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Jurisprudence (fr)

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Définition

Le mot « jurisprudence » a plusieurs sens. Dans un premier sens, selon le Vocabulaire juridique de G. Cornu, il désigne l'« ensemble des décisions de justice rendues pendant une certaine période soit dans une matière (jurisprudence immobilière), soit dans une branche du Droit (jurisprudence civile, fiscale, etc.), soit dans l'ensemble du Droit ». Dans ce sens, on parle d'un recueil de jurisprudence, qui est la publication d'une sélection de décisions de justice. La publication par voie électronique rend possible la publication de toute la jurisprudence. Ainsi, sur Légifrance tous les arrêts récents de la Cour de cassation, y compris ceux qu'elle a choisi de ne pas publier au Bulletin de la Cour de cassation.

Dans un second sens, il désigne l'« ensemble des solutions apportées par les décisions de justice dans l'application du Droit (not. dans l'interprétation de la loi quand celle-ci est obscure) ou même dans la création du Droit (quand il faut compléter la loi, suppléer une règle qui fait défaut) ».

Dans un troisième sens, il désigne la « personnification de l'action des tribunaux (par opposition à législation ou Doctrine) ».

Dans un quatrième sens, il désigne l'« habitude de juger dans un certains sens (…), résultat de cette habitude ». Dans ce sens, on peut considérer la jurisprudence comme une source de droit (v. infra). Il ne suffit pas d'une décision pour faire jurisprudence. Il faut au contraire que dans le même contentieux, les juges aient élaboré une solution qu'il réaffirment à plusieurs reprises, constituant ainsi une jurisprudence constante. Invoquer une jurisprudence constante à l'appui d'une solution juridique est l'argument d'autorité par excellence. En droit privé, on estime généralement qu'une jurisprudence est constante à partir de deux arrêts de la Cour de cassation allant dans le même sens. Précisons qu'il s'agit des arrêts publiés au Bulletin de la Cour de cassation, c'est-à-dire qui ont été sélectionnés pour être publiés : la Cour de cassation peut se prononcer pour une solution dans certains arrêts, qui ne seront pas publiés. La rupture par les juges avec une solution précédemment affirmée, peut être qualifiée de revirement de jurisprudence. Le législateur intervient quelquefois pour briser une jurisprudence, c'est-à-dire établir une solution différente à un problème donné de celle adoptée par les juges.

Dans un cinquième sens, il désigne la tendance habituelle d'une juridiction déterminée ou d'une catégorie de juridiction à juger dans sens déterminé. En ce sens, on parle de la jurisprudence du Conseil d'État, du Conseil constitutionnel, mais aussi de la Cour européenne des droits de l'homme, etc. Il n'est pas rare que deux chambres de la Cour de cassation aient une opinion différente, voire opposée, sur un même problème juridique. De même, il peut arriver que les juges du fond résistent à la Cour de cassation. Enfin, des jurisprudences aberrantes, mais l'expression est galvaudée, sont des solutions rendues par des juridictions différentes dont le résultat est paradoxal, comme par exemple la déclinaison de leur compétence par le juge administratif et par le juge judiciaire (v. Conflit négatif).

Dans un sixième sens, il désigne une « pratique judiciaire ; habitude de procéder ou d'opérer de telle ou telle manière (en dehors des questions de droit) dans les mesures d'instruction, les conciliations, les évaluations, etc. ».

La jurisprudence est-elle source de droit ?

La doctrine continue d'être partagée par cette sempiternelle question, qui constitue en quelque sorte un troll chez les juristes.

