Régime administratif (fr) : Différence entre versions
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==L'administration non-soumise au droit== | ==L'administration non-soumise au droit== | ||
− | On peut en effet parfaitement concevoir une administration qui ne serait pas soumise au droit. Cette solution s'est rencontrée dans l'histoire et il semble même qu'elle corresponde assez bien à la nature même de l'action étatique. Nous avons vu que l'administration est une forme d'expression du pouvoir, qu'elle se traduit essentiellement par des actes d'autorité. Or de tels actes sont difficiles à soumettre aux règles juridiques. De même, on a relevé le caractère concret et technique de l'activité administrative. De telles opérations sont-elles aussi éloignées de la règle de droit, qui est par nature abstraite et générale? On pourrait dire que la non-soumission de l'administration au droit est une technique assez naturelle. Un État dans lequel l'administration n'est pas soumise au droit est appelé "État de police"; c'est un État dans lequel l'administration peut, d'une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins totale, appliquer au citoyen toutes les mesures qu'elle juge utile de prendre en vue de faire face aux circonstance, en vue d'atteindre à tout moment les buts qu'elle se propose. On doit noter d'ailleurs qu'il reste encore dans le droit positif actuel des traces de cette conception. | + | On peut en effet parfaitement concevoir une [[Administration (fr)|administration]] qui ne serait pas soumise au [[Droit (fr)|droit]]. Cette solution s'est rencontrée dans l'histoire et il semble même qu'elle corresponde assez bien à la nature même de l'action étatique. Nous avons vu que l'[[Administration (fr)|administration]] est une forme d'expression du pouvoir, qu'elle se traduit essentiellement par des actes d'autorité. Or de tels actes sont difficiles à soumettre aux règles juridiques. De même, on a relevé le caractère concret et technique de l'activité administrative. De telles opérations sont-elles aussi éloignées de la règle de droit, qui est par nature abstraite et générale ? On pourrait dire que la non-soumission de l'administration au droit est une technique assez naturelle. Un [[État (fr)|État]] dans lequel l'administration n'est pas soumise au droit est appelé "État de police"; c'est un État dans lequel l'administration peut, d'une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins totale, appliquer au citoyen toutes les mesures qu'elle juge utile de prendre en vue de faire face aux circonstance, en vue d'atteindre à tout moment les buts qu'elle se propose. On doit noter d'ailleurs qu'il reste encore dans le droit positif actuel des traces de cette conception. |
− | On estime toujours en France qu'une certaine partie de l'action administrative ne doit pas être soumise au droit, pour des raisons à la fois politiques ou pour des raisons techniques. On dit alors que l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire, c'est-à-dire qu'elle reste libre dans son action. Le droit positif tend à limiter progressivement le domaine du pouvoir discrétionnaire. | + | On estime toujours en France qu'une certaine partie de l'action administrative ne doit pas être soumise au droit, pour des raisons à la fois politiques ou pour des raisons techniques. On dit alors que l'administration dispose d'un [[Pouvoir discrétionnaire (fr)|pouvoir discrétionnaire]], c'est-à-dire qu'elle reste libre dans son action. Le [[Droit positif (fr)|droit positif]] tend à limiter progressivement le domaine du pouvoir discrétionnaire. |
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===Une première forme de la soumission de l'administration au droit apparaît lorsqu'il y a soumission de l'administration à une règle=== | ===Une première forme de la soumission de l'administration au droit apparaît lorsqu'il y a soumission de l'administration à une règle=== | ||
