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Brevet unitaire et juridiction européenne unifiée (fr)

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Cet article est issu de la Grande Bibliothèque du Droit, un projet proposé par l'Ordre des avocats du barreau de Paris. Pour plus de renseignements concernant cet article, nous vous invitons à contacter son auteur
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France > Propriété intellectuelle > Brevet > Droit européen
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Compte-rendu de la réunion du 24 avril 2013 de la Commission de la propriété intellectuelle du barreau de Paris, réalisé par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition privée

Commission ouverte : Propriété intellectuelle
Responsable : Fabienne Fajgenbaum avocat au barreau de Paris

Intervenants : Alice Pezard, conseiller honoraire à la Cour de cassation, Marie Courboulay, vice-présidente de la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris, Fabrice Claireau, directeur des affaires internationales de l'INPI, Ronan Guerlot, chef du bureau du droit commercial à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice, Pierre Véron, avocat au barreau de Paris



L'idée d'un brevet unitaire, valable dans l'ensemble de l'Union européenne n'est pas nouvelle ; elle avait même été avancée au moment de la création de la CEE en 1957. Il a donc fallu de nombreuses années pour bâtir un vrai corps de règles dans ce domaine qui sont désormais comprises dans les Règlements du 17 décembre 2012 n˚ 1257/2012 (Règlement mettant en oeuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection unitaire conférée par un brevet N° Lexbase : L9779IUQ) et n˚ 1260/2012 (Règlement mettant en oeuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection unitaire conférée par un brevet, en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction N° Lexbase : L9780IUR) et dans l'accord relatif à une juridiction unifiée en matière de brevets.


– Présentation du "paquet brevet unitaire"

par Pierre Véron, avocat au barreau de Paris


L'évolution historique

Le point de départ est la Convention sur le brevet européen de 1975 qui institue un double régime :

— des institutions qui concourent à la délivrance, l'Office européen des brevets avec des possibilités de recours contre sa décision ;

— un éclatement des compétences au profit des tribunaux des divers Etats membres puisque le brevet européen, selon une fiction juridique, est un faisceau de brevets nationaux à partir de sa délivrance. Dès lors, seront appliqués des régimes juridiques différents à un même brevet.

Ce régime juridique présente de nombreux inconvénients, notamment celui de devoir engager des procédures dans chaque Etat membre pour faire respecter les droits du titulaire du brevet avec des coûts démultipliés et de réels risques de se trouver confronter à des solutions divergentes pour un même brevet. Il est donc apparu indispensable d'en finir avec ce système, de telle sorte que dès 1975 a été signée une Convention sur le brevet communautaire. Cette dernière n'a toutefois jamais été ratifiée et n'est jamais entrée en vigueur en raison, d'une part, du problème juridictionnel (jugement par les juridictions nationales de chaque Etat membre et en appel un renvoi préjudiciel obligatoire devant une juridiction communautaire unique) et, d'autre part, de celui des traductions. En 1999, la France a donc pris l'initiative de relancer le processus en proposant d'instituer, non plus un renvoi préjudiciel obligatoire devant une cour d'appel commune, mais une entité avec un renvoi facultatif. Si ce projet n'a pas été suivi d'effet, il a eu pour conséquence d'alerter les autorités européennes sur la question, si bien que la Commission a proposé, en 2000, la création d'un tribunal européen des brevets à deux étages centralisé à Luxembourg pour la première instance et l'appel. Les praticiens et les milieux industriels se sont alors farouchement opposés à ce projet de centralisation du contentieux des brevets devant une seule juridiction éloignée des usagers. L'Office européen des brevets, de son côté, a proposé à la même époque un système assez similaire avec une juridiction de première instance siégeant à Munich, qui n'a toutefois non plus jamais vu le jour (projet EPLA). D'autres projets en 2003 n'ont pas rencontré plus de succès.

Tentant de prendre en compte les observations des milieux intéressés, la Commission, en 2007, tout d'abord, a revu sa copie, proposant que l'ensemble de l'édifice juridictionnel soit placé sous le contrôle de la CJCE (désormais CJUE) avec la création d'une chambre spécialisée en droit de la propriété industrielle. Mais ce projet n'a pas plus séduit que les précédents, toujours en raison de sa centralisation.

En définitive, est donc née en 2009 la possibilité de mettre en place un système juridictionnel qui comprend une juridiction unique, mais avec des divisions locales, qui statuera sous le contrôle d'une cour d'appel, compétente pour connaître des affaires relatives aux brevets européens et au brevet communautaire, dont la création était alors envisagée. Cette dernière a toutefois était abandonnée face à l'opposition du Portugal et de l'Espagne et, en 2011, un autre système a été envisagé qui prévoit donc la mise en place d'une juridiction unifiée du brevet (JUB).

En 2010, en raison des demandes de l'Italie et de l'Espagne qui exigeaient alors un autre régime linguistique pour le brevet, les Gouvernements ne réussirent pas à trouver d'accord. En décembre 2010, certains Etats membres proposent ainsi de nouer une coopération renforcée, mécanisme très peu utilisé, dont le recours a été attaqué en vain par l'Italie et l'Espagne. L'année 2011 a été marquée par plusieurs propositions des autorités européennes et par un avis de la CJUE sur la compatibilité avec le droit de l'UE du dispositif prévu qui embrassait non seulement les Etats membres de l'Union qui participaient à la coopération renforcée mais également des Etats non-membres comme la Suisse, la Norvège et la Turquie.

La Commission a donc repris son projet et un accord a été trouvé, d'une part, sur la division centrale de la juridiction européenne des brevets et, d'autre part, sur la suppression d'articles du Règlement qui contenaient des dispositions de droit substantif sur l'étendue de la protection conférée par le brevet et qui aboutissaient indirectement à rendre la CJUE compétente sur des questions de droit des brevets en intégrant en quelque sorte cette matière au droit de l'Union.

