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Théorie des matières réservées par nature à la compétence judiciaire (fr)

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France
Droit administratif > Champ d'application du droit administratif > Détermination du champ d'application du droit administratif > Exceptions au principe de la compétence du juge administratif à l'égard des activités administratives de gestion publique (fr)
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Les solutions plutôt rattachées à des textes

Les texte qui organisent les procédures d'expropriation

Il faut d'abord citer les textes qui organisent les procédures par lesquelles l'administration peut contraindre les particuliers à lui céder la propriété ou l'usage de leurs biens. En matière d'expropriation, les texte donnent le plus souvent compétence à l'autorité judiciaire, notamment pour la fixation de l'indemnité et pour opérer le transfert de la propriété.

En matière d'état des personnes

En matière d'état des personnes, la compétence judiciaire est là aussi le plus souvent rattachée à des textes législatifs. C'est ainsi que l'art. 311-5 du Code civil déclare que les tribunaux civils sont seuls compétents pour statuer sur les réclamation d'état: "Le tribunal de grande instance, statuant en matière civile, est seul compétent pour connaître des actions relatives à la filiation." Il existe ainsi des texte nombreux en matière de nationalité ou en matière d'électorat qui affirment la compétence du juge judiciaire. Par conséquent, si une question relative à l'état des personne est soulevée devant le juge administratif, celui-ci doit surseoir à statuer et renvoyer la question préjudicielle devant le juge judiciaire. Conseil d'État 4 février 1966 Godek: p. 79 au sujet d'un décret qui déclarait que Gaudec avait perdu la qualité de Français. La compétence judiciaire est retenue pour toutes les questions d'état civil (mariage, filiation, capacité et nom).

En matière de nom, il faut préciser que la compétence du juge administratif peut réapparaître en cas de changement de nom. C'est la seule exception. Conseil d'État 10 juillet 1925 Consorts Levezou p. 672. Conseil d'État 29 février 1938 Petibout p. 36.

L'art. 112 du Code d'instruction criminelle, devenu art. 136 du Code de procédure pénale

Ce texte, dans la rédaction que lui avait donnée la loi du 7 février 1933 sur les garanties de la liberté individuelle, était ainsi rédigé: "Les tribunaux judiciaires sont toujours exclusivement compétents dans toute instance civile fondée sur des faits qui seraient constitutifs des infractions prévues par les art. 114 à 122 et 184 du Code pénal."

Il s'agissait de tous les attentats à la liberté, des arrestations ou des détentions arbitraires. Il s'agissait encore de l'inviolabilité du domicile et de l'abus d'autorité commis par les agents publics contre des particuliers. Ce texte paraissait ainsi prévoir très nettement la compétence du juge judiciaire pour connaître de toute demande en indemnisation, qu'il s'agisse d'une demande dirigée contre l'État ou contre les fonctionnaires eux-mêmes.

À la surprise générale, le Conseil d'État allait se reconnaître compétent pour statuer sur la conséquence d'arrestations arbitraires considérant qu'il y avait là des fautes du service public, de l'État, justifiant la compétence administrative (le texte dit le contraire). Conseil d'État 7 novembre 1947 Alexis et Wolff: Dalloz 1948 p. 472 note Eisenmann. Cette décision avait fait l'objet de vives critiques doctrinales, notamment de la part d'Eisenmann qui, dans sa note, estimait que la compétence judiciaire devait être retenue en cette matière puisque le comportement de l'administration constituait une véritable voie de fait et que les textes exigeaient expressément la compétence judiciaire.

Sur ce problème, le Tribunal des conflits allait se prononcer et adopter une solution plus nuancée que l'arrêt Alexis et Wolff dans l'arrêt Dame de la Murette Tribunal des conflits 27 mars 1932: Dalloz 1954 p. 291 note Eisenmann. Le Tribunal des Conflits estime que le principe de la compétence judiciaire est bien établi par l'art. 112 du Code d'instruction criminelle. Mais il ajoute que l'art. 112 doit être combiné avec les règles générales relatives à la séparation des pouvoirs. Il en déduit que lorsque la poursuite est dirigée contre les fonctionnaires eux-mêmes, l'art. 112 du Code d'instruction criminelle s'applique normalement et la compétence judiciaire s'impose. Par contre, lorsque la poursuite est dirigée contre l'État, la compétence se définit alors en fonction des principes généraux qui gouvernent la responsabilité de la puissance publique (Blanco). La compétence ne sera alors judiciaire que s'il y a voies de fait.

