d'innocence qu'au profit des personnes accusées. Le champ de la protection que la CEDH offre est moins étendue que celui couvert par l'article 9-1 du Code civil. Mais la cour européenne a une conception large de la notion d'accusation. Une personne placée en garde à vue, et donc considérée comme suspecte, doit être considérée comme accusée.

Protection de la présomption

Tant dans la loi de 1881, que dans le code de procédure pénale, des dispositions consacrent deux modes de protection de la présomption d'innocence: l'exercice d'un droit de réponse et l'insertion d'un communiqué. Toute personne mise en cause dans une publication périodique (article 13 Loi de 1881) ou par un service de communication au public en ligne ainsi que, dans certaines conditions (atteinte à l'honneur et à la considération), par un service de communication audiovisuelle (article 6 loi de 1982) peut exercer le droit de réponse. Afin de réparer l'atteinte à la présomption d'innocence, les juges peuvent ordonner, à la demande de la personne concernée, la publication d'informations (décisions ou communiqués). Les article 177-1 et 212-1 code de procédure pénale énonce le pouvoir du juge d'instruction ou à la chambre d'accusation d'ordonner « sur la demande de la personne concernée, soit la publication intégrale ou partielle de sa décision de non-lieu, soit l'insertion d'un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci, dans un ou plusieurs journaux, écrits périodiques ou services de communication audiovisuelle qu'il désigne ».

Le secret de l'instruction et de l'enquête

L'enquête et l'instruction ont en commun d'être soumises au même secret, connu sous l'expression écourtée de « secret de l'instruction ».

Le fondement

En effet, aux termes de l'article 11 du code de procédure pénale « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, de la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ». Le deuxième alinéa ajoute que « toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel ». Ce secret a un double fondement, il est tout d'abord justifié par des considérations d'intérêt public tenant à la nécessité de préserver l'efficacité des investigations, la sérénité de la justice et la sécurité des témoins, des victimes. Mais il est le plus souvent présenté comme un principe d'intérêt privé, destiné à préserver la réputation et l'honneur de la personne mise en cause et donc la présomption d'innocence.

Le principe

La « procédure au cours de l'enquête ou de l'instruction » est « secrète ». Il est donc interdit de divulguer les éléments contenus dans le dossier de d'enquête, d'instruction et les pièces de procédure. Le secret de l'enquête cesse dès que le procureur de la République prend sa décision sur l'action publique (classement, saisine de la juridiction de jugement...) et celui de l'instruction à la date de l'ordonnance de clôture. Cela ne signifie pas que le dossier puisse alors être librement divulgué. Mais les règles applicables trouvent leur source dans d'autres dispositions.

Les professionnels de la communication ne sont pas directement concernés par l'infraction originaire, la violation du secret de l'instruction. Ils n'y sont pas personnellement tenus. En revanche, ils peuvent être complices de ceux qu'ils auraient ainsi aidés ou poussés à violer cette obligation de secret, ne serait-ce qu'en leur offrant les moyens de cette publication ou publicité, ou être poursuivis pour recel de violation du secret de l'instruction.

Selon la jurisprudence, l'article 11 tend à assurer la protection de la présomption d'innocence. Les juridictions françaises jugent que le principe du secret de l'instruction n'est pas contraire à la CESDH. Même si ce secret peut être considéré comme un obstacle à la liberté d'expression, il n'en poursuit pas moins des objectifs légitimes. C'est une mesure destinée à empêcher la divulgation d'informations jugées confidentielles et visant à garantir l'impartialité du pouvoir judiciaire national. Elle constitue une restriction légale, nécessaire dans la société démocratique, à la défense de l'ordre social et au respect des attributs de la personnalité des individus.

Les exceptions
L'exception de vérité

Dans un arrêt du 11 Juin 2002, la Cour de Cassation a jugé qu'un journaliste peut verser aux débats des pièces couvertes par le secret de l'instruction ou obtenues en violation du secret professionnel pour sa défense contre une accusation de diffamation publique; c'est le principe de l'exception de vérité.

