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Carré de Malberg, Raymond

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Raymond Carré de Malberg (1861-1935) appartient à cette génération de professeurs de droit généralistes, couvrant par conséquent d’un immense savoir le champ d’une discipline aujourd’hui divisée. Historien du droit dans ses jeunes années, il soutient en 1887 une thèse consacrée à l’Histoire de l’exception en Droit romain, puis, jeune professeur à la Faculté de droit de Caen, il s’attache à l’enseignement du droit civil et publie assez régulièrement dans les Pandectes françaises. Ce n’est que progressivement et assez tardivement qu’il s’engage dans la matière qui lui permettra de donner la mesure de son talent, le droit constitutionnel. En 1914, Carré de Malberg a 53 ans lorsqu’il publie son premier article significatif, consacré à « La condition juridique de l'Alsace-Lorraine dans l'Empire allemand »[1], et ce n’est qu’en 1920 qu’il publie le premier volume de son maître ouvrage, la Contribution à la théorie générale de l’État. Suivent alors les années productives, qui voient la publication du deuxième tome de sa théorie générale de l’état (1922), ses principaux articles, La loi, expression de la volonté générale (1931) et enfin la Confrontation de la Théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation (1933).

Cette évolution de son centre d’intérêt professionnel vers le droit constitutionnel est inséparable de sa condition d’exilé alsacien dans la « France de l’intérieur ». Sa famille, strasbourgeoise, originaire de Metz, fait partie de cette petite minorité (environ 1/15e) d’Alsaciens et de Lorrains qui choisissent, après l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par le Reich allemand, conformément aux stipulations du Traité de Francfort, de conserver la nationalité française et, par conséquent, de quitter les pays annexés, pour venir s’établir à Paris notamment. Mais Raymond Carré de Malberg gardera sa fidélité à son Alsace natale, où sa famille conserve une propriété dans laquelle il se rend chaque année et où il rédige une grande partie de ses travaux. Dès la fin de la première guerre mondiale, il demande et obtient sa mutation à Strasbourg où, après un passage à Nancy, il termine sa carrière.

Le premier article de droit constitutionnel, nous l’avons dit, à la veille de la Grande guerre, est consacrée à l’évolution du statut juridique de l’Alsace-Lorraine dans le Reich allemand. Placée dans un premier temps sous la régie directe de l’Empire, la collectivité territoriale d’Alsace-Lorraine se voit progressivement reconnaître un statut d’autonomie législative qui aboutit à l’octroi de la Constitution 1911. L’Alsace-Lorraine est alors quasiment un État fédéré, avec système législatif autonome, deux chambres et de véritables ministères chargés de conduire sa politique propre. Mais cette organisation obéit naturellement au principe monarchique qui structure l’ensemble du Reich et subordonne l’entrée en vigueur de la loi à la sanction d’un monarque. Dans son article sur la condition juridique de l’Alsace et de la Moselle, occasion d’une discussion serrée des différentes théories du fédéralisme, Carré de Malberg essaye de démontrer que la liberté politique des Alsaciens et des Lorrains serait plus grande dans le cadre de la République française indivisible que dans le cadre d’une Fédération monarchique qui n’organise qu’une liberté apparente des différents peuples qui la composent. Le ton de son œuvre constitutionnelle est donné. Il consistera, pour une grande part, en une comparaison des institutions françaises et allemandes à la lumière de la Révolution française, du principe démocratique et du principe monarchique.

Souligner ainsi l’ancrage biographique de son intérêt pour le droit constitutionnel et rappeler qu’il commence par un fort attachement à la République française, que sa famille choisit en même temps que la nationalité française, et un assez vif ressentiment à l’endroit de l’Allemagne, ne doit pas nous conduire à conclure que l’œuvre serait pour autant toute entière commandée par son origine. Tout l’effort de l’auteur, au contraire, comme le traduisent les belles pages qui ouvrent la Contribution à la théorie générale de l’État, est d’essayer de s’abstraire du contexte politique qui le hante pour retrouver, sous l’émotion politique et le parti pris spontané, la rigueur du concept. Léon Duguit a été très injuste lorsqu’il a reproché à Carré de Malberg d’introduire en France, avec les concepts allemands du droit constitutionnel, une doctrine de l’autorité incompatible avec la République. Tout le travail de Carré de Malberg, au contraire, a été d’essayer de dépolitiser les concepts du droit pour assurer à la science du droit constitutionnel une certaine autonomie de raisonnement par rapport à la politique. Son moindre mérite n’est certainement pas d’avoir su dépouiller tout un ensemble de notions au service de l’idéologie de la guerre alors dominante dans le Reich, et qu’exprime bien un Treitschke lorsqu’il dit que la force fait le droit, pour montrer que si le droit ne se réduit pas à la force, il reste cependant toujours fondé sur une considération de puissance relative à l’identification du souverain. La dimension générale de sa théorie est précisément de montrer que ces considérations relatives à la puissance sont communes aux droits constitutionnels allemands, français, mais aussi suisse, américain et que le droit constitutionnel est d’abord le droit de la puissance étatique.