La solution retenue par le Tribunal des conflits, qui conduisait à définir la compétence juridictionnelle en fonction de la nature de la personne mise en cause, fût à nouveau très critiquée par Eisenmann puisque finalement, elle était liée au hasard de la procédure.

C'est dans ces conditions que l'art. 136 du Code de procédure pénal fut substitué à l'art. 112 du Code d'instruction criminelle et, dans une nouvelle rédaction, affirmait en termes plus catégoriques encore le principe de la compétence judiciaire. Le nouveau texte stipulait que "Dans tous les cas d'atteinte à la liberté, les tribunaux judiciaires sont toujours exclusivement compétents, que la demande soit dirigée contre l'État ou contre ses agents." La loi casse la jurisprudence. Il devenait impossible en présence de ce nouveau texte de maintenir la distinction établie dans la jurisprudence Dame de Lamurette. Les restrictions à la compétence judiciaire devenaient difficilement soutenables.

Toutefois, le Conseil d'État et le Tribunal des conflits ont encore trouvé le moyen de donner une interprétation restrictive du texte. Tribunal des conflits 16 novembre 1964 Clément: Dalloz 1965 p. 668 note Demichel. À l'occasion d'une demande de réparation de dommages causés par des internements arbitraires, le Tribunal des conflits a précisé que si l'art. 136 du Code de procédure pénale posait bien en termes très généraux le principe de la compétence judiciaire, ce texte déroge au principe de la séparation des pouvoirs et devait faire l'objet d'une interprétation stricte. Il en a déduit que si les tribunaux judiciaires étaient compétents pour statuer sur les actions tendant à la réparation de dommages, contre les agents publics ou contre l'État, les tribunaux judiciaires n'étaient pas compétents pour apprécier la légalité, ni pour interpréter les décisions administratives. Le juge judiciaire doit renvoyer ces questions au juge administratif (sauf s'il y a voies de fait). Conseil d'État Voskresensky: AJDA 1965 p. 603. On retrouve ce problème à propos de la voies de fait.

Les solutions plutôt rattachées à des théories jurisprudentielles

La compétence judiciaire joue ici en cas d'atteinte à la liberté individuelle et à la propriété privée dans le cadre de deux théories importantes: la théorie de la voie de fait et la théorie de l'emprise irrégulière.

La théorie de la voie de fait

La compétence judiciaire est reconnue lorsque l'administration se voit imputer des irrégularités particulièrement graves et lorsqu'elle a porté atteinte à des droits individuels. On dit alors que l'administration a commis une voie de fait, que les actes ainsi accomplis ont perdu leur qualité d'actes administratifs et on en déduit que la compétence contentieuse appartient au juge judiciaire.

Le fondement de la théorie

1- Comment justifier que l'administration relève du juge judiciaire à l'occasion d'activités administratives qui sont pourtant des activités de gestion publique, et ce, en raison d'irrégularités graves. L'explication classique consiste à dire que lorsqu'un acte de l'administration est entaché d'irrégularités exceptionnelles, il fait l'objet d'une dénaturation. Il perd sa qualité d'acte administratif et ne peut plus être considéré comme rattaché à la compétence administrative. Logiquement, il en résulte que cet acte devenu une simple voie de fait, et non plus une voie de droit, échappe à la compétence administrative et relève du juge judiciaire. D'autres auteurs, comme Hauriou, complétaient cette explication en observant que la voie de fait entraîne aussi la volonté de sanctionner une attitude de l'administration considérée comme particulièrement condamnable. Il rappelait que la compétence administrative était un véritable privilège de l'administration et que ce privilège devait lui être retiré lorsqu'elle avait méconnu trop gravement le droit. Enfin, on peut encore ajouter, couronnant et englobant le tout, l'idée selon laquelle le juge judiciaire est considéré comme le gardien naturel de la propriété et des droits individuels. Quoi qu'il en soit, la nature du comportement de l'administration dans l'hypothèse de la voie de fait exigerait la compétence judiciaire.

