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Si en matière juridique, « qui ne dit mot » ne consent pas forcément, il n'est pas légalement affirmé que le silence soit, en lui-même et absolument, un vice du consentement.
Le fait de vicier un consentement provoque son altération et entraîne, par voie de conséquence, la nullité de l'acte juridique auquel il s'agissait de consentir. Ce vice peut anéantir le consentement lorsque celui-ci est obtenu par la violence ; il peut l'altérer du fait d'une erreur, spontanée ou provoquée par le dol. Le Droit romain considérait ce dol dans son aspect délictuel, notion qui sous tend la conception positive du Droit civil dans l'acte de déloyauté qu'il implique de la part du cocontractant. C'est de cet acte que résulte chez la victime un vice du consentement. D'après l'article 1116 du Code Civil qui le régit, le dol est une manœuvre frauduleuse ayant pour objet de tromper l'une des parties à un acte juridique en vue d'obtenir son consentement. Il peut résulter de manœuvres trompeuses ou du mensonge.
Il s'agit dès lors de questionner le silence dans le cadre de ce dol, vice du consentement. Le fait de taire une information que l'on connaît et ne pas informer son partenaire de certains éléments du contrat que l'on sait être de nature à influer sur son consentement, constitue-t-il un dol ?
La jurisprudence rejetait d'abord cette idée privilégiant un adage qui veut que « l'acheteur doit être curieux », en d'autres termes qu'il appartient au contractant de se renseigner convenablement sur tous les termes et éléments du contrat qu'il s'apprête à conclure. Cette conception est désuète aujourd'hui dans la jurisprudence de la Cour de Cassation autant que dans notre droit positif.
En effet, une notion de réticence dolosive est apparue sous le visa de l'article 1116 du Code civil. Elle procèderait donc d'un dol purement passif, caractérisé d'un simple silence et non actif comme dans le cadre du mensonge où l'intention de l'auteur est clairement remarquable. C'est précisément sur cet aspect intentionnel que la jurisprudence, discutée par de nombreux auteurs, a admis la réticence comme constitutive d'un dol, trouvant dans l'essence de certains silences une même intention de nuire ou d'abuser l'autre, à l'égal du dol positif. Ainsi Bruno Boccara dans une chronique de 1953, mettait-il évidence qu'il s'agit essentiellement d'une « conception morale du dol ». Il convient dès lors de s'interroger sur le champ d'acception de cette réticence dolosive dans le Droit positif.
Pour caractériser cette réticence, le juge empruntera deux voies différentes comme autant d'acceptions possibles de la notion. D'un côté il caractérisera le manquement à une obligation d'information, qu'elle soit légalement établie ou purement générale, et d'un autre il s'attachera à sanctionner la mauvaise foi pesant sur la formation du contrat.
Ce faisant, la jurisprudence consacre une obligation d'information protectrice du consentement (I) et affirme l'importance infaillible de la nécessité contractuelle de bonne foi (II) au cœur du droit des contrats tel qu'instituée par les rédacteurs du Code civil.
Sommaire
Un consentement protégé par l'obligation d'information
De manière très générale, il est admis qu'une réticence est dolosive chaque fois qu'il pesait sur le cocontractant une obligation d'information à laquelle il a failli : il s'agit d'une logique de protection de la partie la plus faible, souvent l'acheteur, le consommateur, qui pousse le législateur à développer des obligations spécifiques d'information (1.1). Parallèlement, la jurisprudence a consacré l'existence d'une obligation générale de renseignements (2.2) pesant sur les contractants.
Le manquement à une obligation légale d'information
La solution la plus simple pour le juge de qualifier une réticence de dolosive réside dans l'existence d'un texte qui fait peser sur l'autre partie au contrat une obligation d'information ou au contraire l'en dégage.
Le développement du Droit de la consommation en France a poussé le législateur à intervenir de plus en plus précisément dans la formation du contrat par la protection du consentement. Ainsi il réglemente précisément certaines formes de contrats, faisant peser sur la partie souvent considérée comme la plus forte, une obligation spécifique d'information. La loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs pose en principe que « tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service ». Cette obligation particulière du vendeur se voit même renforcée et précisée aux articles L 111-2 et L 114-1 du Code de la consommation en matière de pièces détachées et de délais de livraison.
