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Théorie des questions accessoires et pouvoirs du juge judiciaire (fr)

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Sanction du principe de séparation des juridictions administrative et judiciaire > Théorie des questions accessoires
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Il y a eu dans ce domaine de longues hésitations dues à une vive opposition entre les attitudes du juge judiciaire et du juge administratif. Le juge judiciaire se fondait sur l'analogie matérielle existant entre le règlement administratif et la loi pour conclure qu'il pouvait non seulement interpréter le règlement, mais encore en apprécier la légalité. Cette doctrine fut exposée au début du XXe siècle dans de nombreux arrêts de la Cour de cassation[1].

Le Tribunal des conflits, dans un arrêt du 26 juin 1923, devait mettre fin à cette controverse et préciser la limite des pouvoirs du juge judiciaire en la matière[2]. L'arrêt se fonde essentiellement sur une distinction entre l'interprétation de l'acte administratif et l'appréciation de légalité. Il retient aussi en second lieu la distinction entre acte à caractère général et acte à caractère individuel.

La compétence du juge judiciaire ordinaire pour interpréter les actes administratifs à caractère réglementaire

Il ressort de l'arrêt Septfonds que le juge judiciaire est compétent pour procéder à l'interprétation des règlements administratifs

Les magasins généraux de la ville de Toulouse avaient expédié par chemin de fer des sacs de sucre au sieur Septfonds, qui avait constaté que des sacs manquaient. Pour résoudre le problème de la responsabilité, il y avait lieu d'interpréter un texte réglementaire de 1915 qui définissait les conditions juridiques du transport. Le Tribunal des conflits a affirmé la compétence des tribunaux judiciaires pour interpréter ce texte dans les termes suivants :

« s'il constitue un acte administratif en raison du caractère des organes dont il émane et si dès lors, à ce titre, il appartient à la juridiction administrative seule d'en contrôler la légalité, il participe également du caractère de l'acte législatif, puisqu'il contient des dispositions d'ordre général et réglementaire, et qu'à ce dernier titre, les tribunaux judiciaires chargés de l'appliquer sont compétents pour en fixer le sens, s'il se présente une difficulté d'interprétation au cours d'un litige dont ils sont compétemment saisis ».

On voit ainsi se dégager les arguments qui pour le Tribunal des conflits ont justifié la compétence du juge judiciaire pour interpréter l'acte administratif réglementaire. Le Tribunal des conflits a retenu surtout l'idée selon laquelle le règlement, par son caractère général, participe de la loi. La justification de la solution est longuement développée dans les conclusions du commissaire du gouvernement Matter. Celui-ci se reportait directement aux textes fondamentaux de 1790[3] et de l'an III. Ces textes interdisent à l'autorité judiciaire de troubler les opérations des corps administratifs et de connaître des actes d'administration. Pour lui, le juge judiciaire, en procédant à l'interprétation d'un règlement, ne méconnaît pas ces textes; il ne trouble pas les opérations administratives car il est alors conduit à dire le droit à propos d'un règlement qui n'est pas clair. Mieux même, en recherchant la signification exacte et profonde d'un texte obscur, le juge respecte cet acte. Il n'empiète en aucune manière sur l'autorité administrative, bien au contraire, il la nettoie.

Le commissaire du gouvernement faisait appel à un deuxième argument, fondé sur la nature même du règlement administratif. Le règlement, surtout à l'époque, est généralement pris en exécution d'une loi. Il s'applique à une collectivité de manière permanente. Il participe ainsi matériellement du caractère de la loi. Le juge qui doit appliquer la loi ne peut pas refuser de juger un règlement au motif qu'il est obscur car sinon, il commettrait un déni de justice.

L'arrêt Septfonds ne reconnaît au juge judiciaire des pouvoirs pour l'interprétation qu'à l'égard seulement des actes réglementaires

S'agissant au contraire des actes administratifs individuels, le juge judiciaire n'est pas habilité à les interpréter. La justification de cette solution n'est pas très claire. On a observé que des décisions individuelles définissent la situation des particuliers par rapport à l'administration et qu'interpréter de telles décisions aboutit à délimiter les droits des particuliers à l'égard de l'administration.

