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Juste prix des produits issus du commerce équitable (int)

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Par Bovy Matringe-Sok, Doctorante en droit de la concurrence
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Introduction

La question du juste prix a été posée depuis l’Antiquité dans les relations individuelles entre échangistes. Aristote parle de la « justice commutative », selon laquelle on ne cherche qu’à égaliser les deux parties du contrat. Pour réaliser cette égalité, plusieurs théories philosophiques ont été créées. Certains comme Platon parlent de prix raisonnable. D’autres, notamment Aristote et les docteurs du Moyen Âge, parlent de morale, entendue comme le contentement des parties qui se retrouvent enrichies après l’échange. Les économistes parlent de prix courant, qui résulte de la loi de l’offre et de la demande. En effet, « l’utilité finale » de la chose est un critère déterminant du juste prix.

Avec la culture d’industrialisation des produits alimentaires et artisanaux, l’identité culturelle de chaque nation risque de disparaître. Par le jeu de l’offre et de la demande, certains acteurs économiquement puissants manipulent le marché dans le but d’éliminer les petits producteurs et les artisans. Le prix d’achat aux producteurs a été artificiellement abaissé. Or le prix final de vente aux consommateurs reste très élevé.

Certains États comme la France, ont réagi contre cette pratique en votant des lois, notamment contre la pratique de la vente à perte, pour défendre le pouvoir d’achat de leurs citoyens et les droits des producteurs ou des artisans.

Pour défendre les intérêts des petits producteurs du Sud, le juste prix constitue une condition fondamentale du commerce équitable. En l’état actuel, le juste prix des produits issus du commerce équitable n’est traité que dans les relations entre producteur et intermédiaire. En plus, ne sont concernés que les petits producteurs défavorisés du Sud en raison de leur situation de précarité. Néanmoins, les consommateurs peuvent jouer un grand rôle de gardien du juste prix car l’achat implique un accord sur ce système commercial.

Objectif et méthodologie

Objectif: Cette recherche a pour objectif de :

  • montrer la compatibilité de certaines philosophies du juste prix avec la pratique du commerce équitable et d'
  • établir des critères de détermination, des méthodes de calcul et des moyens de contrôle du juste prix des produits issus du commerce équitable

Méthodologie: À travers des exemples, nous allons présenter des méthodes de calcul du juste prix utilisées par des organisations du commerce équitable : Alter Eco, Fédération Artisans du Monde, Max Havelaar et de l’AFNOR (Association française de normalisation)

I : Cause et critères objectifs de détermination du juste prix

1 : Inégalité comme cause de la recherche du juste prix

Dans la recherche du juste prix, le troc est la grande référence parce que l’égalité entre les échangistes doit être établie. Dans une petite communauté on échangeait des choses pour la vie quotidienne. Au fil du temps le troc s’est développé et répandu dans le monde entier, ce qui a rendu indispensable des intermédiaires entre échangistes. Certains intermédiaires ne sont pas seulement rémunérés de leurs travail mais profitent de la distance entre les producteurs et les consommateurs, notamment en achetant moins cher des produits en haute saison puis en les stockant pour revendre beaucoup plus cher à une baisse saison et provoquant une hausse artificielle du prix.

Ce faux jeu de l’offre et de la demande et le principe de rareté, selon les théories du marché de Karl MARX et David RICARDO, ne favorisent que certains acteurs monopolistes. Le risque, ou l’aléa du marché, selon Adam SMITH, devient une source de la création injuste ou inégale de richesse. Par conséquent, les intérêts tant des producteurs que des consommateurs sont lésés. Or en leur absence, l’opération économique ne saurait aucunement exister. En l’absence de morale, le commerce ne serait plus juste.

2 : Valeur du travail et coût de la vie familiale des producteurs comme critères objectifs

M. Vilfredo PARETO utilise le mot « ophélimité » en grec, M. Charles GIDE utilise le mot « désirabilité » et les économistes s'accordent pour utiliser le mot « utilité finale » ou « marginale » pour désigner l’utilité ou la force attractive que la chose, objet du contrat, exerce sur l’homme, tant sur celui qui veut l’acquérir que sur celui qui voudrait la garder[1].

