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Codification du droit de la communication (fr)

Un article de JurisPedia, le droit partagé.
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 Plusieurs chantiers ont été lancés au cours de ces vingt dernières années dans le but de parvenir à une codification du droit de la communication. L’objectif était et demeure de répondre aux attentes d’une plus grande accessibilité et d’une meilleure intelligibilité du droit de la communication. Dans cette optique, l'Assemblée générale du Conseil d'Etat a examiné en 2006 une étude commandée par le Premier ministre destinée à analyser l'opportunité de reprendre après deux projets de lois rejetés en 1993 et 1996, le travail de codification du droit de la communication.



Sommaire

Les tentatives ratées de codification

Le projet de 1993

 Le premier projet de codification date de 1993. Mais il n'avait pu être inscrit à l'ordre du jour des débats parlementaires en raison notamment des réticences de parlementaires de la majorité à adopter à droit constant des dispositions du droit de l’audiovisuel qu’ils avaient combattues lors de la précédente législature. Il est  rapidement devenu obsolète en raison des modifications législatives qui sont intervenues depuis dans le domaine de la communication (notamment, en ce qui concerne l'audiovisuel, les lois n° 94-88 du 1er février 1994 et n° 96-659 du 26 juillet 1996 portant réglementation des télécommunications et, en ce qui concerne le cinéma, la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement du commerce et de l'artisanat). A cela s’est rajoutée la modification des codes existants notamment le nouveau code pénal et l'évolution du code général des impôts.


 Autre difficulté posée par le projet de code déposé en 1993, il possédait quelques imperfections mineures mais très lacunaires : 
 Autre difficulté posée par le projet de code déposé en 1993, il possédait quelques imperfections mineures mais très lacunaires : 

• Les dispositions concernant l'affichage et la publicité avaient été insérées dans le livre Ier, qui contient les règles applicables à l'ensemble des moyens de communication. Or, l'affichage est en fait un mode de communication spécifique, auquel il convient de réserver un livre particulier, à l'égal de ce qui est prévu pour l'écrit, l'audiovisuel ou le cinéma.

• La présence dans le livre Ier de dispositions relatives à l'emploi de la langue française était également problématique, dans la mesure où le champ d'application était beaucoup plus vaste que celui du code proprement dit.

• Le régime des agences de presse figurait dans le livre consacré à l'écrit. Or, une part importante de l'activité de ces organismes s'exerce dans le domaine audiovisuel.

• Le livre III consacré à l'audiovisuel omettait des dispositions techniques relatives notamment à l'installation des antennes de réception pour la télévision.

• Le code ne comporte aucune disposition concernant les territoires d’outre-mer et la collectivité territoriale de Mayotte. Cela conduisait à ne pas abroger complètement les textes codifiés puisqu'il était nécessaire de les maintenir en vigueur en tant qu'ils restaient applicables outre-mer.




Une compétence dévolue à des organismes privés : l’ICANN, l’AFNIC et les bureaux d’enregistrement

Le Domain Name System (DNS) – « système de nommage » - a été établi en 1984 avec l’apparition de noms de domaine en extension <.com>, <.org> et <.edu>. Deux ans plus tard, ce sera le tour de l’extension en <.fr>.


En 1993, la société américaine de droit privé, Network Solutions Inc., remporte le contrat avec la National Science Foundation pour l’enregistrement des noms de domaine. Cette société de droit privé va, pendant plus de cinq ans, attribuer seule des noms de domaine pour certaines des extensions gTLD, notamment le <.com>.


Cette situation de monopole privé, ainsi que l’insuffisance du système de nommage vis-à-vis des modalités d’attribution des noms de domaine va aboutir à la création en 1998 de l’Internet Corporation of Assigned Names and Numbers (ICANN)[1], qui pour le coup, est un organisme privé à but non lucratif.

L’ICANN sera donc chargée de gérer le système de nommage des noms de domaine de premier niveau pour les codes génériques (gTLD) et les codes nationaux (ccTLD), parmi d’autres fonctions comme allouer l’espace des adresses IP. In fine, l’ICANN a un rôle de superviseur et de coordinateur des antennes nationales pour assurer une bonne gestion du DNS, afin de garantir la « résolution universelle », que chaque internaute puisse trouver toutes les adresses viables.


Le 1er janvier de cette même année 1998, l’Association française pour le nommage internet en coopération (AFNIC)[2] commence à occuper ses fonctions, suite à sa création en décembre 1997 par une intention commune de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et de l’État.

Le Préambule de la Charte de l’AFNIC, en sa version du 30 mars 2009, présente la fonction de cette association, régie par les dispositions de la loi du 1er juillet 1901, de la manière suivante : « est chargée d'attribuer et de gérer les noms de domaine, au sein des zones de nommage correspondant au territoire national qui lui ont été déléguées ».

L’AFNIC a reçu l’aval de l’ICANN pour accomplir cette fonction et elle admet son état de dépendance technique envers cette dernière.

Dans la suite du Préambule, il est précisé que : «L’AFNIC a la qualité d'office d’enregistrement et exerce sa mission en application des dispositions des articles L.45 et R.20-44-34 et suivants du Code des postes et des communications électroniques » et du fait de cette qualité, elle élabore « un ensemble de règles relatives à l'enregistrement et à la maintenance des noms de domaine qu'elle administre », règles contenues dans sa Charte.


Or, malgré cette mission qui est reconnue à l’AFNIC, il faut appréhender qu’ : « aucune demande d’opération relative à un nom de domaine ne peut être adressée directement à l'AFNIC », mais à « un bureau d’enregistrement, qui agit comme interface entre le demandeur ou le titulaire et l'AFNIC », selon l’article 9 de la dite Charte.

Ces bureaux d’enregistrement, ou « registars » en anglais, sont des sociétés qui ont passé un contrat avec l’AFNIC, sans pour autant être labellisées par elle, leur permettant d’enregistrer les noms de domaine en <.fr> et <.re>.

Il existe environ 1000 bureaux d’enregistrement en situation contractuelle avec l’AFNIC.