2- La théorie de la voie de fait a toujours suscité de la part de la doctrine des critiques très vives, notamment pour des raisons théoriques. On souligne que ce qui caractérise l'acte administratif, c'est le fait qu'il émane d'une autorité publique et que les irrégularités qu'il peut contenir ne sauraient en aucun cas en altérer le caractère. On se demande aussi pourquoi une irrégularité manifeste peut ôter à un acte d'administration son caractère administratif alors qu'une simple irrégularité ne produit aucun effet. On relèvera encore que l'administration peut toujours engager sa responsabilité à la suite d'une voie de fait sans doute devant le juge judiciaire, mais cela prouverait que l'acte administratif est toujours debout, ce qui implique un acte imputable à l'administration.

3- Quoi qu'il en soit, les objections permettent de comprendre pourquoi la notion de voie de fait ait été difficilement consacrée en jurisprudence. Il semble en effet que jusqu'en 1930, la jurisprudence soit restée hésitante. À partir de 1930, la jurisprudence devait retenir de manière incontestable la notion de voie de fait. On fait souvent remonter sa consécration à l'affaire Curé de Réalmont Tribunal des conflits 4 juillet 1934: p. 1247. Dans cette affaire, le maire d'une commune avait donné l'ordre d'enlever la grille qui entourait une église sans utiliser la procédure de la désaffectation (pour nuire au curé). Le Tribunal des conflits s'est prononcé en faveur de la compétence du juge judiciaire. Mais cette jurisprudence est discutable car il semble que cette solution reposait ici plutôt sur des textes que sur la théorie de la voie de fait. C'est surtout l'arrêt du Tribunal des conflits 8 avril 1935 Action française qui doit être considéré comme ayant expressément consacré la théorie de la voie de fait. Le 7 février 1934, le préfet de police avait fait saisir le journal L'Action française chez tous les dépositaires du journal à Paris et en province. Le Tribunal des conflits a vu dans une saisie aussi générale et non justifiée une mesure constituant une voie de fait qui justifiait la compétence judiciaire. C'est à partir de là que la jurisprudence allait préciser le critère de la notion.

Le critère de la voie de fait

En matière de définition de la voie de fait, les deux idées qui dominent sont celle d'irrégularité manifeste et celle d'atteinte aux droits individuels.

1- Il n'y aura voie de fait que si l'administration a commis une irrégularité d'une gravité exceptionnelle. Autrement dit, une simple illégalité ne peut donner lieu à voie de fait. On peut, pour faire apparaître la différence entre illégalité simple et irrégularité manifeste, se référer à l'affaire Carlier Conseil d'État 18 novembre 1949. Le requérant était architecte et désirait visiter et photographier la cathédrale de Chartres. Le maire lui en avait interdit l'accès de certaines parties, et, comme il n'avait pas respecté cette interdiction, les forces de police avaient saisi les clichés. Le Conseil d'État a distingué catégoriquement les deux actes: la décision de refus d'accès et la décision de saisir des clichés. Le refus d'accès a été considéré comme un acte d'administration qui devait relever, même en cas d'irrégularité, du juge administratif. Au contraire, la décision de saisir les clichés a été considérée comme constitutive d'une voie de fait parce qu'aucun principe ne permet à l'administration de confisquer des objets appartenant à un particulier. Une telle saisie ne pouvait être considérée comme un acte d'administration. Elle revêtait le caractère d'irrégularité manifeste en fonction du caractère exceptionnel.

L'irrégularité manifeste peut présenter cependant deux aspects. Elle peut tout d'abord être inhérente à la décision elle-même. On dit alors, reprenant une expression d'Hauriou, qu'il y a voie de fait par manque de droit. On veut dire par là que l'irrégularité manifeste se traduit dans la décision elle-même, même s'il n'y a pas exécution, encore qu'une simple menace d'exécution suffise. En pratique, les cas de voie de fait pour seule irrégularité de la décision sont rares. On peut citer l'exemple d'une décision qui a été annulée par le juge mais que l'administration exécute quand même. Tribunal des conflits 17 mars 1949 Époux Léonard-Defraiteur p. 592. Des militaires, sans utiliser les procédures légales de réquisition, avaient pénétré par effraction dans un immeuble, avaient déménagé les habitants et les meubles et avaient installé un centre d'accueil. Un ordre de réquisition a été pris quelques mois après. Le juge a décidé que de tels agissements, constitutifs d'une voie de fait, entraînaient la compétence du juge judiciaire.

