Erreur de droit en droit pénal (fr) : Différence entre versions
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L'erreur de droit est une erreur qui porte sur l'existence ou l'interprétation d'une règle pénale. Lorsqu'un individu commet une [[Infraction (fr)|infraction]] en ignorant que c'est réprimé, son erreur de droit annule-t-elle le [[Dol général (fr)|dol général]] ? C'est une question délicate. D'une part, compte tenu de la définition du dol général, il faudrait répondre positivement, mais, d'autre part, l'adage « nul n'est censé ignorer la [[Loi (fr)|loi]] » doit logiquement exclure toute erreur de droit. À l'époque du gouvernement Rocard on a recensé les textes en vigueur : 7 000 lois et 70 000 décrets. Il est donc impossible de connaître la loi dans son ensemble. | L'erreur de droit est une erreur qui porte sur l'existence ou l'interprétation d'une règle pénale. Lorsqu'un individu commet une [[Infraction (fr)|infraction]] en ignorant que c'est réprimé, son erreur de droit annule-t-elle le [[Dol général (fr)|dol général]] ? C'est une question délicate. D'une part, compte tenu de la définition du dol général, il faudrait répondre positivement, mais, d'autre part, l'adage « nul n'est censé ignorer la [[Loi (fr)|loi]] » doit logiquement exclure toute erreur de droit. À l'époque du gouvernement Rocard on a recensé les textes en vigueur : 7 000 lois et 70 000 décrets. Il est donc impossible de connaître la loi dans son ensemble. | ||
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− | Pendant longtemps, la jurisprudence a eu à résoudre ce dilemme. Elle | + | Pendant longtemps, la [[jurisprudence (fr)|jurisprudence]] a eu à résoudre ce dilemme. Elle est passée par trois phases. |
La première a duré jusqu'à 1950. Pendant cette période, la [[Chambre criminelle de la cour de cassation (fr)|Chambre criminelle]] a systématiquement fait prévaloir l'adage « nul n'est censé ignorer la [[Loi (fr)|loi]] ». Certaines juridiction d'appel étaient favorables à l'erreur de droit. Dans un arrêt de la [[Cour d'appel (fr)|Cour d'appel]] de Paris 2 décembre 1924 : un individu avait découvert un trésor et se l'était approprié. Il était poursuivi pour [[Vol (fr)|vol]] parce qu'il n'avait pas remis la moitié du trésor au propriétaire du terrain. Pour sa défense, il invoquait son ignorance de l'art. [[CCfr:716|716]] du [[Code civil (fr)|Code civil]]. Il a été condamné. | La première a duré jusqu'à 1950. Pendant cette période, la [[Chambre criminelle de la cour de cassation (fr)|Chambre criminelle]] a systématiquement fait prévaloir l'adage « nul n'est censé ignorer la [[Loi (fr)|loi]] ». Certaines juridiction d'appel étaient favorables à l'erreur de droit. Dans un arrêt de la [[Cour d'appel (fr)|Cour d'appel]] de Paris 2 décembre 1924 : un individu avait découvert un trésor et se l'était approprié. Il était poursuivi pour [[Vol (fr)|vol]] parce qu'il n'avait pas remis la moitié du trésor au propriétaire du terrain. Pour sa défense, il invoquait son ignorance de l'art. [[CCfr:716|716]] du [[Code civil (fr)|Code civil]]. Il a été condamné. | ||
− | La deuxième phase va de 1950 à 1964. Pendant cette phase, la [[Cour de cassation (fr)|Cour de cassation]] a admis une erreur de droit lorsqu'elle était invincible, c'est-à-dire lorsque, avant d'accomplir l'acte, un individu s'est renseigné auprès d'une [[Autorité administrative (fr)|autorité administrative]] qui lui a donné carte blanche. Si une erreur de droit est invincible, elle supprime le dol général et donc l'élément intentionnel. Dans un arrêt de la [http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=CASS&nod=CXRXAX1958X10X06X00615X000 | + | La deuxième phase va de 1950 à 1964. Pendant cette phase, la [[Cour de cassation (fr)|Cour de cassation]] a admis une erreur de droit lorsqu'elle était invincible, c'est-à-dire lorsque, avant d'accomplir l'acte, un individu s'est renseigné auprès d'une [[Autorité administrative (fr)|autorité administrative]] qui lui a donné carte blanche. Si une erreur de droit est invincible, elle supprime le dol général et donc l'élément intentionnel. Dans un arrêt de la chambre criminelle<ref>[http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=CASS&nod=CXRXAX1958X10X06X00615X000 Crim. 10 octobre 1958] : Bull. crim. n° 615</ref>, un employeur était poursuivi pour n'avoir pas convoqué un [[Délégué syndical (fr)|délégué syndical]] au [[Conseil d'entreprise (fr)|conseil d'entreprise]]. L'employeur avait préalablement consulté le ministère du travail. La [[Cour de cassation (fr)|Cour de cassation]] ne l'a pas sanctionné au motif qu'il a pu croire en toute bonne foi que la non-convocation était légitime et par conséquent qu'il n'avait « pas eu conscience d'accomplir un acte fautif ». En revanche, durant cette phase, les erreurs de droit non-invincibles étaient toujours écartées. |