− | Dans la pratique, on doit constater que l'action administrative ne saurait être menée dans le désordre. Sans aller jusqu'à admettre une soumission totale de l'administration au droit, on sera au minimum conduit à admettre une soumission de celle-ci au moins à une réglementation intérieure. C'est ainsi qu'une règle apparaît essentielle dans la vie administrative: celle selon laquelle les agents subalternes doivent obéir aux ordres donnés par les supérieurs hiérarchiques. Cette règle lie les agents mais elle n'atteint pas les administrés; elle ne demeure qu'une règle intérieure. Cette soumission de l'administration à une règle intérieure est déjà un premier aspect de la soumission de l'administration au droit. On le retrouve toujours avec les circulaires, les directives, les tableaux de service et les mesures d'ordre intérieur. | + | Dans la pratique, on doit constater que l'action administrative ne saurait être menée dans le désordre. Sans aller jusqu'à admettre une soumission totale de l'administration au droit, on sera au minimum conduit à admettre une soumission de celle-ci au moins à une réglementation intérieure. C'est ainsi qu'une règle apparaît essentielle dans la vie administrative : celle selon laquelle les [[Agent (fr)|agents]] subalternes doivent obéir aux ordres donnés par les supérieurs hiérarchiques. Cette règle lie les agents mais elle n'atteint pas les [[Administré (fr)|administrés]]nbsp;; elle ne demeure qu'une règle intérieure. Cette soumission de l'administration à une règle intérieure est déjà un premier aspect de la soumission de l'administration au droit. On le retrouve toujours avec les [[Circulaire (fr)|circulaires]], les [[Directive (fr)|directives]], les tableaux de service et les [[Mesure d'ordre intérieur (fr)|mesures d'ordre intérieur]]. |
===Un progrès considérable est réalisé lorsque l'activité administrative est soumise toute entière à des règles de droit=== | ===Un progrès considérable est réalisé lorsque l'activité administrative est soumise toute entière à des règles de droit=== | ||
− | On conçoit cependant que l'avènement de l'État de droit ait été un phénomène long, mais relativement récent. Il a supposé une transformation complète dans la conception du pouvoir. Il a fallu admettre que l'homme devenait la finalité du pouvoir et que l'action administrative ne pouvait s'exercer que dans certaines limites et selon certains principes juridiques. Les pouvoirs exercés par l'administration dans l'État de droit sont toujours des pouvoirs spéciaux justifiés par l'intérêt public mais ils reposent désormais sur un fondement juridique; ils sont devenus des compétences. On peut remarquer d'ailleurs que la conception qui a prévalu en France en ce qui concerne les rapports entre administration et | + | On conçoit cependant que l'avènement de l'État de droit ait été un phénomène long, mais relativement récent. Il a supposé une transformation complète dans la conception du pouvoir. Il a fallu admettre que l'homme devenait la finalité du pouvoir et que l'action administrative ne pouvait s'exercer que dans certaines limites et selon certains principes juridiques. Les pouvoirs exercés par l'administration dans l'État de droit sont toujours des pouvoirs spéciaux justifiés par l'[[Intérêt public (fr)|intérêt public]] mais ils reposent désormais sur un fondement juridique; ils sont devenus des compétences. On peut remarquer d'ailleurs que la conception qui a prévalu en France en ce qui concerne les rapports entre administration et [[Pouvoir législatif (fr)|pouvoir législatif]] (entre [[Pouvoir exécutif (fr)|exécutif]] et législatif), a beaucoup facilité l'avènement de l'[[État de droit (fr)|État de droit]]. En affirmant que l'action administrative devait s'accomplir en exécutant des [[Loi (fr)|lois]], sous l'empire de la loi, on reconnaissait forcément que l'administration était soumise à la loi, et donc au droit. L'avènement de l'État légal, c'est-à-dire de l'État dans lequel l'activité administrative s'accomplit en respect de la loi, a préparé l'État de droit. Mais si dans l'État moderne il est admis que l'administration doit relever du droit, il faut déterminer quel sera le droit applicable à l'administration. |
=Les modalités du régime administratif= | =Les modalités du régime administratif= | ||
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==La soumission de l'administration au droit commun== | ==La soumission de l'administration au droit commun== | ||