Pour admettre que la réticence du vendeur est dolosive, il suffira au juge de constater qu'il a failli à une obligation légale qui pesait sur lui.
À l'inverse, le législateur dégage des cas dont la précision ne cesse de croître, dans lesquels réside un droit au silence, une légalité de la réticence. Ainsi, une femme enceinte postulant à un entretien d'embauche n'a aucune obligation d'informer son futur employeur de son état de grossesse selon l'article L 122-25 du Code du travail. Ces dispositions précises, comme celle ne sanctionnant pas le curriculum vitae hyperbolique, visent à protéger encore une fois non plus le consommateur mais le salarié, empêchant un commettant de demander la nullité du contrat à la première occasion pour éviter une procédure longue, coûteuse et très réglementée de licenciement. Cette conception, somme toute restrictive du caractère dolosif de la réticence, rejoint la vision d'auteurs tels que Planiol, pour qui « la réticence n'est dolosive que s'il pèse sur le contractant une obligation de parler ».
Cette conception individualiste du contrat a été en partie contournée par une jurisprudence qui a fait émerger une obligation générale d'information dont l'inobservation pouvait être apparentée à une réticence à caractère dolosif.
La consécration d'une obligation générale de renseignement
Si dans ses premières saisines sur la question, dès 1874 puis en 1927, la Cour de cassation avait rejeté que l'idée d'une simple réticence constitue un dol, elle a progressivement instauré une obligation générale d'information, protectrice du consentement, de la partie faible et de la volonté éclairée dans l'acte de contracter.
Assouplissant sa position sur le sujet, la Cour] a d'abord accepté le caractère dolosif d'un silence dans certaines circonstances plus générales vers la fin des années cinquante. Lorsque la convention supposait par exemple des rapports de confiance particuliers en contractants ou lorsque le cocontractant se trouvait dans l'impossibilité de connaître par lui-même l'information tue. L'arrêt de la 3e Chambre civile du 15 janvier 1971 pose clairement en principe que la réticence dolosive peut entraîner la nullité du contrat. Étendant par la suite constamment cette obligation, elle la généralise d'abord au professionnel, surtout lorsqu'il a la qualité de vendeur, auquel il incombe de surcroît de prouver qu'il a correctement rempli cette obligation.
Un grand courant doctrinal se rapprochant de la vision de Planiol consacrait malgré toute cette obligation générale, obligation d'information dont seul le manquement pouvait caractériser le caractère dolosif du silence. Celui-ci n'étant pas acceptable comme seule source dolosive. En quoi le fait de se taire alors que rien ne nous obligeait à parler pourrait justifier une sanction ? La réponse réside non plus dans l'élément matériel du dol, qui impose effectivement un comportement actif, matérialisé et pouvant être démontré, prouvé, pour constituer le dol. Effectivement, un simple silence semble avoir grand peine à remplir cette fonction. Elle réside nécessairement dans l'élément dit intentionnel du dol.
Cet élément intentionnel, plus diffus que dans le mensonge où la volonté d'induire en erreur est flagrante, est pourtant évidemment présent. Le cocontractant n'induisant pas en erreur son partenaire le laisse pourtant sciemment se tromper. Ne serait-ce point une atteinte à la notion de bonne foi ?
La réaffirmation de l'obligation de bonne foi
Fondamentalement affirmée à l'article 1134 du Code civil, qui dispose que « les conventions doivent être exécutées de bonne foi », cette obligation pèse nécessairement sur la période de formation de celui-ci. En vue de la protection de ce principe, la Cour de Cassation décide en 2001 que la réticence dolosive « rend toujours excusable la faute provoquée » (A) et plus généralement tend, au fil des années, à poser en principe que la réticence dolosive est une forme normale de dol (B), au même titre que le mensonge.
L'erreur provoquée toujours excusable à cause de réticence dolosive
La 3e Chambre civile de la Cour de cassation affirme enfin, dans un arrêt du 21 février 2001, une solution dont elle avait déjà précédemment formulé implicitement la valeur. Il s'agit d'une consécration de la réticence dolosive comme victimiste laissant certains auteurs craindre la fin du dolus bonus.