L'irrégularité constitutive de la voie de fait peut donc revêtir un deuxième aspect. Elle peut se situer dans la mesure elle même. On parle alors de voie de fait pour manque de procédure (Hauriou). Nous verrons qu'il existe en droit positif un principe selon lequel l'administration ne peut pas sans recourir au juge procéder à l'exécution forcée de ses décisions. L'exécution forcée n'est légitime que lorsqu'un texte formel la prévoit, lorsqu'il y a urgence ou encore lorsqu'aucune sanction n'est prévue par le droit pour vaincre la résistance des administrés. Si donc l'administration recourt à l'exécution forcée, en dehors de ces hypothèses, elle commet une voie de fait et elle devient justiciable du juge judiciaire. Mais il y a aussi voie de fait lorsque l'exécution prévue par des textes a été réalisée en méconnaissance de ces textes. La jurisprudence offre des exemples très nombreux de voie de fait dans de telles hypothèses. Il en est ainsi très souvent lors de saisie de journaux. Tribunal des conflits 25 novembre 1963 Commune de Saint-Just-Chaleyssin p. 793. Le maire d'une commune avait fait exhumer d'office les corps d'un caveau et avait disposé du terrain pour l'attribuer à une autre famille en invoquant que la famille ne respectait pas les prescriptions. Le Tribunal des conflits estima qu'il est interdit en l'absence de toute urgence de procéder à une exécution d'office et qu'une telle exécution, qui violait le respect dû aux sépultures, était constitutive d'une voie de fait. Conseil d'État 10 octobre 1989 Muselier: AJDA 1969 p. 699 au sujet d'une apposition de scellées au domicile d'un officier de marine lors de son décès.

Cette distinction entre deux sortes d'irrégularités constitutives de voie de fait -manque de droit et manque de procédure- est devenue classique. Toutefois, elle n'est pas exempte de toute critique. On peut remarquer que dans la plupart des hypothèses, l'irrégularité atteint l'exécution et la décision. C'est ainsi que dans l'affaire Action française, la saisie des journaux était entachée d'irrégularités manifestes à deux égards: elle ne pouvait pas être rattachée à la police et son exécution était interdite. De plus, l'exécution forcée suppose un ordre. Dans ces conditions, on peut se demander s'il ne serait pas plus simple, souhaitable, de réunir ces faits en les présentant sous la forme d'un critère unique, plus synthétique.

Il apparaît que l'irrégularité manifeste suppose toujours une absence de pouvoir pour caractériser la voie de fait. Ce terme d'absence de pouvoir pour caractériser la voie de fait est parfois utilisé par le juge lui-même. Par exemple, dans l'affaire Carlier, le Conseil d'État s'exprime ainsi: "Cette saisie, qui apparaît dans les circonstances de l'affaire comme manifestement insusceptible d'être rattachée à l'exercice d'un pouvoir appartenant à l'administration, cette saisie constitue une voie de fait."

2- L'atteinte aux libertés individuelles. On souligne toujours que la voie de fait suppose une atteinte aux libertés individuelles. Il y a là la conséquence du principe selon lequel le juge judiciaire demeure le gardien naturel des droits individuels et des droits privés. Effectivement, la jurisprudence donne des exemples très nombreux de voies de fait à propos d'atteinte aux différentes libertés individuelles.

Ex: atteinte à la liberté de culte -Tribunal des conflits 4 juillet 1934 Curé de Réalmont-, à la liberté de la presse -Action française- à l'intimité du domicile -Tribunal des conflits 27 juin 1966 Capitaine Guigon: AJDA 1966 p. 547- à la liberté de correspondance -Tribunal des conflits 10 décembre 1956 Randon p. 592- au droit aux concessionnaires de terrains dans les cimetières -Tribunal des conflits 25 novembre 1963 Commune de Saint-Just-Chaleyssin- à la liberté d'association -C. cass. 1e civ. 24 octobre 1977 Commune de Bougunais: JCP 1979 II 19.157- et à la liberté d'aller et venir -Tribunal des conflits 9 juin 1986 Eucat: RDP 1987 p. 1073.

Quant au droit de propriété, il peut lui aussi donner lieu à l'application de la théorie. Mais il faut remarquer qu'en matière d'atteinte à la propriété immobilière, la théorie de la voie de fait peut interférer avec une autre théorie, à savoir la théorie de l'emprise irrégulière. Tribunal des conflits 30 juin 1969 Société immobilière des Praillons: AJDA 1969 p. 699, arrêt rendu à l'occasion d'un déversement par deux communes d'ordures ménagères sur un terrain privé. Le Tribunal des conflits dit que "les communes intéressées n'ont pas fait la preuve de l'existence d'un accord amiable, cette occupation sans titre a constitué une voie de fait." Quant à l'atteinte à la propriété mobilière, elle constitue aussi une voie de fait (Carlier).