Platon prend en compte le coût raisonnable de production pour déterminer le juste prix. Selon saint Thomas d’Aquin, docteur du Moyen Âge, la recherche d’égalité dans l’échange doit se référer à la valeur intrinsèque des choses réalisées par le travail et les efforts des producteurs. Cette théorie a été suivie par les économistes des années 60[2].

Selon l’article 23-4 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, c'est non seulement la valeur du travail des producteurs qui est pris en compte, mais aussi celle qui permet à leur famille de vivre convenablement dans la société, ou à leurs enfants d’accéder à l’éducation et de bénéficier du minimum de soins médicaux.

Pour la constitution d'un prix, les économistes prennent en compte trois éléments[3] : le travail, la terre et le capital. Or les socialistes ne prennent en compte qu’un seul élément, le travail, car ils n’admettent pas l’appropriation individuelle de la terre ni du capital. La deuxième proposition semble plus adaptée à la pratique du commerce équitable pour deux raisons :

  1. Dans la quasi-totalité des cas, les petits producteurs sont obligés de faire des crédits à des taux usuraires, compris entre 10% à 30% mensuels, et de louer le terrain très cher.
  2. Une prime de développement comprise dans le calcul de coût de production sera versée à la coopérative des producteurs qui va s'en servir dans l’intérêt collectif, notamment pour la construction d'infrastructures sociales (v. supra) et le préfinancement accordé aux producteurs en difficulté (v. supra).

Dans son livre, M. Tristan LECOMTE[4] a montré le calcul minutieux du juste prix dans le système de certification Max Havelaar. Proposé par le groupe de producteurs et avec son consentement, le prix d’achat aux producteurs prend en compte le coût de production, la prime de développement et le surcoût éventuel en cas d’effet négatif de la production sur l’environnement ainsi le préfinancement éventuel des commandes.

  • Le coût de production comprend le « temps de travail, des besoins mensuels essentiels d’une famille moyenne en terme de nutrition, de santé, d’éducation, …, afin de garantir ce que l’on appelle un revenu décent dans le pays considéré, ainsi que d'autre frais de production : les intrants, l’amortissement des outils de production, le transport, la certification (éventuelle) Agriculture biologique, la consommation d’énergie, ...[5] ».
  • La prime de développement sera versée à la coopérative de producteurs qui décidera de leur usage en fonction des besoins collectifs.
  • Le principe du pollueur-payeur, représenté par la prime pour le développement durable de l’environnement, entre clairement dans la détermination du prix des produits issus du commerce équitable ce qui est rarement le cas dans le commerce classique.

Une pratique similaire peut être trouvée dans le système de la fédération Artisans du Monde (ADM). Figurent dans le dossier de présentation, trois fondements principaux pour la détermination de juste prix : la charte internationale des droits de l’homme, l’économie solidaire et le développement durable.

L’accord AC X50-340 point 5.1.5, devenu le texte de référence de l’AFNOR, prévoit le « prix de référence » constituant le prix minimal. L'environnement, la santé, la sécurité et les autres aspects sociaux sont reconnus comme une base minimale d'exigence dans la détermination du juste prix.

De la justice commutative, le commerce équitable peut produire de la justice distributive, notamment lorsque la prime de développement peut servir au financement de l’école des membres du centre de production, à la construction de ponts, de routes ou de puits, à la mise en place d’un système de transport public qui profitera à tous les citoyens de la région.

La valeur du travail des producteurs est reconnue grâce à « la morale des consommateurs de les laisser vivre bien du fruit de leur travail ». Cette morale a été ignorée par certains grands monopolistes économiques. C'est elle dont les fondateurs du commerce équitable veulent de nouveau faire profiter les petits producteurs défavorisés du Sud et leur famille. Elle ne peut survivre qu’avec l’intervention d’autre peuple, les consommateurs du Nord et du Sud.