La procédure d’attribution des nom de domaine

La recherche d’antériorité

La première étape à observer dans cette procédure d’attribution est celle de la recherche d’antériorité, qui aura pour but de vérifier la disponibilité du nom de domaine, étant logique que deux noms de domaine ne doivent pas être identiques.

Et pour vérifier la disponibilité du nom de domaine souhaité par le déposant, ce dernier devra consulter la base de données appelée « Whois » ; qui est accessible par exemple sur le site de l’AFNIC. Cette base de données est définie par la Charte, comme étant un : « service de recherche fourni par les registres permettant d'obtenir des informations administratives et techniques sur un nom de domaine ou sur une adresse IP ».


Une fois la disponibilité avérée, le nom de domaine choisi pourra être enregistré auprès d’un bureau d’enregistrement, conformément à des dispositions contractuelles ayant pour objet le respect des principes directeurs d’attribution des noms de domaine.


« Premier arrivé, premier servi » : règle pilote des principes directeurs d’attribution des noms de domaine

Les principes directeurs d’attribution des noms de domaine ont été initialement crées par l’ICANN en 1999, qui a élaboré des principes généraux peu contraignants, appelés principes UDRP pour « Uniform policy dispute resolution ».

En effet, le principe « premier arrivé, premier servi » qui est la règle « première » en matière d’attribution des noms de domaine ne peut pas être plus libertaire. Cette règle trouve sa légitimité dans le fait d’être un principe de droit international qui a vocation à s’appliquer dans la gestion des ressources rares. Et la singularité d’un nom de domaine en fait sa rareté.

Ensuite, il est simplement demandé au déposant du nom de domaine « une sorte de déclaration sur l’honneur » [3] vu qu’il doit garantir, sans vérification de la part des bureaux d’enregistrement, certains impératifs.

L’article 2 de ces principes[4] prévoit par exemple qu’il incombe au déposant « de déterminer si votre enregistrement de nom de domaine porte en quelque manière que ce soit atteinte aux droits d’autrui » ou que le déposant affirme et garantit que ce dit enregistrement n’est pas fait « à des fins illicites ».


Face à la largesse de ces principes UDRP, appliqués comme « base » par les « antennes nationales de l’ICANN », ces dernières ont souhaité user de leur possibilité d’élaborer une charte d’attribution des noms de domaine, afin d’appliquer à leur domaine national des règles plus intelligibles et précises, donc a priori plus contraignantes.

Pour le domaine <.fr>, l’AFNIC ne s’est pas fait prier et a crée sa charte de nommage, ou plutôt ses chartes de nommage successives. Ainsi, l’article 14 de la charte, version en vigueur, énonce que : « Le demandeur choisit librement le ou les terme(s) qu'il souhaite utiliser à titre de nom de domaine et est seul responsable de son choix. Il lui appartient et à lui seul de s'assurer que le terme qu'il souhaite utiliser à titre de nom de domaine, sans que cette liste ne soit exhaustive : (…) 3) ne porte pas atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale ; 4) ne porte pas atteinte aux droits des tiers, en particulier : - n’est pas identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), - n’est pas identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi (…) ».

Dés lors, le déposant d’un nom de domaine en <.fr> ou <.re>, est mieux informé sur les droits que le nom enregistré ne doit pas porter atteinte, tel que le droit de propriété intellectuelle ; alors que les principes UDRP visent les « droits d’autrui » en général.


Or, malgré les efforts de précision opérés par l’AFNIC, la règle « premier arrivé, premier servi » qui a pour revers d’exclure tout enregistrement d’un nom de domaine identique à un préexistant, a entrainé le développement des pratiques de « cybersquatting » et de «  typosquatting ; et parfois, alors même que la « déclaration sur l’honneur » ai été respectée par le déposant.


La notion de « typosquatting »

Une notion dans le sillage du « cybersquatting »

Par un avis publié au Journal officiel le 17 avril 2008, la Commission générale de terminologie et de néologie a crée le terme de « cybersquat », inspiré de son équivalent anglais « cybersquatting », répondant à sa mission d’enrichissement de la langue française.

La commission en a donné la définition suivante : « Pratique consistant à accaparer, en le déposant, un nom de domaine reprenant ou évoquant une marque, un nom commercial, un patronyme ou toute autre dénomination, afin de tirer un profit matériel ou moral de sa notoriété présente ou à venir ». Elle ajoute que cette pratique « consiste par exemple à déposer des noms en très grand nombre dans l'espoir de revendre certains d'entre eux ».

En effet, de nombreux noms de domaine correspondant à des marques et autres signes distinctifs antérieurs ont été enregistrés au détriment, voire à l’insu de leurs légitimes titulaires. Dès lors, du fait de la règle, bien connue désormais, « premier arrivé, premier servi », les entreprises victimes se sont vues refuser par les organismes gestionnaires, l’emploi de leur propre marque ou autre signes, en tant que nom de domaine pour leur site professionnel. S’en est suivi alors de véritable opération de chantage entre les détenteurs des noms de domaine « frauduleux » et les titulaires légitimes, les forçant à payer le prix fort dans le seul espoir de retrouver cette juste possession.

Ainsi, le nom de domaine <.business.com> a pu être revendu à 7,5 millions de dollars ou encore celui de <.MP3audiobooks.com> à 8 millions de dollars.

Et on peut noter que la commission générale de terminologie et de néologie fait enter dans cette notion de « cybersquat » celle de « typosquat », car elle indique que : « des variantes orthographiques d'une même dénomination : on parlera dans ce cas de « typosquat » (en anglais : typosquatting) » peuvent aussi être déposées dans l’espoir d’être revendu. Le « typosquat » serait donc dérivé, une acception de la notion de « cybersquat ».


Le « typosquatting » stricto sensu

Grâce à la procédure de règlement des litiges de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), essentiellement, les noms de domaine qui avaient été « cybersquattés » ont été récupéré par la majorité des titulaires légitimes de marques et dénominations sociales renommées, ce qui a mis un frein à cette pratique parasitaire. Néanmoins, ceci n’a pas arrêté la malveillance des « cybersquatteurs », qui ont diversifié leur pratique en enregistrant des noms de domaine notoires avec des fautes d’orthographes ; d’où l’avènement du « typosquatting ».