− | L'exemple classique de soumission de l'administration au droit qui régit les simples particuliers est les pays anglo-saxons. Ces pays sont en principe dépourvus de droit administratif. Le principe est celui de l'unité du droit et de l'unité du juge. | + | L'exemple classique de soumission de l'administration au droit qui régit les simples particuliers est les pays anglo-saxons. Ces pays sont en principe dépourvus de droit administratif. Le principe est celui de l'unité du droit et de l'unité du juge. Le [[Common law|''Common Law'']] régit à la fois les rapports entre les particuliers entre eux et les rapports des particuliers avec l'administration. Mais même dans ces pays, le régime administratif est en train d'évoluer. La négation d'un droit administratif spécial tenait essentiellement au libéralisme politique : caractère limité de la fonction administrative et de la couronne, et grand rôle des collectivités locales. Or ces structures se modifient. Des textes de plus en plus nombreux affirment de véritables pouvoirs administratifs et le législateur]] y a même institué la responsabilité de l'administration et la responsabilité des juges en vue de trancher les conflits administratifs. On assiste à l'émergence d'un droit administratif dans les pays anglo-saxons. Il reste quand même que, pour l'heure, l'administration reste soumise au droit privé. |
==La soumission de l'administration à un droit spécial== | ==La soumission de l'administration à un droit spécial== | ||
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===Le régime juridique français=== | ===Le régime juridique français=== | ||
− | 1- La France est considérée comme étant le pays présentant le système juridique le plus évolué, du moins selon les Français. Les fonctions administratives y sont très centralisées et sont confiées à un pouvoir unique: le pouvoir exécutif. Les agents administratifs ne sont pas placés sous le contrôle du juge judiciaire mais sous le contrôle hiérarchique. Les autorités administratives peuvent prendre des décisions exécutoires, c'est-à-dire qui peuvent être exécutées sans qu'il n'y ait de recours préalable | + | 1- La France est considérée comme étant le pays présentant le système juridique le plus évolué, du moins selon les Français. Les fonctions administratives y sont très centralisées et sont confiées à un pouvoir unique : le pouvoir exécutif. Les agents administratifs ne sont pas placés sous le contrôle du [[Juge judiciaire (fr)|juge judiciaire]] mais sous le contrôle hiérarchique. Les autorités administratives peuvent prendre des [[Décision exécutoire (fr)|décisions exécutoires]], c'est-à-dire qui peuvent être exécutées sans qu'il n'y ait de recours préalable en justice. Les [[Fonctionnaire (fr)|fonctionnaires]] dont la [[Responsabilité (fr)|responsabilité]] est en cause font, dans une certaine mesure, l'objet d'une protection de l'administration. La France possède une juridiction administrative qui connaît des litiges administratifs et qui les résout en appliquant un droit spécifique. On oppose parfois l'administration exécutive française à l'administration judiciaire anglo-saxonne. |
2- Les raisons qui expliquent ce développement du régime administratif en France sont en grande partie des raisons historiques et politiques. | 2- Les raisons qui expliquent ce développement du régime administratif en France sont en grande partie des raisons historiques et politiques. | ||
− | Le régime administratif français est lié au mouvement centralisateur qui s'est affirmé durant les deux derniers siècles et que la Révolution et l'Empire ont encore accentué (Tocqueville L'Ancien régime et la République). La Révolution a voulu rattacher ce phénomène à une certaine conception politique de la séparation des pouvoirs. Elle a affirmé que l'action de l'administration devait échapper au contrôle des juges judiciaires. Elle a spécifié que le juge judiciaire ne devait en aucun cas troubler l'activité administrative et connaître des actes de l'administration. Mais il fallait tout de même rattacher l'activité administrative à certaines règles juridiques. Or il se trouva qu'un organisme, le Conseil d'État, institué en l'an VIII et conçu comme un conseiller du chef de l'État pour statuer sur les litiges administratifs, prit une importance croissante et devint progressivement un véritable juge administratif qui élabora un ensemble de principes juridiques autonomes, propres à résoudre les procès intéressant l'administration. | + | Le régime administratif français est lié au mouvement centralisateur qui s'est affirmé durant les deux derniers siècles et que la Révolution et l'Empire ont encore accentué (Tocqueville L'Ancien régime et la République). La Révolution a voulu rattacher ce phénomène à une certaine conception politique de la [[Séparation des pouvoirs (fr)|séparation des pouvoirs]]. Elle a affirmé que l'action de l'administration devait échapper au contrôle des juges judiciaires. Elle a spécifié que le juge judiciaire ne devait en aucun cas troubler l'activité administrative et connaître des actes de l'administration. Mais il fallait tout de même rattacher l'activité administrative à certaines règles juridiques. Or il se trouva qu'un organisme, le [[Conseil d'État (fr)|Conseil d'État]], institué en l'an VIII et conçu comme un conseiller du chef de l'État pour statuer sur les litiges administratifs, prit une importance croissante et devint progressivement un véritable [[[Juge administratif (fr)|juge administratif]] qui élabora un ensemble de principes juridiques autonomes, propres à résoudre les procès intéressant l'administration. |