On a pu s'interroger d'ailleurs sur la portée de la condition relative aux atteintes aux droits individuels et se demander s'il pouvait y avoir voie de fait alors qu'il n'y avait pas atteinte à un droit ou une liberté individuelle. Logiquement, en effet, on pourrait soutenir que la théorie de la voie de fait peut s'appliquer dès lors qu'on est en présence d'une décision administrative affectée d'une irrégularité manifeste. La jurisprudence ne l'a pas admis et elle considère qu'il ne peut y avoir voie de fait que s'il y a eu atteinte à une liberté individuelle. Même l'acte très gravement irrégulier ne constitue pas une voie de fait. Conseil d'État 8 avril 1961 Klein: Dalloz 1961 p. 587.

Les conséquences de la voie de fait

La théorie de la voie de fait entraîne la compétence du juge judiciaire, laquelle compétence est entendue largement.

1- Le juge judiciaire est d'abord compétent pour établir la voie de fait, c'est-à-dire pour apprécier la gravité de l'irrégularité qui entache l'acte administratif. On justifie cette compétence du juge judiciaire en soulignant que dans le cas de voies de fait,l'acte aurait perdu son caractère administratif. Mais cette compétence du juge judiciaire est une compétence partagée avec le juge administratif car en effet, la jurisprudence a décidé que le juge administratif pourrait lui aussi, lorsqu'il était saisi, reconnaître le caractère de voie de fait d'un acte de l'administration et en constater la nullité. Les deux juges peuvent donc reconnaître la voie de fait. Cette décision essentielle a été formulée dans l'arrêt du Tribunal des conflits 27 juin 1966 Capitaine Guiguon. En exécution d'une décision prise par l'autorité militaire, des scellées avaient été apposées sur le logement du capitaine Guiguon. Le Tribunal des conflits a décidé que cette mesure ne pouvait se rattacher à l'exercice d'un pouvoir appartenant à l'administration, qu'elle constituait une voie de fait, mais qu'il appartenait tant à l'autorité judiciaire qu'à l'autorité administrative d'en constater la nullité. Le juge judiciaire est ainsi obligé de partager sa compétence.

2- Le juge judiciaire est également compétent, mais cette fois exclusivement, pour en tirer les conséquences, pour faire cesser la voie de fait et pour la réparer, et cela en condamnant l'administration à des dommages et intérêts. C'est ici qu'apparaît tout l'intérêt de la compétence judiciaire en ce domaine. Le juge judiciaire dispose de moyens efficaces pour contraindre l'administration. En effet, la jurisprudence a reconnu que le juge judiciaire pouvait adresser des injonctions à l'administration. Ex: le juge judiciaire peut ordonner un référé préventif, des expulsions ou des restitutions. Tribunal des conflits 17 mars 1949 Société immobilière Rivoli-Sépastopol. Le Tribunal des conflits a même autorisé le juge judiciaire à condamne l'administration à des astreintes. Tribunal des conflits 17 juin 1948 Manufacture des velours et peluches: Dalloz 1948 jurisprudence p. 377. On peut dire que ces conséquences de la théorie de la voie de fait sont normales. Dès lors qu'il y a voie de fait, il n'y a plus activité administrative et on peut logiquement en déduire une soumission complète de l'administration aux règles de droit privé. Ces solutions sont également heureuses sur le plan pratique car elles assurent efficacement la défense des administrés contre les atteintes portées aux libertés par l'administration.

3- Il a même été décidé que la théorie de la voie de fait permettait au juge judiciaire d'apprécier la légalité des règlements portant atteinte à la liberté individuelle Tribunal des conflits 30 octobre 1947 Barinstein: p. 511. Le juge judiciaire a donc plénitude de juridiction.

L'avenir de la voie de fait

La théorie de la voie de fait, qui avait été admise avec certains hésitations a connu depuis lors un essor considérable et atteint un degré de précision relativement satisfaisant. Les adversaires de la voie de fait croient déceler aujourd'hui une contestation, un déclin de la voie de fait. Pourquoi?