Le « typosquatting » serait donc une pratique consistant : « à enregistrer un nom de domaine typographiquement proche d’une marque ou d’une dénomination sociale dans le but de créer une confusion » [5]. Et cette confusion aurait pour but de détourner l’internaute du site initialement cherché, pour le diriger accidentellement, c’est-à-dire par une faute de frappe, sur un autre qui propose des services similaires. L’exemple souvent cité par les juristes pour illustrer cette pratique de « typosquat » est celui de <rueducommerce.com>, qui a été « typosquatté » en <rueducommerc.com> et <rueducommrece.com>. Ici, l’on voit bien que l’oublie ou l’inversion de lettres peuvent arriver aisément quand on tape le nom de domaine, d’où l’intérêt du « typosquatting » pour dévier une clientèle de sites de sociétés connues et donc économiquement puissante.

Néanmoins, il n’y a pas que des gens mal intentionnés et en quête d’argent facile qui ont recours au « typosquatting », il peut s’agir des entreprises elles-mêmes afin de se prémunir des dommages liés à cette pratique.

Pour d’autres exemples de typosquatting, lire l’article de Jean-Frédéric Carter, « Vers une nouvelle affaire de typosquatting en fr. ? »[6].


Vers le « Grabbing »

Le « Grabbing » ou « gang name » est une « pratique proche du typosquatting », selon Christiane Féral-Schuhl. Car au lieu d’enregistrer des noms de domaine avec une simple modification orthographique pour entraîner une erreur, là, la confusion va être plus redoutable, du fait qu’un nom de domaine correspondant à des marques de grande renommée va être enregistré en y ajoutant un mot qui peut être totalement assimilable à ces dernières. Ainsi, l’enregistrement du nom de domaine <lancomeparis.com> parasite celui de <lancome.com> ; même schéma pour <lorealparis.com> par rapport à <loreal.com>. Et cette pratique s’est développée, toujours dans le but de revendre à ces grosses multinationales les noms de domaine en question, à des prix exorbitants.


Le contentieux du « typosquatting »

Le contentieux extra-judiciaire

La procédure de règlement alternatif des litiges à l’aune des principes directeurs d’attribution des noms de domaine

En 1999, suite à l’élaboration des principes UDRP, l’ICANN a mis au point une procédure de règlement alternatif des litiges, tranchant le différend par référence à ces derniers. L’ICANN ne s’occupe pas directement de cette tâche, mais l’a déléguée à des organes désignés par elle, tels que l’Institute For Dispute Resolution (CPR), l’Asian Domain Name Dispute Resolution Centre (ADNDCR) ou encore l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI)[7].

Cette « procédure administrative obligatoire », d’après l’article 4 des dits principes, permet au titulaire d’une marque exclusivement, de s’opposer à l’attribution d’un nom de domaine, en y déposant une plainte. Cette plainte peut être rejetée notamment si le déposant du nom de domaine prouve être de bonne foi ou qu’il en fait un usage non commercial et loyal, sans créer de confusion possible, telle que le prévoit les principes UDRP. Dés lors, certains titulaires de marque, même de renommée, ont vu leurs plaintes éconduites, car les instances de règlement alternatif des litiges règlent l’affaire relativement aux principes et non sur le fondement d’un droit des marques, pouvant ne pas être semblable d’un pays à l’autre.

Cette procédure est dite « obligatoire » car une personne qui souhaite se voir attribuer un nom de domaine doit y adhérer impérativement.

De plus, elle est dite « administrative », du fait qu’elle ne relève pas d’une procédure d’arbitrage et encore moins d’une procédure judiciaire. Par conséquent, le plaignant qui n’aurait pas eu gain de cause devant l’organisme administratif, pourra former une action devant la juridiction judiciaire de son pays, statuant cette fois-ci relativement au droit positif national et notamment par rapport au droit des marques. Il y a donc un cumul de la procédure administrative avec celle juridictionnelle, sachant que la dernière l’emporte en cas de « contradiction ».


Quant à l’AFNIC, cette dernière a façonné une procédure de règlement alternatif des litiges qui diffère de celle de l’ICANN, car il existe deux procédures distinctes et que le champ d’application de ces procédures est plus étendu.

En effet, on rencontre une procédure de règlement alternatif des litiges dite « par recommandation en ligne » gérée par le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris et une autre dite « par décision technique » administrée par le Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI.

Quant au champ d’application, l’instance de règlement ne traite pas uniquement des conflits entre un nom de domaine et une marque, mais aussi entre le dit nom et les autres signes distinctifs et droits visés à l’article 14 de la charte de l’AFNIC , version en vigueur. Et dans la même logique que les principes URDP, la plainte pourra être rejetée si le déposant du nom de domaine contesté prouve sa bonne foi, ou qu’il a un intérêt légitime à l’exploitation du nom litigieux, conformément à la charte de l’AFNIC. Et de la même façon que pour la procédure de l’ICANN, c’est une procédure « obligatoire » (par adhésion impérative) et « administrative », l’instance réglant le différend en se référant à la charte de l’AFNIC en vigueur et non par rapport au droit positif sur le territoire national ; le cumul et la primauté de la décision judicaire étant toujours de mise.

On peut ainsi noter que l’OMPI, dans le cadre de cette procédure, a pu être saisie à plusieurs reprises pour trancher des cas de « typosquatting ». Ainsi, la compagnie aérienne Air France, victime de l’enregistrement du nom de domaine <arifrance.com>, s’est vue transférer le nom litigieux par décision de l’OMPI du 22 juillet 2003[8] .

La plupart du temps, l’OMPI donne raison aux plaignants et transfert à ces derniers le nom de domaine contesté.