En définitive un compromis historique a donc été trouvé, bien que le texte final puisse paraître particulièrement abscons. Le 17 décembre 2012, les deux Règlements sur la création d'une protection unitaire conférée par un brevet ont donc été publiés et le 19 février 2013 l'accord relatif à une juridiction unifiée en matière de brevets a été signé. L'Espagne et l'Italie ont depuis lors engagé de nouveaux recours contre les Règlements eux-mêmes, mais ces derniers ont été rejetés par la CJUE le 16 avril 2013 (CJUE, 16 avril 2013, aff. C-274/11 N° Lexbase : A1318KCS). Les ratifications devraient donc intervenir dans l'année pour une installation de la juridiction spécialement créée le 1er avril 2014.


La juridiction européenne unifiée des brevets

Il s'agit du premier accord pour la création d'une juridiction supranationale commune à plusieurs Etats membres pour trancher au fond des litiges entre parties privées. Ce faisant, est institué un mécanisme différent de celui applicable à la marque communautaire et aux dessins et modèles communautaires dans lequel les juridictions nationales sont compétentes avec une possibilité de renvoi préjudiciel devant la CJUE.

Néanmoins, le système mis en place est particulièrement complexe puisqu'il a pour effet de créer quatre "Europe" différentes :

— celle des 24 Etats du brevet unitaire européen et signataires de l'accord sur la juridiction unifiée ;

— l'Espagne qui s'est exclue de l'ensemble du système ;

— la Pologne qui a adhéré au brevet unitaire mais qui n'a pas signé l'accord sur la juridiction unifiée ;

— l'Italie qui a signé l'accord sur la juridiction unifiée mais qui n'a pas adhéré aux Règlements sur le brevet unitaire.

Cette juridiction va avoir une compétence particulière et limitée puisque les parties à l'accord ont opté pour une définition via une liste positive. Elle connaîtra donc des contentieux relatifs :

— au brevet européen unitaire ;

— aux certificats complémentaires de protection (CCP) basés sur un brevet européen unitaire ou sur des brevets européens ;

— aux brevets européens ;

— aux demandes de brevets unitaires ou de brevets européens.

S'agissant des CCP, la juridiction européenne unifiée statuera sur des titres nationaux car même si des Règlements communautaires leur sont applicables, ils sont délivrés à raison de un par Etat.

Le système juridictionnel est à deux niveaux : un tribunal de première instance et une cour d'appel qui sera donc le dernier niveau de juridiction, la CJUE ne pouvant intervenir que si elle est saisie d'une question préjudicielle.

Concernant le tribunal de première instance, chaque Etat aura la possibilité d'installer une division locale, les Etats ayant enregistré plus de 100 affaires nouvelles par an pouvant créer jusqu'à quatre divisions locales. En pratique, il s'agit donc de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne. A l'heure actuelle, l'Allemagne a l'intention de créer quatre divisions locales à Düsseldorf, Munich, Mannheim et Hambourg. Une division régionale, c'est-à-dire commune à plusieurs Etats est en préparation pour la Scandinavie.

La division centrale siègera à Paris avec des sections à Londres et à Munich. La répartition des affaires sera pour le moins originale puisqu'elle repose sur leur position dans la classification technique internationale. Ainsi, Londres sera compétente pour les nécessités courantes de la vie (chaussures, cintres...), la chimie et la métallurgie. A Munich seront dévolues les affaires classifiées mécanique, éclairage, chauffage, armement et sautage. A Paris, enfin, seront jugées les autres affaires, c'est-à-dire les techniques industrielles, les transports, le textile, le papier, la construction, la physique et l'électricité qui inclut notamment les télécoms.

La cour d'appel a son siège à Luxembourg.

L'entrée en vigueur est progressive : pendant une période transitoire de sept ans à partir de la date d'entrée de l'accord, une action en contrefaçon ou en nullité d'un brevet européen, ou une action en contrefaçon ou une demande en nullité d'un certificat complémentaire de protection délivré pour un produit protégé par un brevet européen, peut encore être engagée devant les juridictions nationales. Les titulaires de brevet auront donc un choix et pourront donc d'exclure la compétence de la juridiction unifiée du brevet pour leur titre (opt-out) en déposant une déclaration en ce sens. Ils peuvent également revenir sur leur option tant qu'aucun procès n'est engagé sur leur brevet (opt-in). La dérogation comme son retrait prennent effet à compter de leur inscription au greffe. Or, le jour de son ouverture le greffe devrait recevoir une multitude de demandes d'inscription qu'il ne pourra matériellement pas traiter le jour-même, de sorte que celui qui souhaiterait contester un brevet pourra le faire devant la juridiction unifiée alors que le titulaire du brevet aura manifesté son option pour la dérogation dès lors que celle-ci ne pourra être opposée au contestateur faute d'avoir été inscrite à temps par les services du greffe. Le texte crée donc un mécanisme de préemption de compétence au profit de celui qui contestera le brevet. Devant ce constat, il a été décidé de prévoir une période sunrise durant laquelle il sera possible de préenregistrer son opt-out, de sorte que les dérogations seront toutes enregistrées par le greffe le jour de son ouverture.


– Le brevet européen à effet unitaire

par Fabrice Claireau, Directeur des affaires internationales de l'INPI

Le cadre juridique du brevet européen à effet unitaire est formé par les deux Règlements du 17 décembre 2012, n˚ 1257/2012 et n˚ 1260/2012 qui entreront en vigueur le 1er janvier 2014 ou toute date ultérieure d'entrée en vigueur de l'accord qui crée la juridiction européenne. La Commission européenne a fixé cette date au 1er avril 2014 mais, compte tenu des délais du processus de ratification et de la mise en oeuvre opérationnelle du brevet unitaire et de la juridiction européenne des brevets, il semble plus raisonnable de prévoir une entrée en vigueur du dispositif à l'horizon 2015.

Intégration du système du brevet européen à effet unitaire dans le cadre du brevet européen

Le brevet européen à effet unitaire s'intègrera dans le système actuel de brevet européen puisqu'il s'agira d'un brevet européen délivré par l'OEB. Cette création est bienvenue puisqu'elle permet de conserver la qualité du brevet européen délivré par l'OEB reconnu par l'ensemble des déposants et des entreprises dans le monde.