− | La troisième phase débute en 1964. La [[Cour de cassation (fr)|Cour de cassation]] revient à sa position initiale : nul n'est censé ignorer la [[Loi (fr)|loi]]. Une erreur de droit, même invincible, n'annule pas le dol général | + | La troisième phase débute en 1964. La [[Cour de cassation (fr)|Cour de cassation]] revient à sa position initiale : nul n'est censé ignorer la [[Loi (fr)|loi]]. Une erreur de droit, même invincible, n'annule pas le dol général<ref>[http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=CASS&nod=CXRXAX1964X02X06X00071X000 Ch. crim. 26 février 1964] : Bull. crim. n° 71</ref>. Un agriculteur a construit une serre sans permis de construire, alors que, préalablement, il s'était renseigné auprès de la [[Mairie (fr)|mairie]]. |
− | Le (nouveau) [[Code pénal (fr)|Code pénal]] a réglé la question de l'erreur de droit par l'art. [[CPfr:122-3|122-3]]: « N'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ». Cela revient à admettre l'erreur de droit invincible. | + | Le (nouveau) [[Code pénal (fr)|Code pénal]] a réglé la question de l'erreur de droit par l'art. [[CPfr:122-3|122-3]] : |
+ | :« N'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ». | ||
+ | Cela revient à admettre l'erreur de droit invincible. | ||
− | Depuis la mise en vigueur du (nouveau) Code pénal, l'erreur de droit n'a été qu'exceptionnellement admise par les tribunaux | + | Depuis la mise en vigueur du (nouveau) Code pénal, l'erreur de droit n'a été qu'exceptionnellement admise par les tribunaux<ref>[[Cour d'appel (fr)|Cour d'appel]] de Douai 26 septembre 1996</ref>. La [[Chambre criminelle de la cour de cassation (fr)|chambre criminelle]] a souvent refusé de reconnaître l'erreur de droit, mais il ne s'agissait jamais d'espèces où il y avait une véritable erreur de droit. Par exemple, dans un arrêt du 5 mars 1997<ref>[http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=CASS&nod=CXRXAX1997X03X06X00084X000 C. cass. 5 mars 1997] : Bull. crim. n° 84</ref>, la Cour de cassation refusait une erreur de droit portant sur un article du Code du travail parce que la personne poursuivie n'avait pas consulté l'inspection du travail. ''A contrario'', cela semble signifier que la Cour de cassation aurait sans doute admis l'erreur de droit si elle avait été invincible. |
+ | De manière générale, lorsque la question de la licéité est clairement posée à l'auteur des faits, une situation floue ne saurait lui profiter. Si l'auteur de l'infraction se renseigne préalablement, l'erreur de droit est admise si elle est causée par la réponse claire — mais fause – de l'autorité compétente : | ||
+ | *N'est ni illégitime, ni inévitable l'erreur résultant de la consultation d'autorités administratives sur la légalité d'une construction sans permis de construire ou d'une occupation des sols, et ayant donné lieu à des réponses floues de services incompétents<ref>[http://legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007074818 Crim. 12 septembre 2006, n° 05-83235] : Bull. crim. 2006, n° 218 p. 766</ref>. | ||
+ | *Ne saurait constituer une erreur sur le droit, un simple avis donné par un professionnel du droit, en l'occurrence le représentant des créanciers d'une pension alimentaire<ref>[http://legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007069511 Crim. 7 janvier 2004, n° 03-82337] : Bull. crim. 2004, n° 5 p. 19</ref> | ||
+ | *N'est pas inévitable l'erreur consistant en une modification d'un message sanitaire, alors qu'elle est autorisée par le droit communautaire, pratiquée dans d'autres pays européens, autorisée selon la SEITA, mais que son illicéité n'était pas certaine au moment des faits <ref>[http://legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007068883 Crim. 13 mai 2003, n° 02-84028] : Bull. crim. 2003, n° 96 p. 366)</ref>. | ||