Dans cet arrêt, le juge suprême dispose clairement en principe que « la réticence dolosive, à la supposer établie, rend toujours excusable l'erreur provoquée ». Dans cette conception se positionne un courant doctrinal à l'opposé de Planiol, plus enclin à une vision solidariste du lien contractuel et de sa formation. Ce courant rattache la réticence dolosive à la conception traditionnelle du dol, celle de la sanction de la mauvaise foi. L'idée maîtresse qui sous tend cette jurisprudence est la dominance essentielle et perpétuelle de la faute intentionnelle de l'auteur du dol sur l'éventuelle faute d'une victime qui s'est laissée abuser.
Mais ce faisant, certains auteurs comme Jérôme Bétoulle, conseiller référendaire à la Cour de cassation, se sont penchés sur la crainte qu'une telle décision ne « signe l'arrêt de mort du dolus bonus », ce dol toléré par la nature même de l'offre, comme l'hyperbole publicitaire. Bétoulle souligne ainsi que cette notion se trouve déjà de nos jours fortement encadrée par le développement de la législation, notamment en matière de droit de la consommation, et ne dispose donc plus véritablement en elle-même de portée générale. Elle s'inscrit ainsi dans les levées d'obligations d'information précédemment évoquées. En outre, il ne faut pas oublier que le dolus bonus est une notion qui ne s'évalue que dans l'esprit de son auteur et non de son destinataire.
Cette ferme jurisprudence de la Cour de cassation permet également, et ce n'est pas négligeable, d'éviter de faire prévaloir soit une obligation précontractuelle d'information, soit une obligation de curiosité, de renseignement par soi-même, notamment dans les cas où l'on se trouve en présence de deux profanes ou au contraire de deux professionnels. Cela nous amène nécessairement à nous demander jusqu'à quel point la jurisprudence tend-elle à consacrer la réticence dolosive comme une forme normale de dol.
La réticence dolosive comme forme systématisée de dol
Si la jurisprudence semble encline à laisser s'émanciper au maximum la notion de réticence dolosive, l'évolution du droit des contrats peut laisser songeur quand à son avenir plus ou moins proche.
Lorsqu'elle recourt à la notion de bonne foi, la jurisprudence a tendance à trancher qu'une réticence est dolosive dès lors qu'elle fut intentionnelle[1]. Elle ne reconnaît comme seul tempérament que le dol ne peut être qualifié s'il n'est pas démontré que la partie incriminée connaissait l'existence des faits. C'est une nouvelle affirmation que si le silence peut être considéré comme "léger" en tant qu'élément matériel d'un dol, le caractère intentionnel de celui-ci comble cet aspect lacunaire par une négation de la nécessité de bonne foi. C'est alors poser en principe que la réticence dolosive est une forme normale du dol, au même titre que l'erreur ou le mensonge. Certains auteurs la laissant se matérialiser en une sorte de mensonge par omission en tant que manquement à la bonne foi. Les juges rejoignent ainsi la volonté des rédacteurs du Code civil qui avaient dans leur projet rédigé le troisième alinéa de l'article 1134 disposant que « les conventions doivent être contractées et exécutées de bonne foi ». La terminologie actuelle ne tient qu'à un souci de formulation mais l'esprit de l'article demeure et se voit consacré.
D'un autre côté, l'évolution de la matière contractuelle invite à s'interroger sur l'avenir qui peut être raisonnablement offert à la notion de réticence dolosive, au silence comme vice du consentement. Le développement des contrats d'adhésion soustrait l'aspect humain à une nécessité de protection des deux parties. Il est évident qu'aucune réticence dolosive ne peut être invoquée au sein d'un contrat dont le formulaire aurait été légalement établi. A contrario, la possibilité offerte au contrat d'échapper à la nullité par la légèreté excessive de l'errans semble fortement et définitivement compromise par l'arrêt de 2001 excusant la faute provoquée.
Notes et références
- ↑ Chambre commerciale le 20 avril 1982
Voir aussi
- Trouver la notion réticence dolosive dans l'internet juridique français