Ce qui fut le cas notamment pour les noms de domaine <axabanqu.fr>, <credit-mutu.fr> et <credit-mutul.fr>, transférés aux sociétés plaignantes Axa et Crédit Mutuel, par décision de l’OMPI. S’agissant de l’affaire Axa du 26 février 2007 [9], l’expert avait pu constaté qu’il était : « incontestable que le nom de domaine litigieux imite et usurpe les droits antérieurs détenus par le Requérant, la seule suppression de la lettre “e” à la fin du nom de domaine <axabanqu.fr> n’altérant en rien le risque de confusion engendré à raison de l’imitation des marques antérieures et de l’usurpation de la dénomination sociale, nom commercial, enseigne et noms de domaine antérieurs », comme il était incontestable « comme cela a été relevé par de nombreux autres experts, qu’il s’agit là d’un cas de “typosquatting” classique ayant pour objet de profiter d’une erreur de frappe de l’internaute pour détourner celui-ci vers un site Internet distinct, et ce généralement à titre lucratif ». De ce fait, l’expert ne pouvait qu’établir la violation des droits du requérant par l’enregistrement du nom de domaine « frauduleux ».


La procédure « PREDEC » de l’AFNIC : le règlement alternatif des litiges à l’aune des règles du décret du 6 février 2007

Le 22 juillet 2008, l’AFNIC a mis en place une procédure particulière de résolution des litiges, dite procédure « PREDEC », afin de faire cesser promptement des violations manifestes du décret du 6 février 2007, qui est le texte établissant le cadre juridique national de l’attribution des noms de domaine en extension <.fr> (voir supra). Il s’agit ici d’une procédure singulière, car sur différents aspects, elle s’éloigne des procédures « classiques » de règlement alternatif des litiges des noms de domaine. En effet, cette procédure a un fondement réglementaire et non contractuel. Ensuite, l’AFNIC rend elle-même la décision, alors qu’habituellement, par souci d’impartialité, le règlement alternatif des litiges de noms de domaine en <.fr> - mais également pour les autres extensions - est confié à des organismes tiers, tel que le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI. Or, ces procédures vues en amont ne disparaissent pas au profit de celle-là ; il y aurait un cumul. Enfin, le coût de la procédure « PREDEC » est faible relativement à celle de ses homologues.

Un an après la première décision « PREDEC » rendue le 29 septembre 2008 - suivie par 72 autres – l’auteur Cedric Manara [10] en a fait un premier bilan. Il en ressort plusieurs enseignements, notamment que : l’AFNIC accepte de trancher à nouveau un litige entre les mêmes parties et à propos d’un même nom de domaine ; la majorité des procédures sont engagées sur la base d’un droit de marque (55 décisions) et dans ces hypothèses, la violation manifeste des dispositions du décret est retenue lorsque le nom de domaine identique ou très proche de la marque – donc « typosquatting » - est utilisé comme lien renvoyant à des sites concurrents de la marque - c’est le cas du « parking » - ; la procédure ne peut être engagée que pour protéger des droits antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine ; a priori, l’AFNIC devrait trancher des litiges concernant seulement les noms de domaine crées après le 22 juillet 2008 - le rappelant dans une décision – alors que la moitié de ses décisions ont été rendues à propos de noms crées ou renouvelés après cette date.

Or, selon cet auteur, l’essentiel à retenir de cette première année de « jurispredec », est que : « pour la défense d’une marque, le fait d’engager la procédure peut suffire à faire plier le défendeur dans un cas sur cinq. (…) Les critères d’appréciation de l’organe décisionnaire manquent encore de netteté ». Enfin, il soulève la question de la légitimité de l’AFNIC à conduire cette procédure, le décret du 6 février 2007 confiant ce rôle aux « offices d’enregistrement ».


La procédure de règlement des différends des offices d’enregistrement ?

Le décret du 6 février 2007 prévoit que des offices d’enregistrement, personnes morales de droit privé, auront pour mission de collecter « en tant que de besoin auprès des bureaux d'enregistrement » et de conserver « les données de toute nature nécessaires à l'identification des personnes morales ou physiques titulaires de noms de domaine », qui seront confinées dans une base de donnée respectueuse de la loi du 6 janvier 1978 dite « fichiers et libertés »[11].

Il faut donc bien différencier ces offices d’enregistrement, qui sont « chargées d'attribuer et de gérer les noms de domaine », des bureaux d’enregistrement (vues infra) qui « fournissent des services d'enregistrement de nom de domaine » et qui sont liés contractuellement avec les dites offices, selon l’article R.20-44-34 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE).

Le dit Code poursuit à l’article suivant que : « chaque office est choisi, après consultation publique, par arrêté du ministre chargé des communications électroniques ». Or, l’appel à candidature de ces offices pour le <.fr> a été publié au Journal officiel le 15 janvier 2009, ce qui fait qu’à ce jour, le ministre chargé des communications électroniques n’en a toujours pas désigné une.

Mais malgré cette inexistence temporaire, il faut considérer que ces offices d’enregistrement auront la possibilité de recourir à une procédure de règlement des litiges, afin de permettre à des personnes qui auront un intérêt, de contester l’enregistrement effectif de noms de domaine litigieux.

En effet, l’article R20-44-36 du CPCE prévoit que : « La désignation d'un office peut être assortie de prescriptions portant notamment sur : (…)- la mise en place de procédures de règlement des différends ». Ce qui signifie que ce sera le ministre chargé des communications électroniques qui donnera ses « prescriptions » quant au déroulement de cette procédure. Ainsi, un organisme qui gère l’attribution des noms de domaine se verra confier également la mission de régler les conflits d’attribution, alors que dans le cadre de l’ICANN ou de l’AFNIC (avant 2008), ces dernières étaient neutres, déléguant la procédure de règlement alternatif des litiges à des instances telles que l’OMPI. « Seront-ils à la fois juges et parties ? », comme l’énonce justement Emilie Tardieu-Guigues.

Néanmoins, ce texte est tellement lacunaire quant au rôle joué par les offices dans cette procédure, qu’il y a de fortes chances qu’à terme, cela aboutisse à une « passivité » [12] de ces dites offices.

Mais, alors que l’on constate l’efficacité de la procédure de règlement alternatif des litiges de l’OMPI et la possibilité de recourir au juge judiciaire, cette « passivité » serait-elle dommageable ?

Le contentieux judiciaire

Face à un acte de « typosquatting », la partie lésée a la possibilité d’intenter une action en justice sur la base de plusieurs fondements.