+ | *Est inévitable l'infraction de conduite sans permis du prévenu dont le permis de conduire français a été annulé, mais qui a reçu d'un [[agent de police judiciaire (fr)|agent de police judiciaire]] agissant conformément aux instructions d'un vice-procureur de la République, une attestation erronée, selon laquelle la situation du prévenu était parfaitement régulière, a commis une erreur légitime et inévitable<ref>[http://legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007069882 Crim. 11 mai 2006, n° 05-87099] : Bull. crim. 2006, n° 128 p. 474</ref> ; | ||
+ | *N'est pas une erreur invincible le vol par un salarié de documents appartenant à l'entreprise durant le temps de les reproduire afin de préparer sa défense en justice<ref>[http://legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007065989 Crim. 11 mai 2004, n° 03-80254] : Bull. crim. 2004, n° 113 p. 437</ref>. | ||
− | [[Plan droit pénal général (fr)]] | + | Une autre décision rejette l'erreur invincible lorsque les services douaniers ont laisser parvenir à son destinataire un colis contenant des photographies et films pédopornographiques mais ne constituant pas une infraction à la réglementation douanière<ref>[http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=CASS&nod=CXRXAX1999X06X06X00133X000 Crim. 9 juin 1999] : n° 133</ref>. Dans une décision non publiée au bulletin de la chambre criminelle, la Cour de cassation admet pourtant l'erreur de droit<ref>[http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=INCA&nod=IXRXCX1998X11X06X00853X078 Crim. 24 novembre 1998 n° 97-85378]</ref>. |
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Élément moral des infractions intentionnelles > Dol général
L'erreur de droit est une erreur qui porte sur l'existence ou l'interprétation d'une règle pénale. Lorsqu'un individu commet une infraction en ignorant que c'est réprimé, son erreur de droit annule-t-elle le dol général ? C'est une question délicate. D'une part, compte tenu de la définition du dol général, il faudrait répondre positivement, mais, d'autre part, l'adage « nul n'est censé ignorer la loi » doit logiquement exclure toute erreur de droit. À l'époque du gouvernement Rocard on a recensé les textes en vigueur : 7 000 lois et 70 000 décrets. Il est donc impossible de connaître la loi dans son ensemble.
Dans un cas particulier, un décret-loi du 5 novembre 1870, abrogé en 2004, admettait une exception d'ignorance facultative au bénéfice des auteurs d'une contravention commise pendant les trois jours francs suivant la publication du texte la définissant[1].
Pendant longtemps, la jurisprudence a eu à résoudre ce dilemme. Elle est passée par trois phases.
La première a duré jusqu'à 1950. Pendant cette période, la Chambre criminelle a systématiquement fait prévaloir l'adage « nul n'est censé ignorer la loi ». Certaines juridiction d'appel étaient favorables à l'erreur de droit. Dans un arrêt de la Cour d'appel de Paris 2 décembre 1924 : un individu avait découvert un trésor et se l'était approprié. Il était poursuivi pour vol parce qu'il n'avait pas remis la moitié du trésor au propriétaire du terrain. Pour sa défense, il invoquait son ignorance de l'art. 716 du Code civil. Il a été condamné.
La deuxième phase va de 1950 à 1964. Pendant cette phase, la Cour de cassation a admis une erreur de droit lorsqu'elle était invincible, c'est-à-dire lorsque, avant d'accomplir l'acte, un individu s'est renseigné auprès d'une autorité administrative qui lui a donné carte blanche. Si une erreur de droit est invincible, elle supprime le dol général et donc l'élément intentionnel. Dans un arrêt de la chambre criminelle[2], un employeur était poursuivi pour n'avoir pas convoqué un délégué syndical au conseil d'entreprise. L'employeur avait préalablement consulté le ministère du travail. La Cour de cassation ne l'a pas sanctionné au motif qu'il a pu croire en toute bonne foi que la non-convocation était légitime et par conséquent qu'il n'avait « pas eu conscience d'accomplir un acte fautif ». En revanche, durant cette phase, les erreurs de droit non-invincibles étaient toujours écartées.