Le brevet européen à effet unitaire va s'ajouter aux voies de protections existantes ; il n'a pas vocation à remplacer le brevet national, ni le brevet européen "classique" qui éclate pour sa part en un faisceau de brevets nationaux. De même, la voie PCT avec la désignation et l'entrée en phase régionale en Europe par l'OEB demeure. Le législateur européen souhaitait en effet offrir une palette de protection en fonction des intérêts économiques ou géographiques du déposant. Il est bien entendu possible de cumuler le brevet européen à effet unitaire avec un brevet européen sur les parties espagnole et italienne qui ne sont pas couvertes par le premier.


L'application au brevet européen à effet unitaire de règles déjà existantes

Le brevet européen à effet unitaire est délivré selon les mêmes règles que le brevet européen "classique" et sera donc soumis jusqu'à cette étape à la Convention européenne sur le brevet européen. Il n'y aura pas notamment de taxe supplémentaire de procédure à celle existant aujourd'hui devant l'OEB. L'application au brevet européen à effet unitaire de règles particulières.

Les titulaires d'un brevet européen existant pourront déposer une requête auprès de l'OEB dans un délai d'un mois afin de transformer leur brevet en brevet européen à effet unitaire. L'effet unitaire de ce brevet sera transcrit sur son registre par l'OEB afin d'en informer les tiers.

L'obligation de traduction est drastiquement allégée puisqu'à l'issue d'une période transitoire de 12 ans (6 ans + 6 ans), cette obligation disparaît. Pendant la période transitoire, des obligations de traduction demeurent à l'égard de titulaires de brevet européen à effet unitaire puisque le brevet délivré dans une langue de l'Union européenne autre que l'anglais doit être traduit en anglais, tandis que le brevet délivré en anglais devra être traduit dans une autre langue de l'Union européenne. Un système de traduction automatique sera par la suite mis en place qui sera donc alimenté durant la période transitoire par les traductions manuelles.

Par ailleurs, aujourd'hui il est possible de déposer un brevet européen dans une autre langue que les langues officielles de l'OEB (anglais, français et allemand) mais il est exigé d'opérer une traduction de la demande de dépôt dans l'une de ces trois langues. Il existe donc une discrimination à l'égard des déposants dont la langue officielle n'est pas une des langues de l'OEB. Avec le brevet européen à effet unitaire, il est prévu à leur profit une compensation financière.

Les annuités (taxe de maintien en vigueur) seront payables en une seule fois auprès de l'OEB et ce dernier opèrera le partage (50/50) entre lui et les offices nationaux. Elles seront déterminées par un comité spécial, placé auprès du conseil d'administration de l'OEB (cf. infra). La détermination de cette taxe s'avèrera complexe car elle exige de mettre en place un système à la fois attractif et préférentiel pour les micro-entités et les déposants indépendants, mais aussi qui permet d'assurer la pérennité financière de l'OEB tout en maintenant sa neutralité compte tenu du fait que certains membres de l'OEB, qui sont 38 au total, ne sont pas concernés par la législation sur le brevet unitaire.

Le brevet européen à effet unitaire représente une véritable simplification des démarches pour les déposants avec une seule procédure de dépôt, une procédure unique de validation pour 25 Etats membre, une procédure unique pour le versement de la taxe de maintien en vigueur et une réduction des coûts inhérente à cette simplification administrative.

Aujourd'hui 64 % des déposants à l'OEB sont originaires d'Etats non-membres de l'Union européenne et les simplifications ainsi apportées au système actuel devraient les séduire et les inciter à s'orienter vers le brevet européen à effet unitaire.

La Commission européenne à l'intention de créer des CCP européens dans les années qui viennent.


– Compatibilité du brevet européen à effet unitaire avec le droit de l'Union européenne

par Alice Pezard, Conseiller honoraire à la Cour de cassation

Deux problèmes essentiels de compatibilité se sont posés, qui ont été éclaircis.

Le premier résidait dans les oppositions de l'Italie et de l'Espagne qui estimaient que le processus retenu pour la traduction ne respectait pas les impératifs linguistiques consacrés par le droit de l'Union. L'option pour le mécanisme de la coopération renforcée sans ces deux Etats a résolu le problème. De même, la CJUE a consacré la compatibilité de ce processus avec le droit de l'UE dans son arrêt du 16 mai 2013. Il est à noter que c'est la première fois en droit économique que la coopération renforcée est utilisée.

Par ailleurs, dans son avis de 2009, la CJUE avait estimé que le projet de brevet communautaire privait les juridictions nationales et les Etats de leurs prérogatives dès lors que l'interprétation des textes relevait de la seule compétence juridictionnelle de la Cour. Avec ce système, les Etats eux-mêmes risquaient une condamnation en manquement puisqu'ils déléguaient leurs pouvoirs à la CJUE. L'abandon de ce projet a résolu cette difficulté.

Ensuite, les articles 6 et 8 du projet de Règlement sur le brevet européen à effet unitaire conféraient au titulaire du brevet un droit à protection tant en matière de contrefaçon qu'en matière d'injonction et pouvaient donner lieu à interprétation par la CJUE. Or, le Royaume-Uni est plutôt méfiant à l'égard de cette Cour et estime que ses juges ne sont pas spécialistes des questions de propriété intellectuelle. Ne souhaitant pas une interprétation des règles de la contrefaçon et de l'injonction par les juges de Luxembourg, le Royaume-Uni a donc exigé et obtenu le retrait des articles 6 et 8, condition sine qua non de son adhésion au "package brevet européen".

Cette suppression soulève néanmoins des difficultés : la protection conférée par le brevet européen à effet unitaire n'en souffre-t-elle pas ? Par ailleurs, dans le texte final adopté, les dispositions sur la contrefaçon et l'injonction (articles 5 à 7) renvoient pour leur interprétation aux dispositions nationales, ce qui présente un vrai risque face à l'impératif d'application uniforme du droit européen et de protection identique des titulaires de brevets.