En effet, le titulaire d’une marque pourra intenter une action en contrefaçon dirigée contre le « typosquatteur », ayant enregistré un nom de domaine quasi-identique à la dite marque, soit une imitation quasi-servile. Cependant, dans l’hypothèse où l’acte de contrefaçon ne serait pas avéré ou qu’il ne s’agirait pas d’une marque qui a été « typosquattée », mais simplement un signe distinctif non rattaché à un droit de propriété, tel qu’une dénomination sociale, le demandeur pourra recourir à deux actions, qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre, à savoir une action en concurrence déloyale et celle fondée sur un acte parasitaire.

Ce sont donc trois actions complémentaires, auxquelles la partie lésée peut avoir recours et qui auront des chances d’aboutir, à l’aune des éléments factuels et de l’appréciation souveraine des juges du fond.


L’action en contrefaçon

Cette action « vise à faire constater l’infraction, cesser le trouble et obtenir réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à l’image de marque et de l’indisponibilité du nom de domaine. Ce préjudice peut s’analyser comme une perte de chance de contacter des clients sur l’internet et donc, comme une perte financière subie » [13].


L’action en référé

Le titulaire de la marque, victime de « typosquatting », qui voudrait faire rapidement stopper l’atteinte, « peut saisir en référé la juridiction civile compétente », selon l’article L.716-6 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Cette action sera engagée à l’encontre de l’éditeur du site au nom de domaine litigieux.

En plus de sa rapidité, un des intérêts de cette action en référé, est que le titulaire de la marque n’aura pas besoin de prouver la caractérisation de l’infraction de contrefaçon – pas avant l’action au fond du moins – mais devra juste apporter la preuve de sa qualité de titulaire de la marque et d’une atteinte vraisemblable ou imminente à ses droits.

Et si le demandeur apporte les preuves requises, le juge en référé pourra « ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon », d’après le dit article du CPI. Dès lors, à l’aune de cette rédaction qui vise « des intermédiaires dont il utilise les services », il serait donc possible d’intenter une action en référé contre le bureau d’enregistrement et qu’à ce titre, le juge puisse ordonner au registar de geler le nom de domaine litigieux, de le radier, voire de le transférer au titulaire de la marque.


De plus, une personne titulaire d’une marque notoire peut être « fondée à agir sur le fondement de l’article L.713-5 du Code la propriété intellectuelle », comme a pu l’énoncer le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris, dans son ordonnance du 10 avril 2006, dans l’affaire Rue du commerce[14]. Le juge a donc pu constater que « l’utilisation frauduleuse des marques constitue un trouble manifestement illicite constitutif des pouvoir du juge des référés ; qu’il sera fait droit à la mesure de transfert des noms de domaine contrefaisant », <rueducommerc.com> et <rueducommrece.com> à la société demanderesse. Mais ce qui est également notable dans cette affaire, c’est que : « si la présente décision est donc des plus classiques » car « il s’agit d’une nouvelle condamnation par les juges de la pratique de cybersquatting ou plus précisément de typosquatting, (…)l’est moins en revanche la condamnation solidaire de la société défenderesse, titulaire des dits noms de domaine et de l’unité d’enregistrement accréditée auprès de l’ICANN »[15].

Les bureaux d’enregistrement des noms de domaine (registars) doivent se méfier désormais, car attribuer des noms de domaine « frauduleux » d’une marque notoire, ça peut coûter cher.

Une action au fond doit être consécutive d’une action en référé.


L’action au fond

Pour obtenir réparation du préjudice du à l’enregistrement d’un nom de domaine contrefaisant, le titulaire de la marque - qui détient « un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés » selon l’article L.713-1 du CPI – doit avoir subi un acte de contrefaçon.

La contrefaçon, selon l’article L.716-1 du CPI, est « l'atteinte portée au droit du propriétaire de la marque » ; cette atteinte étant constituée par la « violation des interdictions prévues aux articles L.713-2, L.713-3 et L.713-4», soit la reproduction, l’usage ou l’apposition de la marque sans l’autorisation du propriétaire de cette dernière.

De plus, en application du principe de spécialité qui régit le droit des marques, la contrefaçon est caractérisée si l’usage ou la reproduction illicite de la marque est rattachée à des produits et services similaires à ceux de la marque contrefaite. Par conséquent, l’enregistrement d’un nom de domaine avec un radical identique à une marque antérieure et qui désigne un site de produits et services également identiques, constitue un acte de contrefaçon, car il s’agit d’un usage de la marque sans l’autorisation du propriétaire et il y aurait même un acte de reproduction sur le site internet. De ce fait, la pratique de « cybersquatting » est facilement qualifiable de contrefaçon, si le principe de spécialité est respecté, car l’imitation de la marque est servile et le risque de confusion immédiat.


Mais s’agissant d’un acte de « typosquatting », la marque n’étant pas enregistrée en un nom de domaine strictement similaire, mais avec une faute d’orthographe, la déduction de la contrefaçon ne se fait pas immédiatement. Il faut donc recourir au principe prétorien bien établi en matière de contrefaçon, à savoir que l’acte de contrefaçon se détermine par rapport aux ressemblances et non par rapport aux différences.

Dés lors, si le nom de domaine est une imitation quasi-servile de la marque, car on constate une ressemblance manifeste entre les deux, plutôt que seulement quelques différences et qu’il y a donc un risque de confusion, la contrefaçon existe.

Le jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre du 17 novembre 2005[16] peut parfaitement illustrer un acte de contrefaçon, dans le cadre d’une pratique de « typosquatting ». Il s’agissait d’une affaire opposant la société Free, propriétaire de la marque, de la dénomination sociale, du nom commercial et du nom de domaine en <.fr>, éponymes, à la société Eurodns et son représentant français, qui avait réservé et mis en vente des noms de domaine en extension <.fr> typographiquement proches de celui de free, également pour des services de télécommunication.