La troisième phase débute en 1964. La Cour de cassation revient à sa position initiale : nul n'est censé ignorer la loi. Une erreur de droit, même invincible, n'annule pas le dol général[3]. Un agriculteur a construit une serre sans permis de construire, alors que, préalablement, il s'était renseigné auprès de la mairie.
Le (nouveau) Code pénal a réglé la question de l'erreur de droit par l'art. 122-3 :
- « N'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ».
Cela revient à admettre l'erreur de droit invincible.
Depuis la mise en vigueur du (nouveau) Code pénal, l'erreur de droit n'a été qu'exceptionnellement admise par les tribunaux[4]. La chambre criminelle a souvent refusé de reconnaître l'erreur de droit, mais il ne s'agissait jamais d'espèces où il y avait une véritable erreur de droit. Par exemple, dans un arrêt du 5 mars 1997[5], la Cour de cassation refusait une erreur de droit portant sur un article du Code du travail parce que la personne poursuivie n'avait pas consulté l'inspection du travail. A contrario, cela semble signifier que la Cour de cassation aurait sans doute admis l'erreur de droit si elle avait été invincible.
De manière générale, lorsque la question de la licéité est clairement posée à l'auteur des faits, une situation floue ne saurait lui profiter. Si l'auteur de l'infraction se renseigne préalablement, l'erreur de droit est admise si elle est causée par la réponse claire — mais fause – de l'autorité compétente :
- N'est ni illégitime, ni inévitable l'erreur résultant de la consultation d'autorités administratives sur la légalité d'une construction sans permis de construire ou d'une occupation des sols, et ayant donné lieu à des réponses floues de services incompétents[6].
- Ne saurait constituer une erreur sur le droit, un simple avis donné par un professionnel du droit, en l'occurrence le représentant des créanciers d'une pension alimentaire[7]
- N'est pas inévitable l'erreur consistant en une modification d'un message sanitaire, alors qu'elle est autorisée par le droit communautaire, pratiquée dans d'autres pays européens, autorisée selon la SEITA, mais que son illicéité n'était pas certaine au moment des faits [8].
- Est inévitable l'infraction de conduite sans permis du prévenu dont le permis de conduire français a été annulé, mais qui a reçu d'un agent de police judiciaire agissant conformément aux instructions d'un vice-procureur de la République, une attestation erronée, selon laquelle la situation du prévenu était parfaitement régulière, a commis une erreur légitime et inévitable[9] ;
- N'est pas une erreur invincible le vol par un salarié de documents appartenant à l'entreprise durant le temps de les reproduire afin de préparer sa défense en justice[10].
Une autre décision rejette l'erreur invincible lorsque les services douaniers ont laisser parvenir à son destinataire un colis contenant des photographies et films pédopornographiques mais ne constituant pas une infraction à la réglementation douanière[11]. Dans une décision non publiée au bulletin de la chambre criminelle, la Cour de cassation admet pourtant l'erreur de droit[12].
Notes et références
- ↑ Décret du 5 novembre 1870 relatif à la promulgation des lois et décrets : JORF du 6 novembre 1870, p. 1685 ; Bulletin des lois, 2e semestre 1870, n° 29, p. 167, n° 169
- ↑ Crim. 10 octobre 1958 : Bull. crim. n° 615
- ↑ Ch. crim. 26 février 1964 : Bull. crim. n° 71
- ↑ Cour d'appel de Douai 26 septembre 1996
- ↑ C. cass. 5 mars 1997 : Bull. crim. n° 84
- ↑ Crim. 12 septembre 2006, n° 05-83235 : Bull. crim. 2006, n° 218 p. 766
- ↑ Crim. 7 janvier 2004, n° 03-82337 : Bull. crim. 2004, n° 5 p. 19
- ↑ Crim. 13 mai 2003, n° 02-84028 : Bull. crim. 2003, n° 96 p. 366)
- ↑ Crim. 11 mai 2006, n° 05-87099 : Bull. crim. 2006, n° 128 p. 474
- ↑ Crim. 11 mai 2004, n° 03-80254 : Bull. crim. 2004, n° 113 p. 437
- ↑ Crim. 9 juin 1999 : n° 133
- ↑ Crim. 24 novembre 1998 n° 97-85378
Voir aussi
- Trouver la notion "Erreur de droit" "droit pénal" dans l'internet juridique français
- Plan droit pénal général (fr)