On insiste aussi sur des considérations d'ordre pratique en relevant qu'il est assez rare que les tribunaux judiciaires aient à interpréter des actes individuels.

Enfin, il est pratiquement normal d'autoriser le juge judiciaire à interpréter les règlements puisqu'il interprète constamment les actes législatifs. Cet organisation ne vaut pas pour les actes administratifs individuels qui diffèrent des actes législatifs.

Il convient d'ajouter une précision concernant la portée exacte de la solution donnée par l'arrêt Septfonds

Le juge judiciaire est certainement compétent pour interpréter un règlement mais encore faut-il qu'il s'agisse d'un règlement dont il doit assurer la sanction.

L'incompétence du juge judiciaire pour apprécier la légalité des actes administratifs réglementaires et individuels

L'arrêt Septfonds estime qu'il y a incompétence du juge judiciaire pour apprécier les actes administratifs individuels et réglementaires.

Le fondement de l'incompétence

Il y a dans l'arrêt Septfonds un deuxième aspect qui est le prolongement du précédent. La question de l'appréciation de la légalité des actes administratifs n'était pas posée directement au juge dans l'arrêt Septfonds. Elle a été toutefois tranchée par le Tribunal des conflits qui a précisé ultra petita qu'« en raison du caractère des organes dont il émane (…), il appartient à la juridiction administrative seule d'en contrôler la légalité » (critère formel).

On a vu que, selon une certaine jurisprudence de la Cour de cassation, le juge judiciaire devait être habilité non seulement à interpréter les règlements, mais encore à en apprécier la légalité. Il convient de bien comprendre l'argument avancé par la Cour de cassation pour justifier en ce domaine la compétence judiciaire. En relevant l'analogie matérielle qui existe entre le règlement administratif et la loi, on ne justifie pas la compétence judiciaire pour apprécier la légalité du règlement puisque le juge judiciaire ne peut pas apprécier la régularité de la loi. On prétend en réalité que l'appréciation de légalité doit être catégoriquement distinguée de l'annulation d'un acte. La Cour de cassation veut dire que le juge judiciaire, lorsqu'il procède à l'appréciation de légalité d'un règlement, ne l'annule pas; il se contente d'en écarter l'application dans une espèce donnée. Par ailleurs, on précise aussi que la compétence du juge judiciaire ne pourrait être retenue dans le cas d'un acte individuel car écarter l'application d'un acte individuel dans une espèce donnée équivaut à une annulation.

Cet argument, approuvé parfois en doctrine, n'a pas été retenu dans l'arrêt Septfonds. Le Tribunal des conflits a posé au contraire le principe d'une incompétence générale du juge judiciaire pour apprécier la légalité des actes administratifs, qu'il s'agisse d'actes réglementaires ou qu'il s'agisse d'actes individuels.

Pour Matter, il y aurait une différence fondamentale entre l'interprétation et l'appréciation de légalité. L'interprétation ne trouble pas l'activité administrative. Il appartient donc au seul juge administratif de prononcer une telle sanction. Pour le commissaire du gouvernement et pour le Tribunal des conflits, l'appréciation de la légalité de tout acte administratif aboutit à troubler l'activité administrative et doit être interdite. Cette incompétence connaît cependant des limites.

Les limites de l'incompétence du juge judiciaire : la compétence exclusive du juge judiciaire

Il y avait dans la jurisprudence Septfonds une limite à l'interdiction faite au juge judiciaire qui n'a pas toujours été mise en évidence. Le commissaire du gouvernement affirmait que l'on devait exceptionnellement reconnaître au juge judiciaire compétence pour apprécier la légalité de règlements administratifs lorsqu'il s'agissait de question qui relevaient déjà exclusivement de l'autorité judiciaire. Il citait notamment la matière des impôts indirects, de la liberté individuelle, de l'état des personnes et de la propriété immobilière. Cette idée selon laquelle on devait reconnaître des pouvoirs plus étendus au juge judiciaires dans certaines matières qui relèvent par nature de sa compétence, connaît aujourd'hui encore des applications en droit positif.