Ainsi, les juges du fond ont fait la démonstration de l’existence de la contrefaçon de la manière suivante : « Attendu que l’emploi du nom de domaine litigieux, qui permet de se connecter à un service télématique sur lequel des messages sont reçus, diffusés et stockés et d’accéder à des pages internet de publicité, d’information en matière de télécommunication et de messagerie, constitue une contrefaçon par imitation des marques protégées "Free" en raison du risque de confusion qu’il crée dans l’esprit des internautes qui feront un rapprochement dans le secteur des télécommunications entre le signe "Free" et "www.free" ; que le risque de confusion est le même établi en ce qui concerne le nom de domaine "freee.fr" alors que l’adjonction d’une troisième lettre "e" ne modifie pas sa ressemblance phonétique ni son aspect visuel avec les signes invoqués et les deux noms de domaine "freeadsl" et "adslfree" dans la mesure où ils associent le signe "free" au terme "adsl", le rattachant sans aucune ambiguïté au domaine de l’internet et de l’adsl dans lequel le signe "free" est protégé et exploité ».


L’action en concurrence déloyale

Ce type d’action peut être fondée s’il existe entre les parties – en l’occurrence, le titulaire d’une marque ou d’un autre signe distinctif et le titulaire du nom de domaine orthographiquement modifié – une situation de concurrence réelle, c’est-à-dire que leurs activités respectives soient proches.

Ainsi, dans une espèce opposant deux sociétés concurrentes au titre de l’exploitation de site internet de commerce électronique de pneumatiques adressé notamment à une clientèle française, la Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 31 janvier 2008 a confirmé « le caractère déloyal des actes litigieux en soulignant la mauvaise foi de la société concurrente », qui avait enregistré les noms de domaine « pneuonline », « pneusonline » et « pneu-online » en extensions <.com>, <.fr> et <.de> notamment et « qui avait connaissance du nom de domaine exploité par les sociétés Pneus-Online et ne pouvait ignorer le risque de confusion généré ainsi, alors qu’elle avait en outre faussé le jeu de la concurrence en appliquant un taux de TVA distinct du taux en vigueur en France » [17] ; la société malveillante ayant son siège en Allemagne.

Le parasitisme

Un agissement parasitaire consiste en « l’usurpation de la notoriété d’une marque, de la dénomination sociale d’une entreprise, ou encore d’un détournement de clientèle » [18]. Mais au-delà de l’appropriation d’une réputation, l’acte parasitaire pouvant exister en dehors de cette réalité, le parasitisme est caractérisé par le fait de profiter des investissements réalisés par un tiers, de son travail, tel que son travail intellectuel.

Cependant, dans le cas du « typosquatting », c’est bien l’usurpation de la notoriété d’une dénomination sociale ou d’une marque, renommées, qui est recherchée ; en plus du profit des investissements. Par conséquent, le juge est souvent amené à constater l’existence d’agissements parasitaires dans ces espèces.

Ainsi, dans l’affaire « Darty vs AFX » jugée par le Tribunal de grande instance de Paris le 18 octobre 2006, ce dernier a estimé que le fait que la société AFX CONSULTING ait réservé le nom de domaine <darti.fr> et l’exploite dans le but de renvoyer à des sites concurrents de la société « Darty », constituait des « actes de parasitisme, la société AFX CONSULTING profitant indûment de la notoriété et des investissements publicitaires de la société ETABLISSEMENTS DARTY & FILS pour valoriser du fait de son pouvoir de nuisance le signe critiqué dont elle est titulaire ». De plus, on peut juste signaler que dans cette espèce, le juge a également constaté la contrefaçon de la marque « darty », par imitation quasi-servile, mais n’a pas retenu le moyen de la concurrence déloyale au motif que la société AFX consulting n’était pas concurrente à celle de DARTY.



La tentative de stabilisation du contentieux par l’adoption de législations nationales

La loi belge du 26 juin 2003 relative à l’enregistrement abusif des noms de domaine

Face au développement des pratiques de « cybersquatting » et a fortiori de « typosquatting », les autorités belges ont senti le besoin d’adopter une loi spécifique. En effet, selon le Ministre de l’Economie belge, la circonstance que le cybersquatting « (…) se situe à la frontière du droit de la propriété industrielle, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, du droit de la concurrence, des principes généraux relatifs aux pratiques honnêtes en matière commerciale et du droit civil (…) justifie qu’il fasse l’objet d’une loi particulière ».

Dés lors, a été édicté la loi du 26 juin 2003 relative à l’enregistrement abusif des noms de domaine, qui selon son intitulé, a pour but de réprimer l’enregistrement abusif des noms de domaine. La dite loi définit la notion d’ « enregistrement abusif des noms de domaine », comme « le fait de faire enregistrer, par une instance agréée officiellement à cet effet, par le truchement ou non d'un intermédiaire, sans avoir ni droit ni intérêt légitime à l'égard de celui-ci et dans le but de nuire à un tiers ou d'en tirer indûment profit, un nom de domaine qui soit est identique, soit ressemble au point de créer un risque de confusion, notamment, à une marque, à une indication géographique ou une appellation d'origine, à un nom commercial, à une œuvre originale, à une dénomination sociale ou dénomination d'une association, à un nom patronymique ou à un nom d'entité géographique appartenant à autrui ».

Pour atteindre ce dessein, la loi du 26 juin 2003 a mis en place une procédure en cessation spécifique devant les tribunaux belges, qui a produit une jurisprudence fixe ; mais certains commentateurs regrettent l’établissement de cette loi spéciale qui lutte contre une pratique ponctuelle.


La loi française du 9 juillet 2004 et son décret d’application du 6 février 2007 : un décret source d’ambigüités et donc d’inefficacité

La loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle a érigé, pour la première fois, un cadre juridique de l’attribution des noms de domaine en extension <.fr>, prévoyant de ce fait, la désignation d’offices d’enregistrement (vues en infra) par le ministre en charge des Communications électroniques. Ce texte a été codifié à l’article L.45 du CPCE, mais étant d’une portée restreinte, un décret pris en Conseil d’État, est venu préciser les conditions d’application dudit texte. Ainsi, trois ans plus tard, a été enfin édicté le décret du 6 février 2007.

Ce décret d’application apporte les précisions attendues, sur les conditions de désignation et les obligations des offices d’enregistrement, mais surtout, sur les principes qui doivent régir l’attribution des noms de domaine. Ces règles sont contenues aux articles R.20-44-34 à R.20-44-51 du CPCE. Or, certaines de ces dispositions soulèvent des interrogations quant à leur pertinence et quant à l’interprétation qui doit en être faite, et notamment qui a été faite par la jurisprudence récente.