Arguments des opposants à la jurisprudence comme source du droit[1]

  • Le Code civil énonce le principe de l'autorité relative de la chose jugée. L'art. 5 C. civ. dispose :
« Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ».
Cet article traduit la réaction des Révolutionnaires à l'Ancien Régime, en particulier au pouvoir des Parlements de rendre des décisions dont la solution pouvait s'appliquer aux affaires analogues postérieures, à l'opposé des systèmes de Common Law ou la règle du précédent (ou stare decisis aux U.S.A.) maintient le droit en l'état, sous réserve cependant des contrôles parlementaire et exécutif. À présent, il appartient au Parlement (au sens moderne) d'instituer des règles de droit abstraites et générales.

Aux termes de l'art. 1351 C. civ.,

« L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».
Une même juridiction peut donc répondre différemment à la même question, posée par différents plaideurs.
  • La précarité de la jurisprudence contredit l'idée que la jurisprudence puisse être une source de droit.

Arguments des partisans de la jurisprudence comme source du droit

  • L'obligation pour les juges de motiver leur décision signifie que les juges doivent exposer les motifs de leur décision. Les mêmes causes produisent normalement les mêmes effets, ce qui signifie qu'un type de litige que les juges ont tranché d'une manière, a vocation à être jugé de la même manière dans le futur. Une décision, qui a l'autorité relative de la chose jugée dans une affaire, constitue un exemple pour l'ensemble que constitue ce contentieux. Le caractère prétendument précaire de la jurisprudence peut être observé chez la loi dans certains domaines[2].
  • La jurisprudence doit faire œuvre de création. Lorsque la loi a un caractère trop général pour être appliquée immédiatement, le juge, en l'appliquant au cas présenté par les plaideurs, est obligé de procéder à des distinctions. L'art. 4 du Code civil dispose :
« Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ».
Si la jurisprudence est une source de droit, elle est subordonnée à la loi. Pour se convaincre du pouvoir créateur des juges, il suffit par exemple de penser à la jurisprudence concernant l'article 1384 al. 1er du Code civil. On peut penser également à certaines jurisprudences qui appliquent la loi dans un sens différent de celui voulu par le législateur.
  • La Cour de cassation assure l'unification de la jurisprudence. Elle a autorité pour annuler les arrêts des juges du fond qui, selon sa jurisprudence, ne respectent pas la loi. En général, les juges du fond évitent aux plaideurs de devoir former un pourvoi en cassation contre une décision qui contreviendrait à la jurisprudence de la Cour de cassation. Il existe cependant des juges ayant un tempérament rebelle.


On peut ajouter qu'une grande partie des écrits des professeurs de droit a pour objet le commentaire des arrêts et que l'apprentissage du droit français repose en partie sur le commentaire d'arrêt. En France, les codes contenant les lois et publiés par des éditeurs comme Dalloz et Litec le sont rarement sans jurisprudence. Les distinctions faites par les juges dans l'application de la loi, renforcées par l'obligation de motivation et unifiées par la Cour de cassation, font émerger des concepts juridiques, permettant ainsi de considérer la jurisprudence comme une source de droit.

La question de savoir si la jurisprudence est une source du droit a d'abord été posée par les civilistes à propos de celle de la Cour de cassation, mais la jurisprudence est également constituée des décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État ou de la Cour de justice des communautés européennes, ainsi que de la Cour européenne des droits de l'homme : l'internationalisation des sources de droit s'accompagne de la création de juges internationaux. L'autorité de ces différentes juridictions est différente : les décisions de la CEDH ne sont pas contraignantes juridiquement, les décisions de la CJCE font partie intégrante du droit communautaire dérivé et le droit administratif est largement l'œuvre du juge administratif. En fin de compte, on peut considérer que même si les institutions nationales ont été peu modifiées, la réponse à cette question varie selon la définition de la jurisprudence et l'époque.

Droit comparé

Il convient de savoir que le mot "jurisprudence" n'a pas le même sens en Common Law; en effet, par opposition au Case Law (droit prétorien, jurisprudence), au Statute Law (droit législatif), la "jurisprudence" est synonymique de la philosophy of law (philosophie du droit).

De même, le mot Jurisprudenz en allemand signifie « science du droit ».