1- D'abord, les adversaires relèvent et reprennent sur le plan théorique les critiques déjà formulées au début du XXe siècle par la doctrine, critiques qu'ils reprennent et développent. Ils insistent d'abord sur le rôle historique qu'aurait joué la théorie de la voie de fait dans les périodes troublées; à l'heure actuelle, ce rôle serait terminé, les choses s'étant normalisées.

Ils insistent aussi sur les incertitudes de compétence que soulèvent la théorie de la voie de fait. Une véritable condamnation de la théorie de la voie de fait a été prononcée par le commissaire du gouvernement Fournier dans ses conclusions de l'arrêt Voskresensky AJDA 1965 p. 605. Il faut rappeler, pour comprendre la thèse soutenue par Fournier, les dispositions de l'art. 136 du Code de procédure pénale substitué à l'ancien art. 112 du Code d'instruction criminelle. Ce texte décide qu'en cas d'atteinte à la liberté individuelle, ainsi qu'à la sûreté personnelle et à l'inviolabilité du domicile, les tribunaux judiciaire sont toujours exclusivement compétents. Ce texte paraît donc retenir une compétence judiciaire de principe. Mais on a toujours pu observer une tendance à maintenir dans ce domaine une certaine compétence au juge administratif. Le juge des conflits considère que le principe de séparation ne peut pas être complètement écarté et que tout texte contraire à ce principe de séparation doit être interprété restrictivement. Le Tribunal des conflits avait ainsi décidé que la compétence judiciaire devait être retenue seulement lorsque l'action était dirigée contre les agents publics et non pas contre l'État (Dame de Lamurette). Cette disposition ne pouvait être maintenue en présence de la rédaction incluse dans le nouvel art. 136 du Code de procédure pénale. Toutefois, le Tribunal des conflits a encore décidé, en invoquant toujours le principe de séparation des pouvoirs, que le juge judiciaire ne pouvait apprécier la légalité des actes administratifs (Clément). C'est en se fondant sur les dispositions de l'art. 136 du Code de procédure pénale que Fournier a considéré que la théorie de la voie de fait était aujourd'hui en grande partie dépourvue d'intérêt. Les dispositions de l'art. 136 suffisent à établir la compétence judiciaire dans le cas d'atteinte à la liberté individuelle; point n'est besoin de recourir à la théorie de la voie de fait. À cela, d'autres représentants de la doctrine ajoutent encore que la théorie de l'emprise irrégulière permet de justifier la compétence judiciaire lorsqu'il y a atteinte à la propriété immobilière. On est alors conduit à conclure que pour les atteintes aux libertés autres que les libertés individuelle, le droit de propriété privée et de propriété immobilière, le juge administratif doit être compétent. Le problème n'a pas été tranché dans l'arrêt Voskresensky car le Conseil d'État a admis la compétence judiciaire en se fondant sur l'art. 136.

2- On peut observer encore que le juge administratif s'est reconnu compétent dans certaines hypothèses qui paraissaient cependant constituer d'authentiques voies de fait. Il faut faire ici état de l'arrêt SARL Éditions du témoignage chrétien Conseil d'État 4 novembre 1966: AJDA 1967 p. 40. L'hebdomadaire Témoignage chrétien avait fait l'objet de saisies sur une décision préfectorale qui a été annulée par le Tribunal administratif de Rouen. L'administration se pourvoyait en appel devant un autre juge qui l'avait condamné à réparation. Il semblait bien que les principes formulés dans l'arrêt Action française étaient applicable. Le Conseil d'État s'est reconnu implicitement compétent pour apprécier la responsabilité. En réalité, il semble que des considérations d'opportunité d'équité aient joué un rôle essentiel. Le juge administratif a statué car il a voulu éviter au requérant de s'adresser à un nouveau juge (dix ans de procédure). C'est un jugement en équité. Il demeure quand même que la compétence administrative est difficilement explicable dans cette espèce. La notion de voie de fait aurait dû être reconnue. Après la décision Témoignage chrétien, certains ont pu penser qu'il y avait un déclin, voire même un abandon de la théorie de la voie de fait. Il n'en est rien et on va voir dans la jurisprudence intervenue depuis lors qu'on peut percevoir une orientation qui est favorable à la voie de fait.