II : Citoyens au service du juste prix

1 : Morale comme critère subjectif

Dans son « Éthique à Nicomaque », Aristote montre que c’est le besoin qui est à l’origine des échange entre individus. Les échangistes ne doivent se retrouver ni perdants ni gagnants. « Le seul avantage qu’en tirent les échangistes, consiste dans la possession d’un objet mieux approprié, mieux conditionné, et par conséquent plus utile que si cet objet provenait de leur fabrication propre ».

La majoration du prix raisonnable a rendu le vendeur indigne. C’est un « péché » disait saint Thomas d’Aquin. Postérieurement, la majoration du prix est admise par les canonistes lorsque le marchand subit une certaine « privation », comme son effort pour garder les produits dans le magasin en attendant l’acheteur. Mais la majoration du prix par la vente à crédit ne serait jamais admise. Les canonistes ne reconnaissent pas la légitimité de l’intérêt qui est le prix du temps. « Le temps n’appartient qu’à Dieu »[6].

Pour aider les petits producteurs du Sud à échapper à « l’esclavagisme économique », conséquence de crédits à taux usuriers, certaines coopératives notamment Alter Eco s’engagent à préfinancer gratuitement la commande à hauteur de 30 % à 75 %. Mais d’autres accordent le préfinancement comme un prêt à un taux de 10 % annuel, raisonnable, selon eux, par rapport aux taux de 10 % à 30 % mensuels pratiqués par les usuriers locaux[7].

La majoration lors du préfinancement peux remettre en cause la notion de juste prix des produits issus du commerce équitable. On doit se rappeler que ce dernier est fondé afin de sauver les petits producteurs de la misère causée par le libéralisme économique. Or si un taux d’intérêt de 10 % annuel était raisonnable, les petits producteurs se retrouveraient de nouveau dans une misère, celle-là raisonnable.

Comme le précise M. Tristan LECOMTE[8], la question du paiement par préfinancement en est au stade de la discussion chez FLO (Fairtrade Labelling Organizations). Par conséquent, des règles de délais, de coût et de plafonnement du taux d’intérêt et des conditions seront prévues.

2 : Citoyens contrôleurs du juste prix

Plusieurs moyens de contrôler le juste prix sont possibles. Premièrement on peut recourir à la loi, comme le pensait Platon dans le livre XI des « Lois ». C’est aux législateurs de fixer la méthode de calcul du « profit raisonnable » dont peut bénéficier chaque partie à l’échange ou à la vente.

L’intervention tant du Gouvernement français que du Législateur français en matière de commerce équitable reste très minime. En effet, dans l’article 60 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, figure « le commerce équitable », qui n’a même pas été défini. Par un décret d’application du 15 mai 2007[9], est crée la « Commission nationale du commerce équitable (CNCE) » avec mission d’accorder une reconnaissance aux personnes veillant au respect des conditions du commerce équitable. Ce décret reprend en son article 6 des critères du commerce équitable, en particulier le prix minimum, en expose les conditions de la reconnaissance des personnes qui veillent sur la régularité du commerce équitable, mais n'a pas d'effet parce que la mention « reconnu par la CNCE » n’est pas une condition de commercialisation des produits issus du commerce équitable.

Deuxièmement, on pense aux organisations du commerce équitable qui sont nées d’une initiative humanitaire de citoyens pour défendre l’intérêt des citoyens. Les organisations du commerce équitable collaborent avec les producteurs dans le processus de détermination du prix d’achat, pour éviter toute erreur. Elles sont les seules qui connaissent les difficultés et les besoins des petits producteurs du Sud et de leurs familles, ainsi que la réalité du marché du Nord. En effet, chaque organisation du commerce équitable possède sa propre charte pour le commerce équitable déterminant le critère du juste prix.