L'article 21 de l'accord relatif à une juridiction européenne unifiée du brevet prévoit néanmoins une possibilité de saisir la CJUE de questions préjudicielles. Elle devrait rester très limitée en la matière. Deux recours ont déjà été exercés. Dans le premier déposé par l'Espagne et l'Italie, est notamment portée à l'appréciation de la Cour la concomitance d'entrée en vigueur du brevet européen à effet unitaire et de la juridiction européenne unifiée. Mais prima facie, cet argument semble de peu de poids, dès lors qu'il apparaît logique qu'un nouvel instrument juridique entre en vigueur en même temps que la juridiction chargée d'en connaître des manquements ou des violations.

Le second recours déposé par les espagnols apparaît plus dangereux pour le système. Il y est soutenu l'existence d'une délégation de l'OEB à l'IPO pour l'entrée en vigueur du système. Or, se pose la question de savoir si un système de l'Union peut déléguer un pouvoir, même purement administratif. Par ailleurs, dans le cadre de ce recours, les espagnols contestent les dispositions sur la fixation des honoraires et notamment ceux applicables à l'opt-out qui prévoient là encore une délégation au profit d'une autoritaire étrangère à l'Union.


– La compétence de la juridiction européenne unifiée

par Marie Courboulay, Vice-présidente de la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris

Dans le système du brevet européen classique, l'OEB délivre un brevet à multiples facettes, chaque facette étant un brevet à portée nationale. Le titulaire qui se trouve face à une contrefaçon est donc dans l'obligation de savoir si cette contrefaçon existe dans différents pays de l'Union, s'il est nécessaire d'agir dans chaque pays ou dans quel(s) pays il est le plus judicieux d'agir afin d'obtenir des décisions qui lui permettront de faire cesser la contrefaçon.

Le Règlement "Bruxelles I" lui laisse le choix de porter le litige devant le tribunal du domicile du défendeur ou devant le tribunal du lieu de la contrefaçon c'est-à-dire du lieu du dommage. Cette option ouvre la voie au forum shopping. En-dehors des marques et des dessins et modèles communautaires, il n'est pas possible d'obtenir une interdiction sur l'ensemble du territoire européen. D'un point de vue économique, s'agissant des acteurs, leur choix est toujours guidé par l'envie d'être jugé soit par ses juges naturels nationaux, soit par les juridictions les plus favorables aux titulaires de brevets, c'est-à-dire les juridictions allemandes, et par la rapidité de la décision attendue et sa prédictibilité.

Les brevetés privilégient donc l'Allemagne qui est le premier pays quant à l'importance du contentieux en matière de brevets (environ 1 000 affaires/an contre environ 300 en France et environ 100 au Royaume-Uni).


Composition judiciaire de la juridiction européenne unifiée

Les divisions centrales et les divisions locales seront composées de membres juristes et non-juristes. Une division locale ayant moins de 50 affaires par an sera composée d'un juge du pool européen et d'un juge national. Une division locale avec plus de 50 affaires par an sera composée de deux juges nationaux et d'un juge du pool européen.

La présence d'un juge technicien supplémentaire sera faite à la demande des parties ou d'office si le juge l'estime nécessaire. La division centrale sera composée de deux juges européens et d'un juge technicien, quant à la cour d'appel elle sera composée de trois juges européens et de deux membres techniciens.

Au sein des divisons locales la langue utilisée sera celle du pays dans lequel se tient le procès. Au sein de la division centrale la langue utilisée par la procédure sera celle du brevet. 75 % des brevets européens sont déposés en anglais, 20 % en allemand et seulement 5 % en français.


Compétence de la juridiction européenne unifiée

La juridiction européenne unifiée sera compétente en matière de validité, de contrefaçon, de non-contrefaçon des brevets ainsi que pour les CCP. Il est à noter que la juridiction unifiée n'est pas compétente en matière de concurrence déloyale. Elle pourra prendre des mesures probatoires et des mesures d'interdiction.

Des compétences exclusives existent au profit de la division centrale. Ce sera le cas en ce qui concerne les demandes de nullité des brevets à titre principal et les demandes en non-contrefaçon. Les divisions locales seront compétentes pour statuer sur une demande de nullité à titre reconventionnel.

Il demeure toutefois une possibilité de forum shopping, dans le cadre des demandes en non-contrefaçon au profit du titulaire des droits : si une partie saisie une division centrale d'une demande en non-contrefaçon, le titulaire du brevet dispose d'un délai de trois mois pour saisir une division locale d'une demande de contrefaçon et la division centrale sera alors contrainte de surseoir à statuer. Il s'agit de la prime logique au titulaire de brevet de pouvoir choisir la juridiction qui lui convient le mieux et ne pas laisser la juridiction instrumentaliser par un contrefacteur éventuel.

Une division locale saisie d'une demande de contrefaçon avec comme moyen de défense une demande de nullité du brevet a alors plusieurs possibilités : elle peut statuer sur l'ensemble des demandes ; elle peut saisir la division centrale de la demande en nullité du brevet et surseoir à statuer sur la contrefaçon ; elle peut aussi renvoyer tout le dossier à la division centrale.

Ce nouveau système va-t-il induire un changement dans les possibilités de forum shopping ? Les possibilités demeurent les mêmes dès lors que les divisions locales existeront dans les pays les plus importants en matière de brevet (Allemagne, France, Royaume-Uni, Pays-Bas) et que la possibilité de saisir l'une de ces dernières perdurent dans les mêmes conditions, c'est-à-dire en application du Règlement "Bruxelles I" (lieu du dommage ou du domicile d'un défendeur). A cela s'ajoute, en outre, la possibilité de saisir la division centrale qui n'existe pas dans le système actuel. Les titulaires de brevet non ressortissants de l'Union européenne, notamment les américains, chinois et japonais, pourront ainsi saisir directement une division centrale en fonction de la classification de leur brevet. Les américains sont d'ailleurs déjà habitués à une centralisation du contentieux en la matière, alors qu'ils étaient auparavant dans un système fédéral.

Quand le contrefacteur est ressortissant d'un Etat étranger à l'Union européenne, la saisine d'une division centrale s'impose.

Parmi les critères de choix de la juridiction entre la juridiction du dommage et celle d'un défendeur, les titulaires auront à prendre en compte la langue de la procédure ou la composition de la juridiction en fonction de son importance (majorité de juges nationaux pour les juridictions locales les plus importantes).