Nous relèverons d'abord un arrêt du Tribunal des conflits du 30 juin 1967 Société civile immobilière des Praillons. Il s'agissait du déversement ordonné par deux communes d'ordures ménagères sur un verger appartenant à un particulier. Le Tribunal des conflits a déclaré que l'acte en cause était constitutif d'une voie de fait dès lors qu'il n'y avait pas d'accord de volonté (contrat).

Mais il s'agit surtout d'un autre arrêt du Conseil d'État du 11 octobre 1969 Muselier: RDP 1970 p 774. À la suite du décès de l'amiral Muselier, le chef de la marine (sous de Gaulle) avait ordonné la saisie de certains documents qui se trouvaient dans le logement de l'intéressé. L'administration maritime de Toulon n'avait aucune habilitation; elle ne pouvait faire état que d'un vieux décret de 1870 qui décidait que le juge judiciaire devait donner son autorisation et assister à la saisie. Le commissaire du gouvernement a montré que l'administration en décidant et en exécutant cette décision, avait ainsi usurpé des pouvoirs appartenant à l'autorité judiciaire et porté atteinte aux droits des consorts Muselier dans des conditions insusceptibles de se rattacher à l'exercice des pouvoirs de l'administration.

On peut citer aussi les arrêts Commune de Bouguen et Eucat. On ne saurait méconnaître l'importance de ces décisions du Conseil d'État, dans lesquelles la haute juridiction administrative et le Tribunal des conflits expriment leur attachement à la voie de fait. Elles démontrent en tout cas que la notion de voie de fait a connu des vicissitudes plutôt qu'un déclin. La théorie de la voie de fait a connu dès son origine des critiques. On ne saurait non plus méconnaître les avantages appréciables apportés par la théorie de la voie de fait lorsque les libertés individuelles sont en jeu. En conclusion, on peut dire que la théorie de la voie de fait est bien vivante.

La théorie de l'emprise irrégulière

Le fondement

Lorsque l'on se trouve en présence d'atteintes portées par l'administration à la propriété immobilière, on considère traditionnellement qu'une large place doit être faite à la compétence judiciaire. On observe que des textes nombreux ont au cours de l'histoire consacré la compétence judiciaire dans de telles hypothèses. C'est le cas de la procédure relative à l'expropriation. Une doctrine importante a vu là la manifestation d'un principe plus général qui existerait en dehors de tout texte et en vertu duquel le juge judiciaire serait le défenseur naturel de la propriété immobilière Ce principe, toutefois, ne donnerait pas lieu à une application générale et absolue. Il s'appliquerait seulement dans certaines conditions qu'il appartient au droit de préciser. De ce principe, nous en avons déjà rencontré une application dans la théorie de la voie de fait, qui repose à la fois sur l'idée de dénaturation et sur celle d'atteinte grave aux libertés individuelles parmi lesquelles figure le droit de propriété.

On trouve une deuxième modalité d'application du principe très proche, mais différent quand même, de la voie de fait. On dit qu'il y a emprise lorsqu'une autorité administrative exerce une prise de possession irrégulière sur une propriété privée immobilière. Cette emprise constitue un titre de compétence pour le juge judiciaire qui est ainsi appelé à protéger la propriété privée.

La notion d'emprise

1- Les éléments constitutifs. L'emprise se traduit par une dépossession irrégulière d'une propriété immobilière privée. L'emprise suppose donc avant tout l'existence d'une propriété privée immobilière. Selon la jurisprudence, la théorie ne saurait jouer pour la propriété mobilière, ni même pour de simples droits réels immobiliers. Tribunal des conflits 14 novembre 1938 Baudéan: Sirey 1940 III p. 20. La solution est nette s'agissant des servitudes. Tribunal des conflits 6 juillet 1981 Jacquot c/ commune de Maixe: p. 507.