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+ | De plus, le législateur et la [[Doctrine (fr)|doctrine]] eurent leur part aussi en développant la législation dans certains domaines, comme en matière de travaux publics ou de contrats. La doctrine participa en élaborant les premières théories. Autrement dit, le droit administratif est né en France de l'œuvre du Conseil d'État, du législateur et de la doctrine. « Il est né du choeur à trois voix du juge, du législateur et de la doctrine ». | ||
3- Quelle que soit l'importance des considérations historiques, on peut penser que la solution qui a prévalu en France est aussi rationnelle. Il fallait soumettre l'administration à une règle juridique, mais surtout une règle adaptée à la vie juridique. On devait soumettre une administration autoritaire, caractérisée par l'idée de puissance publique. Le droit susceptible de régir l'activité administrative devait être forcément un droit spécial, c'est-à-dire un droit sachant respecter l'idée de puissance publique d'une part, mais sachant aussi orienter, canaliser cette puissance publique dans le sens de l'intérêt général en sauvegardant cependant les intérêts des particuliers. | 3- Quelle que soit l'importance des considérations historiques, on peut penser que la solution qui a prévalu en France est aussi rationnelle. Il fallait soumettre l'administration à une règle juridique, mais surtout une règle adaptée à la vie juridique. On devait soumettre une administration autoritaire, caractérisée par l'idée de puissance publique. Le droit susceptible de régir l'activité administrative devait être forcément un droit spécial, c'est-à-dire un droit sachant respecter l'idée de puissance publique d'une part, mais sachant aussi orienter, canaliser cette puissance publique dans le sens de l'intérêt général en sauvegardant cependant les intérêts des particuliers. | ||
− | Au fond, il apparaît que le rapport qu'il y a entre l'administration et l'administré n'est pas comparable aux rapports qu'il peut exister entre les particuliers entre eux. Le rapport de droit public est un rapport caractérisé par l'inégalité et l'intérêt général. Il convient, pour réglementer l'activité administrative, de la soumettre à un droit autonome, différent du droit privé. | + | Au fond, il apparaît que le rapport qu'il y a entre l'administration et l'administré n'est pas comparable aux rapports qu'il peut exister entre les particuliers entre eux. Le rapport de droit public est un rapport caractérisé par l'inégalité et l'intérêt général. Il convient, pour réglementer l'activité administrative, de la soumettre à un droit autonome, différent du [[Droit privé (fr)|droit privé]]. |
− | Quoi qu'il en soit, cette idée d'un droit autonome qui doit concilier les droits de l'État et les droits des particuliers a été solennellement affirmée par le juge. Le Tribunal des conflits, dans le célèbre arrêt Blanco, affirme que: | + | Quoi qu'il en soit, cette idée d'un droit autonome qui doit concilier les droits de l'État et les droits des particuliers a été solennellement affirmée par le juge. Le [[Tribunal des conflits (fr)|Tribunal des conflits]], dans le célèbre arrêt ''Blanco'', affirme que : « La responsabilité qui peut incomber à l'État ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le [[Code civil (fr)|Code civil]] pour les rapports de particulier à particulier ; cette responsabilité a ses règles qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'État avec les droits privés » ([http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=JADE&nod=JCX8X1873X02X0000000012 Tribunal des conflits 8 février 1873]). Cet arrêt est considéré comme l'arrêt fondateur du droit administratif. |