La nouvelle prérogative des offices d’enregistrement de blocage de suppression ou de transfert d’un nom de domaine inéligible à l’enregistrement : une obscurité éclaircie

Une compétence ambiguë

Dans le système préalable au décret, un nom de domaine était attribué en application de la règle « premier arrivé, premier servi » - soit à l’aune des règles de la charte de nommage – sans que soit vérifié la véracité de la « déclaration sur l’honneur » du déposant, c’est-à-dire sans que l’AFNIC doive s’assurer qu’un droit de propriété intellectuelle d’un tiers, par exemple, n’ait été atteint par le dit nom déposé. Mais, avec l’avènement du décret du 6 février 2007, il est désormais interdit le dépôt d’un nom de domaine qui transgresse les règles prévues aux articles R.20-44-44 (atteinte à la République française), R.20-44-45 (atteinte au droit de propriété intellectuelle) ou R.20-44-46 (atteinte à un nom patronymique) du CPCE. Par conséquent, les offices d’enregistrement, personnes morales de droit privé (!), vont avoir l’obligation de contrôler et de vérifier, au moment de l’enregistrement du nom de domaine, si les informations données par le déposant sont exactes et donc si l’enregistrement n’est pas attentatoire à un droit antérieur d’une tierce personne. En effet, l’article R.20-44-49 du CPCE dispose que : « Les offices peuvent supprimer ou transférer des noms de domaine de leur propre initiative lorsque le titulaire ne répond pas aux critères d’éligibilité (…) ». Et comme le relève pertinemment Élisabeth Tardieu-Guigues : « ce décret implique que les offices auront à « juger » de la licéité ou de la non-licéité des noms de domaine demandés (…) On peut se demander s’il n’ y a pas un risque d’arbitraire dans leurs vérifications et décisions, alors que l’on sait combien la vérification de l’existence de la contrefaçon n’est pas simple. Les offices vont devoir apprécier les intérêts en présence, ce qui leur octroie de fait un quasi pouvoir juridictionnel » [19].


La première réponse jurisprudentielle

« Dans un jugement du 26 août 2009, le Tribunal de grande instance de Paris sollicité par les titulaires de marques vient de prendre position sur l’étendue des obligations légales mises à la charge des offices et bureaux d’enregistrement par le décret du 6 février 2007, et dans le même temps, sur leur responsabilité en matière de droit des marques » [20]. En effet, des titulaires de marques, ayant constaté la violation de ces dernières par l’enregistrement de noms de domaine en <.fr>, assignent le bureau d’enregistrement EuroDNS et l’AFNIC, sur le fondement des articles L.45, R.20-44-45 et R.20-44-49 du CPCE, en responsabilité civile sur la base des articles 1382 du Code civil et L.713-5 du CPI. On peut noter que l’article R.20-44-49 du CPCE ne vise que « les offices d’enregistrement ». Or, le juge considère que le bureau d'enregistrement est également soumis aux dispositions du présent code, car le contrat le liant avec l'office stipule qu'elle doit respecter les principes dudit décret.

Ainsi, le Tribunal a pu juger, mettant fin a priori aux divergences d’interprétations des articles du CPCE concernés, qu’il n’était pas imposé à l’office - soit l’AFNIC - ni au bureau d’enregistrement – en l’espèce EuroDNS – la vérification « a priori » de la validité de la demande d’enregistrement d’un nom de domaine, c’est-à-dire de l’absence de violation de droits de tiers antérieurs. La seule vérification opérée par ces organismes est celle de l’antériorité. Dès lors, pour engager leur responsabilité, il faut que, suite à la notification à ces organismes d’enregistrement d’une atteinte par l’attribution d’un nom de domaine aux droits antérieurs de tierces personnes, les dits organismes ne prennent pas les mesures requises, de blocage de suppression ou de transfert. C’est leur inaction a posteriori qui peut conduire à la mise en œuvre de leur responsabilité. On constate alors, un mimétisme avec le régime de responsabilité des prestataires techniques des services de communication au public en ligne, prévu par les dispositions de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 dite « LCEN »[21]. Les spécificités de l’internet entraîne des régimes de responsabilité limitée.

En l’occurrence, la responsabilité de l’AFNIC et de EuroDNS ne sont donc pas retenues, mais cela n’a pas empêché que le juge ordonne sous astreinte audit bureau d’enregistrement de transférer le nom de domaine au titulaire de la marque, eu égard au risque de confusion manifeste du nom avec la marque renommée.

L’incertitude temporaire de la non-rétroactivité du décret ?

Dans l’arrêt dit « Sunshine », du 16 janvier 2008, la Cour d’appel de Paris n’a pas respecté le principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle, qui s’applique pourtant aux textes réglementaires, car elle a retenu l’application de l’article R.20-44-45 du CPCE alors que le nom de domaine avait été enregistré précédemment à la parution du décret. Cette attitude est très critiquable. Heureusement, la Cour de cassation, dans son arrêt du 9 juin 2009[22], est venue remettre de l’ordre, en cassant l’arrêt d’appel. A priori, la non-rétroactivité du décret du 6 février 2007 est donc consacrée ; ce qui n’aurait pas du être.

L’article R.20-44-45 du CPCE : un article ambigu, à interprétation juridictionnelle singulière

La problématique de l’invocabilité par les justiciables de cet article

L’article R.20-44-45 du CPCE est placé dans une section dudit Code, définissant les principes généraux qui doivent être respectés lors de l’attribution des noms de domaine en extension <.fr>. « On peut donc en déduire que cette disposition est destinée aux offices d’enregistrement (…) qu’elle a vocation à guider lors de la rédaction (…) leur « charte de nommage » » [23]. Or, ce n’est pas l’interprétation retenue par les juges dans l’arrêt « Sunshine » précité. On peut donc en conclure que cet article peut-être invoqué par un justiciable.


La problématique inapplication du droit des marques au profit du décret

L’article R.20-44-45 du CPCE prévoit qu' : « un nom identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle par les règles nationales ou communautaires ou par le présent code ne peut être choisi pour un nom de domaine, sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi ».