La jurisprudence admet la compétence du juge judiciaire en matière fiscale pour apprécier la légalité des règlements qui servent de base à l'assiette des impôts

L'accessoire suit ici le principal[4].

C'est le cas aussi lorsqu'il y a voie de fait

En matière de voie de fait, nous avons vu que le juge judiciaire avait compétence pour établir la voie de fait. Il peut donc à ce titre apprécier lui-même l'irrégularité manifeste des décisions et des opérations qui sont constitutives de la voie de fait. Il peut ainsi apprécier non seulement la régularité des actes réglementaires mais aussi la légalité des décisions individuelles. Là encore, nous savons que dès lors qu'il y a voie de fait, de telles décisions perdent leur caractère administratif et s'il y a appréciation de la légalité par le juge judiciaire, cette appréciation n'est pas une exception.

La jurisprudence illustrant les idées précédentes a ainsi décidé que le juge judiciaire pouvait apprécier la légalité de certains actes administratifs en cas de voie de fait[5]. Cette limitation considérable au principe posé par l'arrêt Septfonds a été liée en France aux réquisitions de logements à cause de la guerre prévue par une ordonnance de 1945, réquisitions qui soulevèrent des difficultés pratiques très sérieuses. Devant les résistances, l'administration, avait souvent recours à l'exécution d'office en faisant appel aux forces de police. Un décret de 1947 avait régularisé la procédure en ce domaine[6], mais la régularité de ce décret avait aussitôt été discutée parce que contraire au droits de l'homme à l'inviolabilité du domicile. La compétence du législateur aurait dû être retenue.

Il s'agissait au fond de savoir si le juge judiciaire pouvait apprécier lui-même la régularité du décret. Le Tribunal des conflits a reconnu exceptionnellement au juge judiciaire le pouvoir d'apprécier la validité du décret en cause en invoquant la gravité de l'atteinte portée aux droits individuels et au droit de propriété. « Considérant que si, en règle générale, les tribunaux de l'ordre judiciaire ne peuvent, sauf dans certains cas déterminés, se prononcer sur la légalité des actes administratifs même ayant le caractère réglementaire, ils sont par exception à ce principe compétents pour apprécier la validité des dispositions du décret de 1947 à raison de la nature des mesures prévues par les dites dispositions et de l'atteinte grave qu'elles portent à l'inviolabilité du domicile privé et par suite à la liberté individuelle ainsi qu'au respect du droit de propriété ». Il y a extension des pouvoirs du juge judiciaire lorsqu'il y a voie de fait.


Notes et références

  1. Cour de cassation 9 novembre 1921 : Dalloz 1923 I p. 149
  2. Tribunal des conflits 16 juin 1923 Septfonds
  3. Loi sur l'organisation judiciaire, donnée à Paris le 24 août 1790  Lois, et actes du Gouvernement, édition 1806, t. 1, p. 376 à 396, titre II, art. XIII, p. 378
  4. Cour de cassation 19 mai 1953 La Ruche picarde : Sirey 1954 I p. 1
  5. Tribunal des conflits 30 octobre 1947 Barinstein
  6. Décret n° 47-213 du 16 janvier 1947 portant application de l'ordonnance n° 45-2394 du 11 octobre 1945 instituant des mesures exceptionnelles et temporaires en vue de remédier à la crise du logement : JORF n° 18 du 21 janvier 1947, p. 871. Peu avant l'arrêt Barinstein ne soit rendu, ce décret sera modifié par le décret n° 47-1066 du 8 septembre 1947 portant application de l'ordonnance n° 45-2394 du 11 octobre 1945 instituant des mesures exceptionnelles et temporaires en vue de remédier à la crise du logement : JORF n° 213 du 10 septembre 1947, p. 9067.

Voir aussi