+ | 4- Il convient cependant de ne pas exagérer cette autonomie. Nous avons déjà vu que si l'activité administrative en France relève bien d'un droit spécial et dérogatoire au droit commun, il n'en est ainsi que pour une partie de cette activité. L'administration actuelle présente un double visage : elle se présente d'une part comme une administration de gestion publique qui relève du droit administratif spécial et, d'autre part, comme une administration de gestion privée qui relève du droit commun. | ||
− | + | ===Les régimes administratifs étrangers=== | |
+ | Il apparaît d'abord qu'il s'est constitué sur le modèle français un type de régime administratif commun à divers pays européens continentaux. On y retrouve à peu près les thèmes fondamentaux évoqués: soumission de l'administration au droit, administration de puissance publique, reconnaissance du caractère spécifique du droit administratif. C'est le cas de l'[[Allemagne|Allemagne]], de l'[[Italie]], de l'[[Espagne]], de la [[Grèce]], de la [[Belgique]]... En dehors de l'Europe, les techniques du régime administratif ont souvent été acceptées par les pays marqués par l'influence française. Presque toute l'Afrique noire et l'Afrique blanche ont adopté ce système. L'ex-bloc soviétique reste en dehors du mouvement. | ||
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− | + | *[http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnDocument?base=JADE&nod=JCX8X1873X02X0000000012 Tribunal des conflits 8 février 1873] |
Version du 19 avril 2006 à 06:27
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France > Droit administratif > Administration
Après avoir défini la fonction administrative, il convient de s'interroger sur les rapports qui peuvent exister entre l'administration et le droit. Nous verrons apparaître la notion de régime administratif, dont il conviendra de présenter les différents aspects.
Sommaire
Les rapports entre l'administration et le droit
Ces rapports peuvent être envisagés à la fois sur le plan historique et sur le plan logique, et ce, de deux manières.
L'administration non-soumise au droit
On peut en effet parfaitement concevoir une administration qui ne serait pas soumise au droit. Cette solution s'est rencontrée dans l'histoire et il semble même qu'elle corresponde assez bien à la nature même de l'action étatique. Nous avons vu que l'administration est une forme d'expression du pouvoir, qu'elle se traduit essentiellement par des actes d'autorité. Or de tels actes sont difficiles à soumettre aux règles juridiques. De même, on a relevé le caractère concret et technique de l'activité administrative. De telles opérations sont-elles aussi éloignées de la règle de droit, qui est par nature abstraite et générale ? On pourrait dire que la non-soumission de l'administration au droit est une technique assez naturelle. Un État dans lequel l'administration n'est pas soumise au droit est appelé "État de police"; c'est un État dans lequel l'administration peut, d'une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins totale, appliquer au citoyen toutes les mesures qu'elle juge utile de prendre en vue de faire face aux circonstance, en vue d'atteindre à tout moment les buts qu'elle se propose. On doit noter d'ailleurs qu'il reste encore dans le droit positif actuel des traces de cette conception.
On estime toujours en France qu'une certaine partie de l'action administrative ne doit pas être soumise au droit, pour des raisons à la fois politiques ou pour des raisons techniques. On dit alors que l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire, c'est-à-dire qu'elle reste libre dans son action. Le droit positif tend à limiter progressivement le domaine du pouvoir discrétionnaire.
L'administration soumise au droit
Une première forme de la soumission de l'administration au droit apparaît lorsqu'il y a soumission de l'administration à une règle
Dans la pratique, on doit constater que l'action administrative ne saurait être menée dans le désordre. Sans aller jusqu'à admettre une soumission totale de l'administration au droit, on sera au minimum conduit à admettre une soumission de celle-ci au moins à une réglementation intérieure. C'est ainsi qu'une règle apparaît essentielle dans la vie administrative : celle selon laquelle les agents subalternes doivent obéir aux ordres donnés par les supérieurs hiérarchiques. Cette règle lie les agents mais elle n'atteint pas les administrésnbsp;; elle ne demeure qu'une règle intérieure. Cette soumission de l'administration à une règle intérieure est déjà un premier aspect de la soumission de l'administration au droit. On le retrouve toujours avec les circulaires, les directives, les tableaux de service et les mesures d'ordre intérieur.