Mais d’un autre côté Carré de Malberg entend bien montrer que le droit constitutionnel moderne est fondé sur les principes issus de la Révolution française et, en particulier, le principe de la souveraineté nationale, tandis que le droit monarchique allemand antérieur à la Première guerre mondiale, fondé sur le principe monarchique, traduit une conception du droit dépassée révolue et, pour tout dire, réactionnaire. Carré de Malberg ne s’est pas contenté de décrire pour les comparer les droits constitutionnels français et allemand mais il a bien entendu confronté leurs mérites respectifs afin de faire ressortir la supériorité du droit constitutionnel français, le principe de l’État légal, la définition de la loi comme l’expression de la volonté générale, sur le droit constitutionnel monarchique allemand, l’État de droit monarchique et le principe de la sanction monarchique. C’est là un aspect de son œuvre qui contraste avec le positivisme dont il fait profession et que l’on prend trop souvent pour argent comptant en négligeant la manière dont l’auteur est lui-même concerné par son sujet et tente de formuler des principes méthodologiques contre ses propres préventions tout en continuant d’être habité par les principes révolutionnaires de 1789.

Par la suite, dans La loi expression de la volonté générale, Carré de Malberg s’efforcera de montrer que les trois lois constitutionnelles de 1875 – lois énigmatiques en ce qu’elles s’efforcent d’en dire le moins possible sur la nature du régime qu’elles instituent, dans le souci évident de pouvoir les adapter à la monarchie comme à la république – reposent en fait sur la définition révolutionnaire de la loi comme expression de la volonté générale. C’est, en particulier, en examinant le problème du fondement de la force obligatoire de la loi et en constatant que les lois votées par le Parlement ne sont accompagnées d’aucune formule de commandement, qu’il en déduit, de manière subtile mais efficace, que cette absence révèle que le peuple se commande à lui-même et que la loi est bien l’expression de son autonomie. Ce faisant, Carré de Malberg achève sur le plan juridique cette captation républicaine de l’héritage de la Révolution française que Alphonse Aulard avait commencé dès la fin des années 1880. Alors que l’héritage de la Révolution française a été revendiqué, tout au long du XIXe siècle, par les républicains comme par les partisans de la monarchie parlementaire ou de l’empire libéral, c’est finalement la République qui parvient à ancrer la tradition républicaine sur les principes issus de la Révolution française. L’interprétation républicaine du statut de la loi dans les lois constitutionnelles de 1875 lui permet alors de dégager le fondement de cette suprématie de la loi qui reste un principe fondamental jusque sous la Vème République.

Dans son ultime ouvrage, de 1933, la Confrontation de la Théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, Carré de Malberg s’efforce de discuter les thèses de Merkl et Kelsen opposant aux théories germaniques de la hiérarchie des normes considérées abstraitement, la hiérarchie des organes en fonction de leur proximité avec la source de toute légitimité, la volonté du peuple. Il dégage ainsi le principe même d’une conception de la formation du droit qui s’est imposée longtemps comme la représentation la plus rationnelle de la structure de l’État souverain.

Notes et références

  1. R.D.P., 1914, pp. 5-47

Bibliographie

  • Carré de Malberg, Raymond (1861-1935), Contribution à la théorie générale de l'État, spécialement d'après les données fournies par le droit constitutionnel français, Paris, 1920 & 1922, éd. Sirey, réimpression C.N.R.S., 1985, 2 volumes. ISBN 2-222-00579-5
Ces ouvrages (tome 1 et 2) sont également disponibles à cette adresse sur le site de la Bibliothèque Nationale de France via Gallica qui propose un accès à 70 000 ouvrages numérisés, à plus de 80 000 images et à plusieurs dizaines d'heures de ressources sonores. Cet ensemble constitue l'une des plus importantes bibliothèques numériques accessibles gratuitement sur l'Internet.
  • Carré de Malberg, Raymond (1861-1935), La Loi, expression de la volonté générale, Paris, 1931, éd. Sirey, réimpression Economica, 1984. ISBN 2-7178-0811-6
  • Carré de Malberg, Raymond (1861-1935), Confrontation de la Théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, Paris, 1933, Librairie du Recueil Sirey, 174 p.

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