  • Le principe de spécialité du droit des marques éludé

Dans l’arrêt « Sunshine » - où la marque « sunshine » a été « cybersquatté », par l’enregistrement d’un nom de domaine identique, mais qui ne concernait pas la même activité que celle de la marque- la Cour d’appel de Paris a fait une interprétation restrictive, voire littérale, de l’article R.20-44-45 du CPCE, étant donné qu’elle ne retient pas le principe de spécialité qui a cours en droit des marques, n’étant pas inscrit dans ledit article. La Cour n’a pas statué à l’aune du droit des marques, mais en suivant la lettre du décret. Alors que : « l’examen du seul nom de domaine ne permet pas de savoir s’il y atteinte au droit de marque, en effet, il faut examiner le contenu du site »[24]. Or, cette interprétation peut-être cohérente, si on considère que le titulaire de la marque subit un important préjudice du fait du « cybersquatting » ou du « typosquatting » et donc, qu’il est nécessaire que la réparation soit assurée ; bien que cela risque d’alourdir le contentieux déjà massif des noms de domaine. Néanmoins, il s’agit d’un arrêt isolé. Donc, une décision ultérieure pourrait très bien statuer en appliquant le principe de spécialité, lors de l’examen de l’atteinte de la marque par le nom de domaine identique ou quasi-identique.


  • L’inexistence des principes de la légitimité et de la bonne foi en droit des marques, ici employés

L’article R.20-44-45 du CPCE permet au titulaire d’un nom de domaine d’enregistrer ou de conserver ce nom, ce dernier s’opposant à un droit de propriété intellectuelle, au motif qu’il a « un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi ». Ici, un principe de nature conventionnelle, inspiré des principes UDRP et plus spécifiquement de ceux de la charte de l’AFNIC, a été transposé dans le décret. Faut-il s’en outrager ? Oui, si on considère que c’est un principe « à valeur contractuelle », qui ne devrait pas faire foi devant une instance judiciaire et encore moins avoir une valeur normative. Cependant, n’est-ce pas opportun et respectueux de la liberté de commerce et de l’industrie, étant donné que le titulaire d’un nom de domaine a un « droit » sur ce nom, mais certes pas un droit privatif.

La loi de l’État de New York du 16 mars 2007

Il s’agit d’une loi exclusivement « anti-cybersquatting »[25], mais cela n’empêche pas de la mentionner, car elle reste un exemple intéressant. Ainsi, cette loi interdit l’enregistrement d’un nom de domaine identique à celui d’une personne morale ou physique, sans son autorisation et ceci dans un but de malveillance, car il cherche à en tirer profit. Il est prévu une amende pouvant atteindre un montant de 1000 dollars par jour, de commission de l’infraction. Et le Gouverneur de l’État de New York a la possibilité de déposséder le « cybersquatteur » du nom de domaine litigieux.

Voir aussi

Liens externes

Notes et références

  1. Voir le site le l'ICANN
  2. Voir le site de l'AFNIC
  3. TARDIEU-GUIGUES, E., « L’article R.20-44-45 du décret du 6 février 2007 (…)arrêt « Sunshine », RLDI, 2009/50, n°1657, p.64
  4. Voir en ligne
  5. Christiane Féral-Schuhl, Cyberdroit, le droit l’épreuve de l’Internet, Dalloz-Dunod, 5e éd., 2008, 1000 p., p.566
  6. Carter, Jean-Frédéric, « Vers une nouvelle affaire de typosquatting en fr. ? », Droit-TIC, 24 août 2005
  7. Voir le site
  8. WIPO Arbitration and Mediation Center, Société Air France v. Alvaro Collazo, Case No. D2003-0417
  9. Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI, Décision de l'expert, AXA c. Mathias Baumgartner, 26 février 2007, Litige n° DFR 2006-0016
  10. MANARA, C., « La nouvelle « jurispedec » : un an de procédure de résolutions des cas de violations manifestes du décret du 6 février 2007 », RLDI, 2009/53, n°1774, p.61-63
  11. Loi n° 78-17 du 6 Janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, JORF du 7 janvier 1978 page 227
  12. SARDAIN, F., « Le nouveau régime d’attribution des noms de domaine français », Comm. Com. électr. 2007, étude 8
  13. Féral-Schuhl, Christiane, Cyberdroit, le droit l’épreuve de l’Internet, Dalloz-Dunod, 5e éd., 2008, 1000 p., p.572
  14. TGI Paris, référé, 10 avril 2006, Sté Rue du Commerce c/ Sté Brainfire Group et Sté Moniker Online Service Inc, accessible sur juriscom.net
  15. « TGI Paris, réf.,10 avril 2006, Sté Rue du commerce », RLDI, mai 2006/16, n°467, p.30, obs. Costes
  16. TGI Nanterre, 17 nov. 2005, Free / Eurodns
  17. CA Lyon, 3eciv., 31 janv. 2008, 06/05922, Gazette Palais, 24 juill. 2008, n°206, p.36
  18. Christiane Féral-Schuhl, Cyberdroit, le droit l’épreuve de l’Internet, Dalloz-Dunod, 5e éd., 2008, 1000 p., p.573
  19. Tardieu-Guigues, Élisabeth, « L’article R.20-44-45 du décret du 6 février 2007 (…) arrêt « Sunshine », RLDI, 2009/50, n°1657, p.66
  20. TARDIEU-GUIGUES, E., « De nouveaux conflits générés par le décret du 6 février 2007 », RLDI, 2009/53, n°1751, p.35
  21. Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique : JORF n° 143 du 22 juin 2004 p. 11168
  22. Cour de cassation, chambre commerciale, Audience publique du mardi 9 juin 2009, N° de pourvoi: 08-12904, voir aussi sur legifrance
  23. BOUVEL, A., SARDAIN., F., « Actualité des noms de domaine : le droit tenté par la diversité », Propr. Intell., juillet 2009/n°32, p.218
  24. TARDIEU-GUIGUES, E., « L’article R.20-44-45 du décret du 6 février 2007 (…) arrêt « Sunshine », RLDI, 2009/50, n°1657, p.68
  25. incluse dans le Code de New York, N.Y. GBS. Article 9-C (voir également ici, plus accessible, sur findlaw)