Le succès de la division centrale face aux divisions locales de pays habitués à rendre de nombreuses décisions en matière de brevets dépendra en particulier de sa rapidité à rendre des décisions qui devront être motivées et prévisibles. Une compétition nécessaire s'installera entre la division centrale et les divisions locales.


– Statut recrutement et formation des juges

par Alice Pezard, Conseiller honoraire à la Cour de cassation

Les textes concernant les juges sont issus de l'accord général du 19 février 2013 et ses annexes.

L'une des particularités du système qui sera mis en place tient à la présence de juges legally qualify et de juges techniquement qualifiés qui s'inspire du modèle allemand. Chaque juge, qu'il soit professionnel ou expert, a le même droit de vote au sein de la juridiction, de telle sorte que leur recrutement et les critères de sélection doivent être aussi strict, pour l'une ou l'autre de ces catégories. Les conditions de leur nomination soulèvent des interrogations. Il a été relevé la difficulté du part-time, comme en Allemagne, qui consisterait donc à nommer des juges de la troisième chambre du TGI de Paris ou des juges de la cour d'appel à temps partagé entre leurs attributions nationales, déjà très chargées, et leurs attributions auprès de la juridiction unifiée. Ce part-time est une faculté et la Chancellerie serait bien inspirée de ne pas retenir cette option et de nommer des juges à temps complet.

Le mandat des juges est de 6 ans renouvelables. Les Etats mettront en place un advisory committee, composé lui-même de juges, qui établira des listes proposées ensuite au comité administratif qui gèrera l'ensemble des divisions de la juridiction unifiée.

Pour les juges légaux, il est exigé des compétences techniques en matière de droit des brevets mais également des compétences linguistiques, ce dernier point représentant probablement une faiblesse pour la France dont les magistrats devront perfectionner leur anglais et leur allemand. Les juges auront la dissenting opinion, dont les juges nationaux sont privés en France. Un système de médiation et d'arbitrage est intégré au mécanisme dont les règlements ne sont pas encore établis. Le centre de médiation et d'arbitrage se partagera entre Lubiana et Lisbonne. Si ces partages sont théoriquement séduisants pour Madame la Conseiller honoraire, en pratique, ils sont plus inquiétants, notamment pour leur mise en place. D'ailleurs, les autorités portugaises ont reconnu que compte tenu de la crise économique ils étaient aujourd'hui dans l'impossibilité de se préparer à la mise en place de cette institution.

Le centre de formation des juges est fixé en Hongrie. L'OEB a pris la mesure de l'importance de la formation et met tout en oeuvre pour que celle-ci soit efficace. La formation est, toutefois, un vrai problème dans la mesure où il existe de très grandes disparités sur les compétence des magistrats en matière de brevet entre les trois pays phares en la matière (Allemagne, France, Royaume-Uni) et les 21 autres Etats concernés. Il pourrait être intéressant de réfléchir à la formation en propriété intellectuelle de certains magistrats dès l'école de magistrature, notamment par le biais d'échanges entre les écoles des pays où de véritables compétences en la matière existent et les autres.

De même, il serait particulièrement efficace d'institutionnaliser la présence provisoire auprès de magistrats français, allemands ou anglais ou de cabinets d'avocats spécialisés de juges d'autres Etats. En effet, les membres de l'IPO, de l'INPI ont manifesté une forte inquiétude sur la compétence des magistrats. La France devrait agir en ce sens car les anglo-saxons se sont déjà employés à former certains magistrats à la matière et il pourrait apparaître dangereux de leur laisser le champ libre, au risque que les juges des diverses divisions locales adoptent un raisonnement typiquement anglo-saxon, là où le droit de la propriété intellectuelle est un savant équilibre entre droit continental et droit de common law.

Le choix et la nomination du Président de la division centrale, qui reviendra à la France, puisque le siège se trouve à Paris est une décision très importante. Les partenaires européens de la France, notamment les anglais et les allemands, ont d'ailleurs manifester leur inquiétude à ce sujet et ont fait part de leur vœux de voir nommer quelqu'un le plus rapidement possible, afin de jouer également une rôle de missi dominici auprès des autorités des autres Etats, notamment des Etats-Unis, du Japon et de la Chine. Cette personne hautement qualifiée devra impérativement être un technicien de la matière mais également un bon manager.


– Règles de procédures applicables devant la juridiction européenne des brevets

par Pierre Véron, avocat à la cour

Un projet de règles de procédures (version n˚ 14) a été diffusé le 31 janvier 2013. Ces règles s'articulent autourd'un objectif qui a sous-tendu l'ensemble des travaux, à savoir que la procédure doit être conduite de manière à permettre que l'audience finale en première instance sur les questions de contrefaçon et de validité ait lieu dans un délai d'un an.

Les principales caractéristiques de la procédure mise en place sont les suivantes:

— il s'agit d'une procédure par étapes ;

— une prédominance de la phase écrite ;

— un pre-trial discovery limité ;

— une possibilité de mesures de conservation des preuves (saisie) ;

— une obligation de fournir dès le début de la procédure les éléments fondant la demande ; et

— une possibilité d'obtenir des mesures provisoires.

Le déroulement de la procédure est séquencée. La procédure devant le tribunal de première instance comprend les étapes suivantes :

— une procédure écrite ;

— une procédure de mise en état, qui peut comprendre une audience de mise en état en présence des parties ;

— une procédure orale qui, selon les règles 116.1 et 117, doit comprendre l'audition des parties si nécessaire ;

— une procédure relative à l'octroi de dommages-intérêts ;

— une procédure relative aux dépens.

La phase écrite est primordiale. Il ne s'agit pas d'une procédure sur assignation mais par le dépôt d'un mémoire au greffe de la juridiction qui est chargé de le notifier. Il s'ensuit un échange organisé séquentiellement :

— le mémoire en demande ouvre un délai de 3 mois pour que le défenseur puisse présenter son mémoire en défense ;

— un mois après le dépôt de ce dernier, le demandeur doit répliquer ;

— un mois après le défenseur peut dupliquer.