Un progrès considérable est réalisé lorsque l'activité administrative est soumise toute entière à des règles de droit
On conçoit cependant que l'avènement de l'État de droit ait été un phénomène long, mais relativement récent. Il a supposé une transformation complète dans la conception du pouvoir. Il a fallu admettre que l'homme devenait la finalité du pouvoir et que l'action administrative ne pouvait s'exercer que dans certaines limites et selon certains principes juridiques. Les pouvoirs exercés par l'administration dans l'État de droit sont toujours des pouvoirs spéciaux justifiés par l'intérêt public mais ils reposent désormais sur un fondement juridique; ils sont devenus des compétences. On peut remarquer d'ailleurs que la conception qui a prévalu en France en ce qui concerne les rapports entre administration et pouvoir législatif (entre exécutif et législatif), a beaucoup facilité l'avènement de l'État de droit. En affirmant que l'action administrative devait s'accomplir en exécutant des lois, sous l'empire de la loi, on reconnaissait forcément que l'administration était soumise à la loi, et donc au droit. L'avènement de l'État légal, c'est-à-dire de l'État dans lequel l'activité administrative s'accomplit en respect de la loi, a préparé l'État de droit. Mais si dans l'État moderne il est admis que l'administration doit relever du droit, il faut déterminer quel sera le droit applicable à l'administration.
Les modalités du régime administratif
Le principe selon lequel l'administration doit être soumise au droit admis, plusieurs solutions sont encore concevables. On peut soumettre l'administration au droit qui régit les simples particuliers, mais aussi à un droit spécial (droit administratif).
La soumission de l'administration au droit commun
L'exemple classique de soumission de l'administration au droit qui régit les simples particuliers est les pays anglo-saxons. Ces pays sont en principe dépourvus de droit administratif. Le principe est celui de l'unité du droit et de l'unité du juge. Le Common Law régit à la fois les rapports entre les particuliers entre eux et les rapports des particuliers avec l'administration. Mais même dans ces pays, le régime administratif est en train d'évoluer. La négation d'un droit administratif spécial tenait essentiellement au libéralisme politique : caractère limité de la fonction administrative et de la couronne, et grand rôle des collectivités locales. Or ces structures se modifient. Des textes de plus en plus nombreux affirment de véritables pouvoirs administratifs et le législateur]] y a même institué la responsabilité de l'administration et la responsabilité des juges en vue de trancher les conflits administratifs. On assiste à l'émergence d'un droit administratif dans les pays anglo-saxons. Il reste quand même que, pour l'heure, l'administration reste soumise au droit privé.
La soumission de l'administration à un droit spécial
On dit qu'il y a régime administratif lorsque l'administration est soumise à un droit différent de celui qui s'applique aux simples particuliers et lorsqu'elle obéit à une juridiction spécialisée. C'est le cas du régime français.
Le régime juridique français
1- La France est considérée comme étant le pays présentant le système juridique le plus évolué, du moins selon les Français. Les fonctions administratives y sont très centralisées et sont confiées à un pouvoir unique : le pouvoir exécutif. Les agents administratifs ne sont pas placés sous le contrôle du juge judiciaire mais sous le contrôle hiérarchique. Les autorités administratives peuvent prendre des décisions exécutoires, c'est-à-dire qui peuvent être exécutées sans qu'il n'y ait de recours préalable en justice. Les fonctionnaires dont la responsabilité est en cause font, dans une certaine mesure, l'objet d'une protection de l'administration. La France possède une juridiction administrative qui connaît des litiges administratifs et qui les résout en appliquant un droit spécifique. On oppose parfois l'administration exécutive française à l'administration judiciaire anglo-saxonne.