L'exercice des droits de la défense

La cour estime que les articles 6 et 10 de la CESDH offrent aux journalistes la faculté de justifier leurs allégations diffamatoires par la production de pièces extraites d'une information en cours, la partie civile étant elle-même en droit de produire, en réplique des pièces ou dossier de la procédure suivie contre elle. Les juridictions doivent donc rechercher si la production en justice de pièces litigieuses n'a pas été rendue nécessaire par l'exercice des droits de la défense.

Exception du trouble à l'ordre public ou d'informations inexactes

Toutefois, les autorités de police ou de justice gardent la possibilité de requérir les publications qui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité. La loi du 15 Juin 2000 a ajouté à l'article 11 du code de procédure pénale un nouvel alinéa qui pose que « afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, de rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personne mise en cause ».

Le délit de violation du secret de l'instruction

Malgré le fait qu'ils ne soient pas concernés par le secret de l'instruction, les professionnels de l'information peuvent encourir le risque d'être poursuivis pour complicité de violation du secret de l'instruction ou recel de documents couverts par celui-ci.

La définition du délit

Le délit de recel de violation du secret de l'instruction n'est pas consacré par les textes législatifs. Il est réprimé en s'appuyant sur la répression des délits de violation du secret professionnel et du recel. C'est alors un délit de droit commun.

La complicité résulte de toute aide ou incitation à violer le secret: l'offre de moyens de publication suffit. Elle suppose que la personne qui révèle un fait de l'enquête ou de l'instruction soit liée par le secret. Il importe peu que les circonstances du délit d'où provient l'objet n'aient pas été entièrement déterminées, dès lors que les prévenus avaient connaissance de l'origine délictueuse des documents par eux détenus.

La responsabilité

La responsabilité pour recel se trouve engagée à partir du moment où les pièces litigieuses n'ont pu parvenir entre les mains du journaliste qu'à l'aide d'une infraction et que cette situation ne pouvait être ignorée de celui-ci [2]. La Cour de cassation juge que les professionnels de l'information ne peuvent, compte tenu de leur expérience, ignorer ni l'interdiction légale de révéler le contenu d'un dossier d'enquête policière, ni celle de porter atteinte publiquement à la réputation d'autrui.

Jurisprudence

En dehors de la préservation du secret de l'instruction, la cour européenne a d'abord condamné la France dans une affaire concernant le recel de documents par des journalistes dans l'affaire Dupuis et autre contre France le 7 Juin 2007. La cour européenne estimait qu' « il est légitime de vouloir accorder une protection particulière au secret de l'instruction compte tenu de l'enjeu d'une procédure pénale, tant pour l'administration de la justice que pour le droit au respect de la présomption d'innocence ». Toutefois, « il convient d'apprécier avec la plus grande prudence la nécessité de punir pour recel de violation du secret de l'instruction ou de secret professionnel des journalistes qui participent à un débat public d'une telle importance, exerçant ainsi leur mission de « chiens de garde de la démocratie » ». La cour conclut que « la condamnation des requérants s'analyse en une ingérence disproportionnée (…) pas nécessaire dans une société démocratique ».

La cour ne condamne pas en soi la sanction de la violation du secret mais exige une grande prudence pour veiller à ce que la condamnation soit bien proportionnée au regard de l'intérêt poursuivi. Juste après cette décision, la chambre criminelle de la Cour de cassation a réaffirmé sa position et recondamne des journalistes pour le délit de recel de violation de secret. La cour européenne admet la conventionalité de ce délit dans un arrêt du 10 Décembre 1007, STOLL/ SUISSE[3], confirmé par un autre arrêt de Juillet 2008 FLUX/MOLDAVIE[4].

Voir aussi

Liens externes

Notes

  1. Cour de cassation, chambre criminelle 10 Mai 1994, G.LIGNAC
  2. Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 Juin 2007
  3. CEDH, 10 Décembre 2007, STOLL/ SUISSE
  4. CEDH de Juillet 2008 FLUX/MOLDAVIE