Ces délais sont des délais préfix. Le juge-rapporteur peut allonger les délais sur demande de l'une des parties, ce qui devrait être exceptionnel. A l'intérieur de ces délais sont prévus des délais plus courts pour présenter les exceptions de procédure (preliminary objections). Ainsi, par exemple, la contestation de la compétence de la juridiction unifiée ou de la division particulière devant laquelle le défenseur est attrait doit être présentée dans le délai d'un mois. Ces délais extrêmement courts exigent pour les cabinets d'avocats d'avoir des équipes nombreuses et préparées.

Concernant les règles de preuve, les possibilités de discovery sont limitées. En effet, il n'est possible de demander un document à la partie que si ce document est identifiée et s'il est précisé son rapport avec l'affaire.

La procédure prévoit également l'obligation générale de fournir dès que possible les éléments fondant la demande. La délivrance au compte-gouttes, comme dans la procédure anglaise, est donc exclue au profit d'un chargement dit frontal.

A l'issue de l'échange des mémoires, il y aura une ou plusieurs audiences avec le juge-rapporteur. La façon dont le juge-rapporteur conduira cette étape de mise en état risque de changer en fonction de leur expérience propre, de leurs habitudes. La mise en état peut donc différer d'un pays à l'autre. Ses pouvoirs sont très larges, puisqu'il pourra notamment demander des explications complémentaires aux parties, la production de pièces, entendre des témoins. L'audition de témoins sera exceptionnelle puisque les témoignages au cours de l'audience devront être limités aux questions identifiées par le juge-rapporteur ou le président comme devant être jugées sur le fondement de preuves orales.

La durée de l'audience ne doit pas dépasser une journée. Le président peut, avant l'audience, indiquer le temps accordé à chaque partie pour présenter ses observations orales.

Concernant les frais de procédure, il est prévu que la juridiction du brevet s'autofinance. Le budget devra être équilibré. Au moins pendant la période transitoire, les frais sont assurés par des contributions provenant des Etats membres contractants qui devront donc payer les frais de fonctionnement pour leurs divisions locales (facilities). Concernant la division centrale c'est le pays qui l'accueille (la France) qui financera son installation. Les frais de procédure seront fixés par le comité administratif. Ils comprennent un montant fixe, combiné à un montant fondé sur la valeur du litige, au-delà d'un plafond prédéfini. Le montant des frais de procédure est fixé à un niveau garantissant un juste équilibre entre le principe d'accès équitable à la justice, en particulier pour les petites et moyennes entreprises et les micro-entités, et une contribution adéquate des parties aux frais exposés par la juridiction, tenant compte des avantages économiques pour les parties concernées et de l'objectif visant à ce que la juridiction s'autofinance et ait des comptes en équilibre.

Trois scénarii ont été imaginés : des frais de procédure modiques, des frais moyens et des frais élevés.


1. Dans le premier scénario -frais modiques-, les droits à payer seraient les suivants :

— 3 000 euros pour une action en contrefaçon ;

— 2 000 euros pour une demande reconventionnelle en nullité ;

— 6 000 euros pour l'appel d'une décision définitive ;

— 3 000 euros pour l'appel contre une ordonnance provisoire.


2. Dans le deuxième scénario -frais moyens-, les droits à payer seraient les suivants :

— 6 000 euros pour une action en contrefaçon ;

— 4 000 euros pour une demande reconventionnelle en nullité ;

— 9 000 euros pour l'appel d'une décision définitive ;

— 4 500 euros pour l'appel contre une ordonnance provisoire.


3. Dans le troisième scénario -frais élevés-, les droits à payer seraient les suivants :

— 12 000 euros pour une action en contrefaçon ;

— 7 000 euros pour une demande reconventionnelle en nullité ;

— 12 000 euros pour l'appel d'une décision définitive ;

— 20 000 euros pour l'appel contre une ordonnance provisoire.


– Les mesures conservatoires dans le cadre de la juridiction unitaire des brevets

par Marie Courboulay, Vice-présidente de la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris

L'article 58 rappelle l'importance du secret des affaires et des données personnelles. Ceci ne semble pas anodin puisque la protection des données personnelles et des autres informations confidentielles est particulièrement mise en exergue et que la collecte des preuves au cours de la procédure peut être restreinte, interdite ou l'accès peut en être limité à certaines personnes déterminées.

Mesures provisoires pour obtenir des preuves (article 59 et 60 de l'accord)

Ordonnance de production des preuves (remise par un tiers ou par la partie elle-même de pièce ; article 59 de l'accord)

La solution retenue n'est pas dépaysante pour les juristes français puisque les pouvoirs sont proches de ceux déjà connus du juge de la mise en état français. Ainsi à la demande d'une partie qui a présenté des éléments de preuve raisonnablement accessibles et suffisants pour étayer ses allégation et a précisé les éléments de preuve à l'appui de ses allégations qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse ou d'un tiers, la juridiction peut ordonner que ces éléments de preuve soient produits par la partie adverse ou un tiers, sous réserve que la protection des informations confidentielles soit assurée. A la demande d'une partie, la juridiction peut, dans les mêmes conditions, ordonner la communication de documents bancaires, financiers ou commerciaux qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse, sous réserve que la protection des informations confidentielles soit assurée.

Il faudra donc porter une attention particulière à ce que le contrôle puisse être effectif en justifiant précisément la nécessité de production d'un document. Les demandes devront être portées devant le juge-rapporteur.

Conservation des preuves et descente sur les lieux (mesures équivalentes à une demande de saisie-contrefaçon ; article 60 de l'accord).

Le requérant doit présenter des éléments de preuve raisonnablement accessibles pour étayer ses allégations selon lesquelles son brevet a été contrefait ou qu'une telle contrefaçon est imminente. Le juge doit s'assurer de la protection des informations confidentielles et de la conservation des éléments de preuve. Ce schéma est assez proche de celui connu en France pour la saisie-contrefaçon. Ainsi, pour la conservation des éléments de preuve, peuvent être ordonnés : la description détaillée, des prélèvements d'échantillons, la saisie matérielle des produits litigieux et, dans les cas appropriés, des matériels et instruments utilisés pour produire et/ou distribuer ces produits, la saisie des documents s'y rapportant et une descente sur les lieux effectuée par une personne nommée par la juridiction conformément au règlement de procédure.