2- Les raisons qui expliquent ce développement du régime administratif en France sont en grande partie des raisons historiques et politiques.
Le régime administratif français est lié au mouvement centralisateur qui s'est affirmé durant les deux derniers siècles et que la Révolution et l'Empire ont encore accentué (Tocqueville L'Ancien régime et la République). La Révolution a voulu rattacher ce phénomène à une certaine conception politique de la séparation des pouvoirs. Elle a affirmé que l'action de l'administration devait échapper au contrôle des juges judiciaires. Elle a spécifié que le juge judiciaire ne devait en aucun cas troubler l'activité administrative et connaître des actes de l'administration. Mais il fallait tout de même rattacher l'activité administrative à certaines règles juridiques. Or il se trouva qu'un organisme, le Conseil d'État, institué en l'an VIII et conçu comme un conseiller du chef de l'État pour statuer sur les litiges administratifs, prit une importance croissante et devint progressivement un véritable [[[Juge administratif (fr)|juge administratif]] qui élabora un ensemble de principes juridiques autonomes, propres à résoudre les procès intéressant l'administration.
De plus, le législateur et la doctrine eurent leur part aussi en développant la législation dans certains domaines, comme en matière de travaux publics ou de contrats. La doctrine participa en élaborant les premières théories. Autrement dit, le droit administratif est né en France de l'œuvre du Conseil d'État, du législateur et de la doctrine. « Il est né du choeur à trois voix du juge, du législateur et de la doctrine ».
3- Quelle que soit l'importance des considérations historiques, on peut penser que la solution qui a prévalu en France est aussi rationnelle. Il fallait soumettre l'administration à une règle juridique, mais surtout une règle adaptée à la vie juridique. On devait soumettre une administration autoritaire, caractérisée par l'idée de puissance publique. Le droit susceptible de régir l'activité administrative devait être forcément un droit spécial, c'est-à-dire un droit sachant respecter l'idée de puissance publique d'une part, mais sachant aussi orienter, canaliser cette puissance publique dans le sens de l'intérêt général en sauvegardant cependant les intérêts des particuliers.
Au fond, il apparaît que le rapport qu'il y a entre l'administration et l'administré n'est pas comparable aux rapports qu'il peut exister entre les particuliers entre eux. Le rapport de droit public est un rapport caractérisé par l'inégalité et l'intérêt général. Il convient, pour réglementer l'activité administrative, de la soumettre à un droit autonome, différent du droit privé.
Quoi qu'il en soit, cette idée d'un droit autonome qui doit concilier les droits de l'État et les droits des particuliers a été solennellement affirmée par le juge. Le Tribunal des conflits, dans le célèbre arrêt Blanco, affirme que : « La responsabilité qui peut incomber à l'État ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil pour les rapports de particulier à particulier ; cette responsabilité a ses règles qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'État avec les droits privés » (Tribunal des conflits 8 février 1873). Cet arrêt est considéré comme l'arrêt fondateur du droit administratif.
4- Il convient cependant de ne pas exagérer cette autonomie. Nous avons déjà vu que si l'activité administrative en France relève bien d'un droit spécial et dérogatoire au droit commun, il n'en est ainsi que pour une partie de cette activité. L'administration actuelle présente un double visage : elle se présente d'une part comme une administration de gestion publique qui relève du droit administratif spécial et, d'autre part, comme une administration de gestion privée qui relève du droit commun.
Les régimes administratifs étrangers
Il apparaît d'abord qu'il s'est constitué sur le modèle français un type de régime administratif commun à divers pays européens continentaux. On y retrouve à peu près les thèmes fondamentaux évoqués: soumission de l'administration au droit, administration de puissance publique, reconnaissance du caractère spécifique du droit administratif. C'est le cas de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne, de la Grèce, de la Belgique... En dehors de l'Europe, les techniques du régime administratif ont souvent été acceptées par les pays marqués par l'influence française. Presque toute l'Afrique noire et l'Afrique blanche ont adopté ce système. L'ex-bloc soviétique reste en dehors du mouvement.