Notes et références

  1. V. l'oeuvre du Doyen Carbonnier, et sa puissante critique à la RTD civ. 1992.342 : "je ne puis cacher, l'ayant écrit, que la jurisprudence m'a toujours semblé manquer des caractères inhérents à une source autonome de droit (...)" et l'argumentaire, contradictoire pour un sociologue du droit et grand législateur (N. Molfessis, lors de la Conférence d'agrégation de droit privé du 5 avril 2008, qui avait proposé l'extrait à commenter)
  2. Ex : Le Code 2006 à la manière de …

Bibliographie

  • Terré, François, Introduction générale au droit, précis Dalloz, 6ème éd., 2003, ISBN 2-24-705114-6.
  • Cornu, Gérard (dir.) Malinvaud, Philippe (préface), Association Henri Capitant,Vocabulaire juridique, 7ème éd. Paris : Presses universitaires de France, 2005, 970 p. ISBN 2130550975
  • Archives de philosophie du droit, t. XXX, La jurisprudence, Sirey 1985, ISBN 2-248-00703-5

Grands arrêts

  • Ancel, Bertrand, Lequette, Yves, Batiffol, Henri (préf), Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Paris : Dalloz, 2001, 820 p., ISBN 2-247-04287-2
  • Bergel, Jean-Louis. Centre de recherches et d'études de droit immobilier, Les grands arrêts du droit immobilier Paris : Dalloz, 2002, 686 p. ISBN 2-247-04100-0
  • Capitant, Henri, Terré, François, Lequette, Yves, Les grands arrêts de la jurisprudence civile. Tome 1, Introduction, personnes, famille, biens, régimes matrimoniaux, successions, Paris : Dalloz, 2000, 670 p. ISBN 2-247-03105-6
  • Capitant, Henri, Terré, François, Lequette, Yves, Les grands arrêts de la jurisprudence civile. 2, Obligations, contrats spéciaux, sûretés, Paris : Dalloz, 2000, 675 p. ISBN 2-247-04099-3
  • Cyrille David, Fouquet, Olivier, Plagnet, Bernard, et al.,Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Paris : Dalloz, 2003, 1085 p. ISBN 2-247-04976-1
  • Favoreu, Louis, Philip, Loïc, et al., Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris : Dalloz, 2005, 1065 p. ISBN 2-247-06302-0
  • Lyon-Caen, Antoine, Pélissier, Jean, Jeammaud, Antoine, et al.,Les grands arrêts du droit du travail, Paris : Dalloz, 2004, 777 p. ISBN 2-247-04289-9
  • Pradel, Jean, Varinard, André et al., Les grands arrêts du droit pénal général, Paris : Dalloz, 2005 734 p. ISBN 2-247-06303-9
  • Pradel, Jean, Varinard, André, Les grands arrêts de la procédure pénale, Paris : Dalloz, 2003, 406 p. ISBN 2-247-05176-6
  • Sudre, Frédéric, Marguénaud, Jean-Pierre, Andriantsimbazovina Joël et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, Paris : Presses universitaires de France, 2005, 770 p. ISBN 2-13-055405-9
  • Touvet, Laurent, Ferstenbert, Jacques, Cornet, Claire, Denoix de Saint Marc, Renaud (Préf.), Les grands arrêts du droit de la décentralisation, Paris : Dalloz, 2001, 673 p. ISBN 2-247-04288-0
  • Vivant, Michel, Équipe de recherche créations immatérielles et droit, Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Paris : Dalloz, 2003, 448 p. ISBN 2-247-05401-3
  • Weil, Prosper, Long, Marceau, Braibant, Guy, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Paris : Dalloz, 2005, 974 p. ISBN 2-247-06121-4

NB: la collection des Grands arrêts Dalloz, est accessible via ce lien: ISSN 1272-0135

Liens externes

Jurisprudence accessible en ligne

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