Ces mesures peuvent être demandées "avant même l'engagement d'une action au fond", ce qui a contrario signifie que l'accès à ces mesures est possible lorsqu'une action en contrefaçon a été engagée. Comme dans la procédure française, le requérant en personne ne peut pas participer aux opérations de saisie mais il peut être représenté par un professionnel indépendant dont le nom figure dans l'ordonnance. Il est également indiqué que ces mesures peuvent être ordonnées ex parte dans les cas habituels, à savoir, lorsque tout retard est susceptible de causer un préjudice irréparable au titulaire du brevet ou lorsqu'il existe un risque démontrable de destruction des éléments de preuve. La signification des opérations de saisie doit alors être faite à l'autre partie sans délai au plus tard immédiatement après l'exécution des mesures.

Une procédure de rétractation est également prévue lorsque la saisie a été effectué ex parte, de même que la possibilité de subordonner les mesures à la constitution par le requérant d'une caution ou d'une garantie équivalente adéquate, destinée à assurer l'indemnisation de tout préjudice subi par le défendeur.

L'obligation de saisir le juge au fond est la même que celle que nous connaissons et ce dans les même délais (31 jours civils ou 20 jours ouvrables). Il est enfin prévu une indemnisation possible en cas de non-contrefaçon.

Ce régime ne devrait poser aucun problème aux praticiens français habitués à la procédure de saisie-contrefaçon puisque les règles sont sensiblement identiques.

Le juge devra vérifier la proportionnalité de la mesure. Or, les juges français, notamment ceux de la troisième chambre du TGI de Paris ont pris l'habitude de vérifier la nécessité des mesures sollicitées et leur ampleur, quitte à ôter certains éléments de la demandes, notamment lorsque l'étendue des mesures n'apparaît pas justifiée. Concernant la saisie des e-mails, les demandes doivent être particulièrement ciblées et précises dans la mesure où il s'agit de données personnelles, à défaut le juge ne pourra autoriser leur saisie.

Si rien n'est précisé dans les textes, il apparaît évident que la saisie-contrefaçon pourra être ordonnée sur l'ensemble des territoires des Etats parties à l'accord par la décision d'un seul juge.


Mesures provisoires

Mesures équivalentes au référé (article 62 de l'accord)

Afin de prévenir tout acte de contrefaçon, il est prévu la possibilité d'assigner le contrefacteur présumé ou tout intermédiaire afin d'obtenir, à titre provisoire, une interdiction, sous astreinte, de commercialisation, de retrait d'introduction ou de circulation dans les circuits commerciaux des produits ou des marchandises prétendument contrefaits. La juridiction peut également ordonner leur saisie ou leur remise au titulaire du brevet, les saisies conservatoires sur les biens immobiliers et la constitution de garantie, tel que le droit français les connaît.

Décisions de gel (article 61 de l'accord)

Le texte prévoit une nouveauté par rapport au droit français qui ne connaît pas une telle disposition : la possibilité de demander à la juridiction, avant même l'engagement d'une action au fond, d'ordonner de ne pas sortir du territoire qui relève de sa compétence des avoirs situés sur ce territoire ou de ne pas réaliser des transactions sur des avoirs, qu'ils soient ou non situés sur ce territoire. A l'ensemble de ce dispositif ont été posées quelques limites classiques : le rappel de la proportionnalité des mesures et celui que le requérant doit rapporter tout élément de preuve raisonnable qu'il est le titulaire du droit et qu'une atteinte à son droit est imminente. Ceci a pour effet de valider la jurisprudence mise en place par la troisième chambre du TGI de Paris. Cette interdiction aura effet sur l'ensemble des pays signataires de l'accord.


– Les travaux du comité préparatoire à l'échelon international

par Fabrice Claireau, Directeur des affaires internationales de l'INPI

L'article du 9, 2 du Règlement prévoit la création par les Etats membres participants au sein du conseil d'administration de l'OEB d'un Select committee (comité restreint), chargé de mettre en place le dispositif de taxe de maintien en vigueur du brevet européen à effet unitaire et de l'ensemble des tâches dévolues à l'OEB en matière de brevet européen à effet unitaire, c'est-à-dire la tenue d'un registre ad hoc et la réception des traduction pendant la période transitoire de 12 ans maximum.

Le Select committee devra déterminer le montant des taxes de maintien en vigueur ainsi que le partage des revenus tirés de ces taxes puisque 50 % revient à l'OEB et 50 % aux offices nationaux des Etats membres. Cette dernière tache s'avèrera complexe puisqu'elle consiste à s'assurer que les grands Etats ne perdent pas, et que les autres Etat moyens gagnent un peu plus. Le 20 mars 2013, s'est tenue une réunion en vue de nommer un président et un vice-président qui sont, respectivement, le chef de l'office belge et le chef de l'office slovaque. Des discussions en cours visent à déterminer des règles de procédure afin de pouvoir commencer à traiter du fond, notamment du montant des taxes dans le courant du mois de juin. Au sein de ce comité, participent des représentants des 25 Etats membres de la coopération renforcée sur le brevet européen à effet unitaire. Comme au conseil d'administration de l'OEB seront probablement présents des observateurs et notamment des utilisateurs lors des cessions du comité spécial, la Commission européenne étant par nature observatrice.

Concernant la juridiction unifiée des brevets, lors de la signature de l'accord, les Etats ont attaché à l'acte de signature une déclaration qui les engage à mettre rapidement sur pied un comité chargé de préparer la mise en oeuvre opérationnelle de cette institution créée ex nihilo. De nombreux actes doivent en effet être préalablement accomplis afin que la juridiction soit en mesure, le jour de son ouverture, de traiter des cas concrets relevant de sa compétence. Ce comité préparatoire comprend des représentants des 25 Etats membres à l'accord créant la juridiction unifiée des brevets (24 Etats du brevet européen à effet unitaire plus l'Italie). Sa première réunion s'est tenue le 26 mars 2013, au cours de laquelle son président et son vice-président ont été nommés et les taches à accomplir identifiées.