Pour certains produits dépendant du marché boursier, le versement d'un prix minimum, supérieur à celui du marché classique, est garanti aux petits producteurs. Par conséquent, la théorie de l’offre et de la demande ne sert que de référence à la détermination du juste prix. Selon le système de Max Havelaar, 121 cents de dollar pour 454 g. de café exportable sont garantis tout au long de l’année même si le prix sur le marché boursier est inférieur[10].

Dans le cas contraire, le prix minimum garanti de Max Havelaar s’aligne sur le marché boursier, auquel on ajoute la prime de développement de 5 cents de dollars par 454 g. et 20 cents supplémentaires si le café est certifié « agriculture biologique ». Dans ce cas, la méthode de calcul du juste prix suscite des interrogations car la prime de 5 cents pourrait être considérée comme une deuxième prime pour le développement. Serait-il indispensable et juste pour les consommateurs du Nord et du Sud de payer une double prime pour le développement ? Le commerce équitable tend à vendre de manière plus juste et non plus cher.

Troisièmement, on pense à la presse et aux médias qui représentent le quatrième pouvoir après les trois pouvoirs traditionnels - législatif, exécutif et judiciaire, voire au 5e pouvoir pour des raisons d’indépendance selon Ignacio Ramonet. Ce pouvoir est régi par des journalistes en cas d’inaction, d’erreur ou d’inefficacité des trois autres pouvoirs. Le reportage diffusé dans le magazine « Envoyé spécial » de France 2 montre que le groupe Auchan, malgré sa charte d’éthique, a fait fabriquer des vêtements en utilisant le coton récolté par des enfants. Pendant le reportage, le directeur de l'import a prétendu que les contrôles étaient limités à la fabrication des vêtements. À la fin de ce reportage, une des présentatrices a annoncé, que le groupe Auchan s'est engagé à boycotter de ce type de coton.

Ce pouvoir de la presse et des médias est né pour la défense des et grâce aux citoyens consommateurs qui constituent un quatrième moyen de contrôle du juste prix. Les consommateurs sont maîtres du choix de leur consommation. Grâce à leurs voix, ils peuvent améliorer la pratique commerciale en la faisant devenir juste ou équitable.

Conclusion

À présent, dans la pratique du commerce équitable, la question du juste prix ne concerne que le prix d’achat aux petits producteurs défavorisés du Sud. À l’avenir, le prix de vente final aux consommateurs ne sera plus ignoré car ce ne sera plus juste si seuls les intérêts des producteurs sont pris en compte. Dans la vente, la morale est exigée tant des consommateurs que des producteurs. Autrement dit, pour acquérir une chose les consommateurs sont ravis de payer à un juste prix qui permet aux producteurs de vivre bien avec leurs familles. Et ces derniers sont contents de recevoir ce prix en se dépossédant leurs productions. Les citoyens – maîtres du choix de leur consommation - représentent une force importante pour veiller au respect du juste prix et celle-ci pallie à l’inaction des pouvoirs publics.

Notes et références

  1. Ch. GIDE, « Le juste prix », 1941, p. 37
  2. Henri GARNIER, « De l’idée du juste prix chez les théologiens et canonistes », Thèse Paris, 1900, p. 72
  3. Ch. GIDE, 1941, op.cit., p. 61
  4. Tristan LECOMTE « Le commerce sera équitable », Ayrolles 2007, p. 111 et s.
  5. Tr. LECOMTE, 2007, op. cit., p. 111 et s.
  6. Ch. GIDE, 1941, op. cit., p. 11 et s.
  7. Tr. LECOMTE, 2007, op. cit., p. 101 et s.
  8. op. cit., p. 101
  9. Décret n° 2007-986 du 15 mai 2007 pris pour l'application de l'article 60 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises et relatif à la reconnaissance des personnes veillant au respect des conditions du commerce équitable
  10. Tr. LECOMTE, 2007, op. cit., p. 158 et s.

Bibliographie

Voir aussi