Il n'y a emprise que s'il y a eu prise de possession par l'administration. C'est ainsi que pour la jurisprudence, un trouble de jouissance ne constitue pas une emprise irrégulière. Tribunal des conflits 24 décembre 1904 Consorts Montlaur: p. 888. L'emprise doit avoir été réalisée irrégulièrement. elle suppose donc une certaine irrégularité commise par l'administration. Sur ce point, on a pu relever en droit positif certaines hésitations. La doctrine, et même une certaine jurisprudence, ont parfois défendu une conception extensive de l'emprise en estimant que la compétence judiciaire devait être retenue même lorsque l'emprise avait été régulière. Cette position est expressément condamnée au profit d'une conception plus restrictive. Conseil d'État 15 février 1961 Werquin: RDP 1961 p. 321. Le maire de Lille avait procédé à la réquisition d'un immeuble appartenant au sieur Werquin, et ce, en application de la loi municipale afin de reloger des personnes évacuées d'un immeuble qui menaçait ruine. L'arrêté de réquisition étant donc considéré comme régulier, fallait-il retenir la compétence judiciaire sur le seul fondement de l'emprise irrégulière? Le commissaire du gouvernement Braibant insista sur le caractère exceptionnel de la théorie qui, dérogeant au principe de la séparation des pouvoirs, devait être interprétée strictement. Il insista sur l'idée que les tribunaux judiciaires, en l'absence de texte, ne pouvaient intervenir pour protéger la propriété que lorsqu'il s'agissait d'empiètement illégal, fautif et irrégulier. Le Conseil d'État a suivi dans les termes suivants: "Considérant que la réquisition de l'immeuble appartenant au sieur Werquin n'a pas présenté le caractère d'une emprise irrégulière sur propriété privée immobilière, qu'ainsi le litige est relative au paiement d'une dette d'une commune née d'une opération de puissance publique, qu'en l'absence de texte spécifique attribuant compétence à l'autorité judiciaire, un tel litige relève du juge administratif". La compétence judiciaire n'est retenue que dans l'hypothèse de l'emprise irrégulière, c'est-à-dire quand l'acte est entaché d'une irrégularité.

2- L'emprise et la voie de fait. On voit que la notion d'emprise, si elle se rapproche à certains égards de la voie de fait, s'en distingue toutefois formellement. Les deux théories font appel au principe commun selon lequel le juge judiciaire est le défenseur naturel de la propriété privée. Toutefois, la théorie de l'emprise est limitée aux seules dépossessions immobilières. Par ailleurs, en matière d'emprise, il suffit d'une simple irrégularité et non d'une irrégularité manifeste. Ces différences dans les définitions se retrouvent au niveau des conséquences.

Les conséquences de l'emprise

L'existence d'une emprise irrégulière entraîne la compétence du juge judiciaire, dont il importe de préciser l'étendue.

1- Le juge judiciaire est compétent mais il ne peut apprécier lui-même l'irrégularité qui est à la base de l'emprise. Il doit surseoir à statuer et renvoyer, par le jeu d'une question préjudicielle, l'affaire au juge administratif. Tribunal des conflits 30 juin 1949 Nogier: Dalloz 1949 III p. 394.

On sait que la solution est différente dans le cas de voies de fait. Dans la théorie de la voie de fait, le juge judiciaire peut constater lui-même l'irrégularité manifeste constitutive de la voie de fait. Cette différence fondamentale entre les deux théories est conforme à l'essence même de celles-ci. Dans le cas de la voie de fait, l'acte administratif dénaturé a perdu son caractère administratif et, par conséquent, le juge judiciaire, en constatant la voie de fait, ne connaît plus d'un acte de l'administration. Dans la théorie de l'emprise irrégulière, il s'agit d'apprécier une simple illégalité et l'acte n'est pas dénaturé. Il est donc normal de réserver cette tâche au juge administratif.

2- Le juge judiciaire est ensuite compétent pour fixer l'indemnité qui réparera les dommages subis du fait de la dépossession. C'est là la grande utilité pratique de la théorie de l'emprise. Le juge judiciaire appréciera non seulement l'indemnité de dépossession proprement dite, mais aussi l'indemnité qui est due à l'occasion des préjudices accessoires qui résultent des divers comportements fautifs de l'administration. Tribunal des conflits 17 mars 1949 Société de l'Hôtel du vieux beffroi et Société Rivoli-Sépastopol.

3- Il faut bien comprendre cependant que les pouvoirs du juge judiciaire restent limités dans le cas de l'emprise. Le juge judiciaire ne peut en aucune manière adresser des injonctions à l'administration pour faire cesser l'emprise. Nous avons vu au contraire qu'en cas de voie de fait, le juge judiciaire dispose de pouvoirs particulièrement étendus.

Ici encore, cette différence entre les deux théories se justifie parfaitement. L'acte qui constitue une emprise conserve son caractère administratif; il n'est pas dénaturé, tandis que celui qui peut être qualifié de voie de fait a perdu cette qualité. Il est donc normal que le juge judiciaire ait plus de pouvoir.