Concernant la structure opérationnelle, elle est constituée, d'une part, du comité préparatoire qui est l'instance politique qui réunit donc les représentants des Etats membre et, d'autre part, de quatre groupes d'experts qui traiteront les différentes tâches opérationnelles identifiées. La Commission européenne et là aussi observatrice.

Le lien avec les instances européennes n'est pas totalement distendu puisque le comité préparatoire fera rapport régulièrement au corps des représentants permanents des Etats au Conseil des ministres européen. Il est même prévu en cas de difficulté à trouver un accord au sein de ce comité préopératoire, la possibilité d'un arbitrage au niveau du Conseil des ministres européen.

Concernant les sujets à traiter, quatre grandes thématiques ont été identifiées :

— la thématique financière dont la présidence du groupe d'experts est assurée par un représentant français issu du ministère du Redressement productif. Les taches qui lui sont dévolues sont la détermination du niveau des taxes de procédure, de celui de l'aide juridictionnelle et des conditions de cette dernière, le premier budget de la juridiction unifiée, son règlement financier, la contribution que les Etats membres devraient verser en cas de violation du droit européen par cette juridiction, les schémas de rémunération des magistrats et les régimes de pension ;

— la thématique juridique, dont la présidence du groupe d'experts est assurée par un représentant allemand. Ce groupe traitera des règles de procédure devant la juridiction, mais également celles relatives au registre, à l'aide juridictionnelle, au fonctionnement des différents comités (comité administratif qui formellement adopte les règles de procédure et comité consultatif chargé de la sélection des magistrats), à la médiation et à l'arbitrage et enfin des règles relatives au certificat européen pour la représentation unifiée des brevets puisque, au-delà des lawyers, les conseils en propriété industrielle et les mandataires européens pourront sous condition d'obtention d'un certificat intervenir devant cette juridiction ;

— la thématique ressources humaines, qui concerne la formation des magistrats, l'élection des membres du comité consultatif qui examine les candidatures des magistrats, la création d'un pool de juges affectés aux différentes instances et la préparation de l'élection des magistrats qui composeront cette juridiction unifiée des brevets ;

— la thématique informatique afin de mettre en place un système informatique commun à l'ensemble des Etats et aux divisions locales avec un dépôt électronique des dossiers, une consultation à distance, une publication des décisions..., éléments essentiels à l'effectivité du système juridictionnel.

Sur l'ensemble de ces sujets, il conviendra d'associer, de consulter et d'écouter l'ensemble des futurs utilisateurs.


– Les travaux en cours pour la mise en fonction en France de la juridiction unifiée

par Ronan Guerlot, Chef du bureau du droit commercial à la Direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice

La Chancellerie a bien à l'esprit l'échéance du 1er avril 2014 et pour objectif que la juridiction européenne unifiée des brevet soit opérationnelle à cette date, malgré les glissements de calendrier évoqués précédemment. Les problématiques rencontrées sont nombreuses puisqu'il s'agit de créer une juridiction totalement nouvelle à composante internationale, le modèle de référence étant la CEDH.

Les points arbitrés

Aujourd'hui très peu de points sont arbitrés. L'essentiel pour l'attractivité de la place de Paris réside, bien entendu, dans la présence du siège de la division centrale sur le sol français ainsi que la nationalité française de son futur président dont l'identité n'est pas encore décidée.

Par ailleurs, la Garde des Sceaux a acté la nécessité de créer une division locale afin de tenter de conserver sur le territoire national les contentieux relevant des compétences dévolues aux émanations britannique et allemande de la division centrale, notamment en ce qui concerne la chimie et la mécanique. Cette division locale se situera à Paris. En effet en 2011, 26 % des dossiers entrés à la troisième chambre du TGI de Paris concernait le domaine pharmaceutique et 47 % le domaine mécanique. La préservation de la langue française plaidait également en faveur de la création d'une division locale sur le sol français.


Les défis à relever

La Chancellerie, le ministère de l'Economie et l'INPI sont présents dans chacun des sous-groupes créés par le comité préparatoire de la juridiction européenne unifiée du brevet afin de défendre les intérêts français. Le travail du comité préparatoire est en construction, la France ayant nommé un coordonnateur de l'ensemble des travaux français.

Concernant le financement, la déclaration annexée à l'accord prévoit que dans une période transitoire, les Etats qui se sont engagés à accueillir la division centrale ou les divisions locales devront en assurer le financement et mettre à disposition le mobilier, l'immobilier et le personnel administratif. Cela se traduira par un financement de la Chancellerie complété par un financement de l'INPI : les chiffres sont importants mais pas encore totalement arbitrés. A l'issue de la période transitoire, la juridiction devra s'autofinancer, point particulièrement sensible en cours de discussion au sein du sous-groupe chargé de cette question et à laquelle, bien entendu, la France attache une importance toute particulière, compte tenu du fait qu'elle accueillera le siège de la division centrale.

La question de la localisation de la juridiction n'est pas encore tranchée puisqu'elle devra répondre à des contraintes budgétaires imposées par France domaine. Mais la Chancellerie et le ministère de l'Economie a pris en compte avec bienveillance les résultats de la consultation de l'ensemble des professionnels (industriels, avocats...) et de leur souhaits de localisation de ladite juridiction. Les locaux choisis correspondront bien au standard international attendu de la France. Cette décision sera prise probablement d'ici la fin de l'année.

Il faudra que la division centrale et la division locale soient proportionnées au nombre d'affaires. Pour ce faire, la Chancellerie s'est appuyée sur les travaux de la Commission européenne mais également sur les chiffres plus précis transmis par Madame la Présidente Courboulay.

La formation des juges et le recrutement des professionnels est un sujet en cours de réflexion à la Chancellerie qui souhaite mettre en place un pool de juges français qui pourraient être proposés comme juges à la juridiction européenne du brevet. L'accord prévoit des critères de bon sens auquel répond le corps judiciaire français qui dispose de magistrats très qualifiés en droit de la propriété intellectuelle. Le ministère de la Justice réfléchit également, avec l'INPI, à un renforcement de la formation des juges en droit de la propriété industrielle.


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